«La piscine olympique qui ne verra jamais les JO.» C’est ainsi qu’un journaliste de TF1 a présenté (à tort) le Centre aquatique olympique, mardi. Ce chantier, qui accouchera du seul site permanent construit spécifiquement pour les Jeux de Paris 2024, avait auparavant fait l’objet de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. Cumulant à elles deux plus de cinq millions de vues, les publications sur X (ex-Twitter) de Brèves de presse et Cerfia suggèrent ainsi que la structure aura coûté 174 millions d’euros… pour rien. Ces tweets rapportent, pour cause, que «les épreuves de natation en ligne auront lieu dans un stade de rugby». Laissant nombre d’internautes circonspects et peinant à imaginer comment un bassin olympique peut être installé sur un carré de pelouse.
L’information, qui n’a en fait rien de neuf, provient d’un article de l’Express, publié la semaine dernière. «Les épreuves de natation en ligne n’auront pas lieu au Centre aquatique olympique, mais dans un stade de rugby», y lit-on. Le magazine rappelle que ce site olympique, qui doit être inauguré le 4 avril juste en face du Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), devait initialement accueillir l’ensemble des épreuves de natation, natation synchronisée et plongeon. Sauf que les épreuves de natation dite «course» ou «en ligne» ont depuis été en quelque sorte «délocalisées». Ce qu’on sait depuis 2020. Le travail des journalistes de l’Express ne repose pas sur une révélation, mais retrace les coulisses de ce «transfert».
Montant irréaliste
D’ailleurs, il ne faut pas s’y méprendre : les meilleurs nageurs du monde s’affronteront, non pas dans un stade à proprement parler, mais à l’intérieur de Paris La Défense Arena, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Une vaste enceinte dotée d’un toit et multimodale, capable de se muer en quelques heures d’un terrain de rugby à une salle de concerts. Plus connue pour héberger, depuis son ouverture en 2017, aussi bien des spectacles que les matchs de son club résident, le Racing 92, elle sera provisoirement transformée en piscine olympique pour l’occasion. Dans le département voisin, le Centre aquatique olympique accueillera, quant à lui, les épreuves de natation synchronisée, plongeon, et les phases qualificatives de water-polo.
Pourquoi les modalités d’organisation des épreuves aquatiques ont-elles ainsi évolué, laissant au site construit en Seine-Saint-Denis les épreuves qui suscitent le moins d’engouement populaire ? Au départ, il était prévu qu’«avec une jauge de 15 000 spectateurs pendant les Jeux, le Centre aquatique accueillera les épreuves de natation, de plongeon et de natation synchronisée», lit-on dans le premier volume du dossier de candidature déposé en 2016. Au stade de la troisième étape du dossier de candidature, la «capacité places assises» du site était même évaluée à 17 000. Côté financement, au moment du dépôt de la deuxième phase du dossier de candidature, les dépenses publiques pour l’édification du Centre aquatique étaient estimées à quelque 123 millions de dollars (en valeur 2016), soit autour de 110 millions d’euros. Une somme cohérente avec celle qui figure dans la «maquette financière stabilisée» établie en 2018 par la Solideo, l’établissement public en charge des infrastructures olympiques. Placée en annexe du projet de loi de finances pour 2019, la maquette tablait sur un coût total du projet de 111,2 millions d’euros, répartis en 90 millions pour le Centre aquatique de Saint-Denis et 21,2 millions pour la passerelle le reliant au Stade de France.
Mais ce montant s’est vite révélé irréaliste, car il ne tenait compte ni de l’actualisation des prix (puisqu’il avait été fixé en valeur d’octobre 2016), ni des effets liés à la conjoncture économique du BTP. De fait, dès le mois de mars 2018, un rapport de l’Inspection générale des finances pointait des risques de dépassement du budget, révélant que le coût du Centre aquatique «pourrait dépasser 260 [millions d’euros]», et alertait en conséquence sur de nécessaires mesures d’économie. Et c’est ainsi que les ambitions du comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojop) ont été revues à la baisse : pour rester au plus près de l’enveloppe budgétaire initiale, la construction d’une enceinte plus «modeste» a été privilégiée. Sélectionné en avril 2020, le projet du groupe de construction Bouygues repose sur un complexe dont la capacité atteindra 5 300 places assises pendant les Jeux. Son coût total (qui inclut la concession mais aussi les provisions pour risques et aléas ainsi que les travaux de déconstruction et dépollution du site) s’élève à 174,7 millions d’euros, dont 147 millions dépensés pour le Centre aquatique et 21 millions pour le relier au Stade de France.
