Depuis que Libération a révélé des propos de Julien Odoul, candidat du Rassemblement national à l’élection régionale de Bourgogne Franche-Comté, s’amusant du suicide des agriculteurs, le Rassemblement national tente d’éteindre la polémique. Après avoir d’abord assuré «ne pas se souvenir de l’échange», Julien Odoul tente désormais de disqualifier les révélations de Libération en affirmant qu’il ne parlait pas d’un agriculteur… mais d’un loup. Le candidat RN a notamment pu s’appuyer sur une retranscription de ses propos, par l’antenne régionale de France 3, mentionnant le terme «loup».
Dans une première version d’un article publié vendredi, France 3 indiquait qu’une voix avait prononcé la phrase «un loup de l’agriculteur qui se pend au faîtage de son hangar. Doit-il y avoir une trace ? (Rires) S’est-il pissé dessus ?» Julien Odoul poursuivait alors en lançant «Est-ce que la corde est française ?». Cette version a donc servi d’argument principal contre Libération, accusé de «manipulation» ce dimanche sur RTL par Marine Le Pen, déclarant : «Est-ce que vous avez lu la transcription de la conversation ? Si vous avez lu la transcription, vous ne pouvez pas faire autrement que, comme un certain nombre de vos confrères, vous apercevoir qu’il ne parle pas du tout du suicide des agriculteurs. […] Je ne vais pas rentrer dans le détail. Il parle du loup et des défenseurs du loup. Il ne parle absolument pas des agriculteurs».
▶ Sur les propos de @JulienOdoul.
— LCI (@LCI) June 6, 2021
🗣 @MLP_officiel : "Il ne parle pas du tout du suicide des #agriculteurs. Il parle du loup et des défenseurs du loup. C'est très grave d'utiliser ce type de méthodes", qu'elle qualifie de "boules puantes".
📺 #LeGrandJury #La26 @agindre. pic.twitter.com/iQpI4Yg6MS
Invité de Jean-Marc Morandini ce lundi, Julien Odoul a maintenu qu’il ne se moquait pas du suicide d’un agriculteur, expliquant que «Libération, à partir d’une conversation privée d’une réunion de groupe, a tiré vingt secondes d’enregistrements de propos tronqués, totalement déconnecté de la conversation totale. Et donc du vrai sujet et donc m’accuse à partir de ça, de m’être moqué d’un suicide d’un agriculteur». S’il confirme avoir bien prononcé la phrase «Est-ce que la corde est française ?», il assure qu’«à aucun moment, puisque la retranscription encore une fois qui a été faite par France 3 était claire, a aucun moment, nous ne nous moquons du suicide des agriculteurs». Selon le candidat RN, «il y a un mot qui a été enlevé par Libération qui est loup» et insiste «mon collègue avant parle du loup».
«Tout le monde a bien compris qu’il parlait du suicide d’un agriculteur»
Contactée par CheckNews, la rédaction de France 3 explique avoir eu accès à un enregistrement d’une trentaine de secondes, dont elle a fait la transcription. Après avoir entendu l’enregistrement de Libération, de meilleure qualité, la rédaction a corrigé son verbatim en retirant le mot loup. Cette explication figure d’ailleurs dans la dernière mise à jour de l’article.
A propos du contexte, le journaliste à l’origine de la première transcription assure qu’«il est en tout cas clair que la discussion porte sur le suicide des agriculteurs.» Aucun doute non plus, pour le rédacteur en chef de France 3 Bourgogne, Jean-Philippe Tranvouez : «Tout le monde a bien compris qu’il parlait du suicide d’un agriculteur. Là-dessus, il n’y a pas de loup».
Un enregistrement de cinq minutes mais pas de loup
Sur CNews, Julien Odoul a fini par suggérer qu’«il faudrait avoir l’enregistrement, avant et après» pour comprendre ses propos. CheckNews a justement eu accès à un enregistrement de cinq minutes qui comprend la phrase «est-ce que la corde est française ?», désormais assumée par le candidat RN. Nous publions ci-dessous sa transcription. Certains passages sont parfois inaudibles en raison de la respiration sonore de la personne qui enregistre, parce que plusieurs personnes parlent en même temps et que le micro est loin des intervenants. Au cours de ces cinq minutes, il n’est jamais fait mention de la présence de loups dans la région, ou «des défenseurs du loup» comme a pu le dire Marine Le Pen. L’extrait porte surtout sur les budgets alloués à l’agriculture, en baisse, et sur l’idée d’une allocation pour venir en aide aux agriculteurs. Un homme propose alors un «plan anti-suicide» qui provoque des réflexions douteuses, suivies de rires.
