Question posée par Doum, le mercredi 16 octobre
La «remigration», concept cher aux identitaires, banalisée et promue à heure de grande écoute par LCI ? Vous nous avez interrogés sur une capture d’écran de la chaîne d’information, circulant sur les réseaux sociaux, sur laquelle on lit : «Remigration : l’exemple italien» Le militant identitaire Damien Rieu a partagé ce visuel sur X (anciennement Twitter), en s’en félicitant : «La remigration est devenue un terme banal. Même LCI l’utilise.»
La capture d’écran a, de fait, de quoi surprendre. Concept clé de la pensée identitaire française, la remigration désigne le déplacement forcé de populations immigrées. Ses promoteurs, non content de vouloir juguler les flux migratoires, entendent les inverser, en organisant le départ de personnes ayant été accueillies par le passé. De par son caractère massif, le concept, dans son acception d’origine, outrepasse largement les expulsions d’étrangers délinquants.
Le terme, et le projet qu’il désigne, sont revendiqués dans le débat politique français uniquement par les franges les plus extrêmes de la droite. Si le RN s’en tient plus ou moins à distance, Eric Zemmour s’en est approché progressivement. Jusqu’à proposer en 2022, lors de la campagne présidentielle, un «ministère de la remigration». En cas d’élection, le candidat Reconquête ! promettait de «faire repartir un million» d’étrangers en cinq ans.
Bandeau finalement remplacé
Si le terme est donc très connoté, la capture d’écran de LCI qui circule est pourtant bien authentique. En réalité, la chaîne d’information en continu a même diffusé plusieurs bandeaux reprenant le terme «remigration», tout au long de la journée du 15 octobre. Dans la matinée, lors de l’émission «Le temps de l’info», on a ainsi pu voir s’afficher successivement, lors d’un débat sur le sujet de l’immigration, entre 9h00 et 9h15, les bandeaux indiquant : ««Remigration» : la révolution italienne», ««Remigration : le premier bateau part d’Italie», ««Remigration», l’exemple italien», ««Remigration : Meloni fait bouger les lignes». Même chose à 10h, quand le thème revient sur la table : ««Remigration» : l’exemple italien».
Pour autant, si la politique de Giorgia Meloni a bien été abordée lors de ces échanges, et présentée comme un possible exemple pour les autres pays européens, il n’a nullement été question, contrairement à ce que pouvaient suggérer les bandeaux, de «remigration». Concept qui n’a d’ailleurs rien à voir avec la politique migratoire italienne actuelle, aussi dure et contestée soit-elle. Les différents intervenants sur le plateau ont ainsi évoqué l’externalisation par Rome du traitement de l’asile en Albanie, et les accords passés entre l’UE et certains pays, comme la Tunisie, pour éviter le passage de migrants. Des mesures visant à limiter les entrées d’immigrés, et n’ayant donc aucun rapport avec la remigration telle que la défendent les identitaires. A aucun moment du débat, d’après notre écoute, le terme «remigration» n’est d’ailleurs prononcé par les intervenants.
Bis repetita, moins de deux heures plus tard, dans l’émission «LCI midi», mardi 15 octobre. Le bandeau «remigration, la solution italienne», apparaît à nouveau vers 12h06 lors du lancement du «débat du jour», à nouveau consacré à la gestion de l’immigration par les pays européens. Là encore, le débat aborde le traitement des demandes d’asile en Albanie. A noter que le bandeau est, assez vite remplacé par un autre : «Immigration, la solution italienne». Et le mot «remigration» ne reviendra plus sur les bandeaux, selon nos visionnages, y compris quand le sujet de la politique migratoire italienne sera à nouveau abordé en longueur avant 14h00, ou autour de 16h00. Signe d’une prise de conscience – tardive- de la bourde ?
Interrogée par CheckNews, la direction de la chaîne reconnaît que le terme n’était «pas approprié» et précise à propos du bandeau : «Quand on l’a vu, on l’a retiré et rectifié.»
Dans une tribune publiée en 2019 par Libération, deux chercheuses de l’Institute for Strategic Dialogue mettaient en garde contre la diffusion croissante, au-delà des cercles identitaires, du concept de remigration (à l’image la théorie raciste et complotiste du «grand remplacement», promue par les mêmes courants extrémistes). Notant la multiplication des occurrences du terme sur les réseaux sociaux, elles appelaient à «redoubler de vigilance face à la résurgence et à la normalisation insidieuse de rhétoriques extrémistes.»
Mise à jour le 17 octobre à 15h23 avec mention de la diffusion des bandeaux lors de l’émission «Le temps de l’info»