15 000 places, «une ligne directrice et non une règle»
Au bilan, le budget n’est pas totalement tenu, mais on reste plus près des 111,2 millions d’euros d’origine que des 260 millions redoutés. Ce qui impliquait toutefois que le nombre de places pour les spectateurs des épreuves olympiques, lui, soit divisé par trois. Et, dès lors, ne réponde plus aux exigences de World Aquatics, la fédération internationale de natation. Contactée par CheckNews, celle-ci confirme «le chiffre de 15 000 places assises pour la natation aux Jeux olympiques», qui demeure «une ligne directrice et non une règle». Et la fédération de saluer le choix des sites accueillant les sports aquatiques, «méticuleusement sélectionnés pour mettre en valeur ces sports».
De fait, il a rapidement été admis que le complexe bâti à Saint-Denis ne pourrait plus satisfaire à sa vocation initiale de réception des épreuves de natation course. Un dossier de presse diffusé en 2020, dans la foulée de l’attribution du marché à Bouygues, rapportait déjà que le site «accueillera les épreuves de waterpolo, de plongeon et de natation artistique». Dans la mesure où, complète le Cojop auprès de CheckNews, «le Centre aquatique olympique respecte le cahier des charges imposé par la World Aquatics» pour ces trois disciplines. Restait alors à lui trouver un remplaçant pour les épreuves «reines» de natation. S’il a un temps été envisagé d’installer une structure temporaire, le stade aquatique olympique, le recours à un site existant lui a été préféré.
C’est en septembre 2020, à l’occasion d’une réunion du conseil d’administration de Paris 2024, que le choix de Paris La Défense Arena a été acté. Dans le communiqué résumant cette réunion, on lit que le conseil d’administration, «invité à délibérer sur le principe d’une meilleure utilisation des sites déjà existants», a pris acte (entre autres) du «déplacement de la natation et des finales de water-polo à Paris La Défense Arena». La révision de la carte des sites de compétition «a été lancée dès le printemps 2020», suivant différents critères dont «la réduction des coûts», contextualise un second communiqué. «Les décisions prises en septembre 2020 […] ont répondu à la nécessité de contenir les conséquences de l’évolution du coût du Centre aquatique olympique, manifestement sous-évalué à l’origine», relève encore la Cour des comptes dans un rapport remis au Parlement il y a un an.
«Capacité d’accueil importante» de Paris La Défense Arena
Mais à quand remontent les premiers échanges autour d’une potentielle organisation des épreuves de natation entre les murs de Paris La Défense Arena, qui devait initialement recevoir les épreuves de gymnastique ? D’après L’Express, dès juillet 2019, des responsables de «l’arène» auraient été consultés par le Cojop sur leur latitude à accueillir la natation. «Fin 2019-début 2020 on commence à discuter piscine», retrace pour sa part un porte-parole de Paris La Défense Arena joint par CheckNews. A sa connaissance, d’autres options ont été étudiées, mais ce qui a séduit l’organisation des Jeux, c’est notamment «la capacité d’accueil importante» de la salle en sachant que «la natation est un des sports olympiques les plus suivis», ainsi que sa modularité «qui permet d’accueillir des bassins tout en garantissant un nombre de places assises suffisant».
En décembre 2022, Cojop et propriétaires de la salle ont finalement conclu un contrat de location moyennant plusieurs dizaines de millions d’euros. «Nous louons la salle et nous mettons à disposition une équipe réduite, mais nous ne sommes pas engagés dans l’organisation de l’événement», qui reste à la charge du Cojop, précise le même porte-parole. Dans le détail, la salle sera mise à la disposition du comité d’organisation pendant toute la période de location, qui court du 15 mai au 15 octobre, avec une phase de montage devant s’étaler entre le 20 mai et le 27 juin. Sur le sol de Paris La Défense Arena – des plaques rigides recouvrant une pelouse synthétique, comme dans sa configuration pour les concerts –, seront alors installés deux bassins olympiques provisoires, voués à être démontés à l’issue des Jeux. Et la salle pourra alors accueillir, dans cette «configuration natation», 14 500 spectateurs, selon le Cojop.