«Depuis hier, déjà si on redresse le budget filière et puis la [inaudible] d’exploitation. Le budget soutien aux filières, déjà il est en baisse de quasi 20 % pour 2020. Donc déjà il faut le redresser à hauteur de l’année dernière. Donc déjà ça va impacter. Et le [inaudible] d’exploitation est en baisse de 11 %. [inaudible] Donc là déjà, ça donne déjà les chiffres. Au total le budget, il fléchit de 5 %, donc si on regarde, je pense que ça fait un budget max de… Je ne sais pas.
- [inaudible] les 20 % d’agriculteurs qui ne se versent pas de revenus. Est-ce qu’on ne peut pas donner un coup de pouce ?
- C’est toujours la même chose. Est-ce qu’en termes de collectivité, on peut faire une aide qui va aux revenus directement d’un chef d’entreprise. Je ne suis pas sûr qu’on puisse ?
- Ben on le fait déjà pour la sécheresse, c’est directement à l’exploitant.
- Oui mais par rapport à des aléas, par rapport à une qualité. Mais hélas pour le revenu, je ne suis pas sûr qu’on puisse.
- Parce qu’on est dans le revenu direct. Il faut que ça soit un soutien matériel ou autres.
- On ne peut pas envoyer un chèque-cadeau quoi…»
Le passage devient inaudible puisque des personnes proches du micro parlent en même temps, évoquant la responsabilité de l’Etat plutôt que de la collectivité. En fond, des hommes parlent des options permettant la création d’une aide pour les agriculteurs. On entend les mots «sécheresse» et «plan suicide». L’idée d’un plan anti-suicide semble plaire puisqu’un homme souligne qu’«en plus, il y a une propagande médiatique» sur le sujet.
Un autre homme, plus proche du micro, avertit tout de même : «Il ne faudra pas l’appeler plan anti-suicide, ça fait anxiogène. Vraiment, vraiment anxiogène». A ce moment, un autre homme commence à rire et répète «plan anti-suicide», visiblement amusé par l’expression.
«Il y a quand même, en Bourgogne Franche-Comté, c’est un agriculteur qui [inaudible]…
- Ca c’est excellent et puis en plus on est dans l’actualité.
- Après, ça peut être accentué sur… On parle toujours du bien-être animal, [un homme rit] mais on peut parler du bien-être de l’éleveur.
- Du bien-être paysan ! Du bien-être paysan !»
Jacques Ricciardetti : «[le début de sa phrase est couvert par l’intervenant précédent]… et bien peu de l’agriculteur qui se pend au faîtage de son hangar. A-t-il laissé une trace ? [rires d’hommes] S’est-il pissé dessus ? [rires d’hommes].»
Julien Odoul : «Est-ce que la corde est française ?» [rires d’hommes et d’une femme]
Alors que plusieurs personnes parlent en même temps, un homme reprend la conversation initiale sur les budgets alloués à l’agriculture puisqu’on entend de nouveau les mots «filières», «exploitations» ainsi que des montants exprimés en million.
Un homme près du micro réagit aux propos sur l’agriculteur pendu en indiquant à son voisin :
«[inaudible] le suicide, ça ne le fait pas rire»
- Hein ?
- Je dis [inaudible] le suicide, ça ne le fait pas rire.»
On entend toujours l’homme qui parle des budgets : «Il y a en gros 400 000 euros en moins». Son discours est assez inaudible recouvert par les discussions de personnes qui semblent perdues dans l’ordre du jour. «C’est dans le 1.1 ?» chuchote un homme. «Demande à Sylvie, elle suit depuis tout à l’heure», lui répond un autre. Les bruits de pages tournées recouvrent souvent les voix. Quelques mots de cet homme sont perceptibles, quand il dit «l’adaptation des exploitations, c’est en 95. Et dans l’adaptation de l’exploitation, c’est justement ça, tu as les stockages, la récupération de l’eau de pluie. [inaudible] diminuer les crédits. Donc il y a 400 000 euros de moins dessus et 600 000 euros de moins sur les filières [inaudible] C’est la page 12. […] Depuis tout à l’heure, je cherche aussi.
- Donc il y a les étudiants agricoles, [inaudible] agriculteurs, qui ont besoin d’aide, d’un plan en fait [bruits de pages].
- Et il y a eu la certification agriculture biologique qui disparaît aussi.»
L’audio se termine alors.
Sans loup.