La France va-t-elle accueillir une partie des milliers de migrants arrivés en Italie ? Ce lundi 18 septembre matin sur CNews et Europe 1, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, semble avoir choisi la deuxième option. «La France ne s’apprête pas» à accueillir les migrants de Lampedusa, a-t-il déclaré tout en ajoutant que le pays aiderait «l’Italie à tenir sa frontière pour empêcher les gens d’arriver». Mais en même temps… le ministre de l’intérieur n’a pas écarté toute possibilité d’accueil. «S’il y a des demandeurs d’asile, qui sont éligibles à l’asile, persécutés pour des raisons politiques – ce sont des réfugiés – dans ce cas-là, la France, comme elle l’a toujours fait, peut accueillir des personnes», a-t-il expliqué avant de préciser qu’il s’agirait sûrement d’«une minorité». «Nous avons toujours […] pris une partie du fardeau des Italiens et des Grecs», s’est vanté le ministre.
La France pourrait donc recevoir non pas des «réfugiés», comme le dit le ministre, mais des demandeurs d’asile, c’est-à-dire des personnes qui ont passé, en Italie, la première étape du dépôt de la demande. Gérald Darmanin semble ici demeurer ouvert, au moins sur le principe, à l’appel lancé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dimanche. Elle avait «exhort[é] les autres Etats membres à utiliser le mécanisme de solidarité volontaire», pour soulager l’Italie.
Ce dispositif adopté en 2022 par treize Etats de l’UE (dont la France et l’Allemagne) est une énième tentative d’organiser et encourager la solidarité européenne vis-à-vis de l’accueil des réfugiés. Depuis 2015, l’Union européenne tente, sans grand succès pour l’instant, de mieux répartir l’accueil des demandeurs d’asile entre les Etats membres.
Contradiction apparente
Pour rappel, selon le règlement de Dublin III, la demande d’asile doit être instruite dans le premier pays où la personne est arrivée au sein de l’Union européenne (à l’exception du Danemark), de la Suisse, de la Norvège, de l’Islande et du Liechtenstein. Ce système a pour effet de faire peser une grande partie de la gestion des demandes des personnes qui viennent en Europe sur les premiers pays d’arrivée (la Grèce et l’Italie). Certaines demandes peuvent être transférées à d’autres pays mais sous certaines conditions, comme la résidence d’un membre de la famille dans un autre pays de Dublin.
Le dispositif de relocalisation adopté en juin 2022 et évoqué par Ursula von der Leyen fonctionne, de son côté, sur le principe du volontariat. Un Etat s’engage à prendre en charge une partie des demandeurs d’asile entrés en Europe par l’Italie ou la Grèce. Mais pour l’instant, le «mécanisme de solidarité» ne semble pas vraiment avoir fonctionné à plein. D’après les données fournies par l’Agence européenne pour l’asile à CheckNews, seulement 1 160 demandeurs d’asiles arrivés en Italie ont été ainsi été relocalisés vers d’autres pays d’Europe depuis 2022. Sur ce total, l’Allemagne en a accueilli 1 043 et la France seulement 52.
Interrogé sur le volume de demandeurs que la France pourrait accueillir, le ministère de l’Intérieur a renvoyé à la déclaration de Gérald Darmanin sur Europe 1.
Dans la journée, l’annonce par BFMTV de l’ouverture d’un centre d’accueil de migrant à Menton, sur réquisition de la préfecture a semé la confusion et provoqué l’ire à droite et à l’extrême droite. Plusieurs responsables politiques ont ironisé sur l’apparente contradiction entre cette annonce et la fermeté affichée le matin par Darmanin au micro d’Europe 1.
Darmanin expliquait ce matin que la France n'accueillerait pas les clandestins de Lampedusa. On apprend quelques heures plus tard qu'un centre d’accueil va ouvrir à Menton : on est encore en train de se faire… endarmaniner !pic.twitter.com/cEiPJtByRM
— Gilbert Collard (@GilbertCollard) September 18, 2023
N’essayez pas de reproduire cette cascade chez vous. pic.twitter.com/FZxUhnmeqk
— David Lisnard (@davidlisnard) September 18, 2023
L’information a rapidement été démentie par la préfecture des Alpes-Maritimes. «La [préfecture] dément catégoriquement tout projet de création d’un camp de migrants à Menton. Il est prévu d’augmenter temporairement les capacités du local de police pour les étrangers en situation irrégulière interpellés, avant leur remise aux autorités italiennes», a-t-elle ainsi indiqué sur Twitter.
Interrogé par le Parisien, la mairie de Menton a donné une version légèrement divergente, évoquant « des discussions en cours entre la préfecture et la mairie », et précisant : « il n’y aura pas l’installation d’un campement avec des tentes, comme ce qu’on a pu voir à Calais, il en est hors de question. Il n’y aura pas non plus de réquisition d’hôtel ou d’équipement public, tel qu’un gymnase. Nous discutons d’une alternative à proximité de la frontière. » Selon la même source, il serait question d’une « parcelle municipale, située à côté du poste frontière et des services de la police aux frontières » permettant de « gérer administrativement une centaine de clandestins adultes qui cherchent à venir en France sans titre de séjour, de façon à ce que leur demande soit étudiée ». La mairie ajoutant, toujours selon le Parisien, que les migrants seraient « encadrés par une compagnie de CRS, sans possibilité d’aller et venir sur notre territoire. Si leur demande n’est pas valide, ils seront raccompagnés par les autorités à la frontière italienne ».
A noter qu’une autre réquisition, cette fois celle de l’hôtel Ibis Budget de Menton a également alimenté le débat. D’après l’arrêté préfectoral repéré par le conseiller municipal Reconquête Philippe Scemama, cette mesure doit permettre l’ouverture de 50 places pour l’accueil de mineurs étrangers non accompagnés.
L'Ibis Budget de Menton réquisitionné par la Préfecture pour loger 200 migrants en urgence !!!@Reconquete_06 pic.twitter.com/bl7SiRPd0U
— Philippe Scemama (@P_Scemama) September 18, 2023
Si plusieurs commentateurs ont là encore établi un lien entre l’arrêté et la situation observée ces derniers jours à Lampedusa, rien ne permet pour autant d’être affirmatif sur ce point. En effet, l’arrêté justifie la mesure en mentionnant l’afflux de mineurs depuis le début de l’année, et cite notamment l’arrivée de 248 mineurs «du 8 au 14 septembre 2023», soit avant le pic d’arrivées à Lampedusa.
La situation concernant les mineurs étrangers non accompagnés est particulièrement tendue dans le département depuis le début de l’année, comme le relève la préfecture elle-même dans l’arrêté. Pour faire face aux arrivées plus nombreuses, la préfecture avait ainsi ordonné en février la réquisition d’un appart hôtel à Antibes dans le même but. Au mois d’avril, une cinquantaine de mineurs non accompagnés avaient été accueillis dans un gymnase à Menton. Dans la soirée, le préfet a démenti tout lien entre la réquisition de l’Ibis Budget et la situation à Lampedusa. Contacté par CheckNews, le conseil départemental a lui aussi indiqué que «la demande de réquisition a été sollicitée antérieurement à la situation actuelle sur l’île de Lampedusa et n’a donc pas de lien» avec Lampedusa.
Mise à jour du 19/09/2023 avec le démenti de la préfecture concernant l’Ibis Budget.
Mise à jour du 21/09/2023 avec la réponse du conseil départemental concernant l’Ibis Budget