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La journaliste de France Inter Giulia Foïs annule sa venue à un meeting du Nouveau Front populaire

La participation annoncée de la productrice de l’émission «En marge», connue pour son engagement féministe, à une rencontre organisée par la gauche unie à Lyon a suscité une polémique à droite. La poussant à renoncer.
Giulia Foïs, à Paris, le 22 février 2020. (Frederic Stucin /Libération)
publié le 25 juin 2024 à 20h37

C’est un post publié lundi 24 juin sur le réseau social X qui a déclenché la polémique. On y voit la journaliste Giulia Foïs sous le logo du Nouveau Front populaire. Le visuel annonce la participation de Giulia Foïs présentée comme «journaliste, autrice, féministe» au meeting de la coalition de gauche prévu ce mercredi 26 juin à Lyon. Depuis, la productrice de l’émission «En marge» sur France Inter fait l’objet d’attaques en ligne, en grande partie venue de l’extrême droite, la contraignant à annuler sa venue.

Dès lundi soir, Amine El Khatmi, fondateur du Printemps républicain, et désormais conseiller laïcité de Valérie Pécresse, s’indignait de l’annonce et dressait un parallèle avec la situation de Jean-François Achilli, journaliste politique de France Info, sanctionné pour avoir dissimulé à sa direction ses rencontres avec Jordan Bardella en vue de la publication d’une autobiographie. Libération avait également révélé les «ménages» que l’intervieweur politique avait faits avec le cabinet de conseil en communication Tilder. «La journaliste de France Inter Giulia Foïs qui va chauffer l’estrade d’un meeting mélenchoniste à Lyon sera-t-elle convoquée par la direction de Radio France comme le malheureux Achilli, licencié sur la base de soupçons jamais avérés ? Le privilège rouge en actes !»

Ce mardi, les médias de la bollosphère, agissant comme de coutume de concert, se sont jetés sur l’«affaire», dénonçant la collusion entre l’audiovisuel public et la gauche. «La journaliste de France Inter Giulia Foïs va animer un meeting du Front Populaire alors que Jean-François Achilli a été viré de France Info pour de simples échanges avec Jordan Bardella», écrit Jean-Marc Morandini, présentateur sur CNews, sur son blog ce mardi. La chaîne a consacré une partie de ses antennes au sujet.

Puis c’est au tour de Cyril Hanouna d’en remettre une couche sur Europe 1 : «Il y a une journaliste et autrice, Giulia Foïs […] qui devrait intervenir dans un meeting du Front Populaire. […] France Inter, ils sont tranquilles, ils font ce qu’ils veulent. On se rappelle, Jean-François Achilli, qui a été licencié pour faute grave par Radio France pour l’écriture d’un livre sur Jordan Bardella, qu’il n’a pas écrit. Elle, elle peut se permettre, elle a même fait des affiches.»

Contacté par CheckNews, l’entourage de la candidate Marie-Charlotte Garin, connue pour ses combats féministes à l’Assemblée nationale, confirme que la députée sortante a proposé samedi à la productrice de participer à son rassemblement à Lyon mercredi. Après avoir obtenu la confirmation de la venue de la journaliste, les équipes de Marie-Charlotte Garin ont produit un visuel avec le logo du Nouveau Front Populaire et emprunté la photographie de la journaliste disponible sur le site de Radio France.

«J’y allais comme mère, comme femme et comme féministe»

Contactée par CheckNews ce mardi, Giulia Foïs, marquée par le harcèlement en ligne de ces dernières 24 heures, explique pourquoi elle a accepté l’invitation de Marie-Charlotte Garin : «Je suis militante féministe, ça n’aura échappé à personne. J’écris des livres, ça n’aura échappé à personne et je prends régulièrement position publiquement pour défendre les droits des femmes et aussi des enfants.» Elle explique qu’elle avait prévu d’intervenir en tant qu’autrice et féministe, non pas «pour animer un débat», comme l’accusent certains, mais pour tenir un discours dont le fil rouge était en lien son fils, en situation de handicap. «On sait ce que fait l’extrême droite au handicap et à aux handicapés et à tout ce qui sort de la norme. On sait ce que le RN promet pour les femmes aussi, donc quand l’heure est si grave, j’y vais avec mon cœur, j’y vais avec mes tripes.»

«Le discours que je comptais prononcer n’était pas une adhésion militante à un parti. J’y allais comme mère, comme femme et comme féministe», et donc pas comme journaliste, suggère-t-elle. Giulia Foïs a transmis à CheckNews le texte de deux pages qu’elle entendait lire. La quadragénaire y critique sévèrement la détérioration du débat public et l’ascension de l’extrême droite. Elle se montre cependant optimiste grâce à la mobilisation progressiste et partage son expérience personnelle avec son fils, en situation de handicap, pour souligner la nécessité d’un monde plus inclusif.

Concernant la mise en cause de France Inter, Giulia Foïs souligne qu’elle est «journaliste à France Inter et ailleurs. France Inter représente le tiers de mon temps et le tiers de mon salaire. Tout le reste je le fais soit comme journaliste dans la presse écrite, soit comme autrice. Donc je ne représente pas France Inter dans le sens où je ne suis pas staffée, je ne suis pas en CDI là-bas. Je ne suis pas journaliste là-bas. Je suis productrice, je travaille au programme». Réagissant à la comparaison largement faite, elle affirme que «c’est tout à fait différent de Jean-François Achilli qui avait un poste de journaliste et qui est à la rédaction». C’est aussi en qualité de journalistes que cinq membres de la rédaction de France Télévisions ont été «mis en retrait» par leur direction vendredi 21 juin, jusqu’au 8 juillet (le lendemain du second tour des élections législatives), pour avoir signé une tribune appelant à faire «front commun contre l’extrême droite».

N’appartenant pas à la rédaction de France Inter, Giulia Foïs est productrice d’une émission diffusée le samedi, qui porte principalement sur les questions liées au genre et aux thématiques féministes.

«Les temps sont détestables»

Elle souligne par ailleurs que son contrat «est terminé, depuis très peu. Actuellement, je ne suis plus sous contrat. Comme tous les intermittents, j’ai des contrats de septembre a mi fin juin en fonction de la grille d’été. Donc juridiquement, je suis parfaitement libre de mes mouvements et de mes prises de position que France Inter et Radio France ont toujours connus et ont toujours soutenu d’ailleurs. Ils savent très bien d’où je parle. Je n’ai jamais fait mystère de mes engagements».

A propos de sa place dans un meeting politique, l’autrice féministe admet que, «en temps normal, avec des forces politiques normales et un jeu de partis tous normaux, peut-être que je leur aurais dit démerdez-vous, moi je continue à faire mon taf». Elle déplore la situation politique actuelle, où «on a réussi à faire croire que le Rassemblement national est un parti comme les autres» et aurait aimé «voir la presse tout entière vent debout contre cette menace que représente l’extrême droite, parce qu’on sait très bien que c’est une menace pour notre liberté d’exercer notre métier».

Giulia Foïs a toutefois décidé d’annuler sa venue, annonçant ce mardi sur le réseau social X qu’elle ne participerait pas au meeting lyonnais. Dans son message, elle écrit : «Les temps sont détestables. Les arbitrages, douloureux. Radio France emploie 4000 personnes. Je refuse que mes engagements soient utilisés pour leur nuire. Je me battrai pour les droits des femmes, et de toutes les minorités, à l’antenne d’Inter, où ma voix porte. Force à vous.»

Elle assure qu’elle n’a pas fait l’objet de pression de la part de la direction de la chaîne de service public. La journaliste raconte avoir prévenu la direction de France Inter de sa participation au meeting lundi soir, en précisant qu’elle avait demandé à la candidate écologiste de ne pas mentionner la radio.

Giulia Foïs explique avoir changé d’avis mardi matin, après avoir échangé par mail et par téléphone avec la direction de France Inter. «J’ai été sensible à un argument : c’est que Radio France emploie 4000 personnes et que ces 4000 personnes essayent de travailler dans des conditions qui sont détestables en ce moment.» Elle décrit des échanges «assez doux» avec la direction de la radio, qui s’est montrée «très empathique».

«Ce n’est ni l’ambiance Meurice, ni l’ambiance Achilli», décrit la journaliste, qui estime pouvoir encore compter sur la chaîne de radio pour une prochaine saison à la rentrée. Contactée par CheckNews, la chaîne de radio France Inter n’a pas répondu à notre sollicitation. Ce mardi, les visuels ont disparu des pages de la journaliste, ainsi que de celle de la députée Marie-Charlotte Garin. Une autre personnalité est annoncée en remplacement : la vidéaste Lumi, qui coanime avec Usul l’émission Rhinocéros sur le média Blast, engagé à gauche.