Pour l’émission culte la Maison des maternelles, c’est une illustration de la tendance «no kids». Dans un post Instagram très partagé, le programme consacré à la parentalité écrit : «Les enfants font trop de bruit, la justice prive l’école de sa cour de récré.» L’histoire, en cette période de rentrée scolaire, suscite une large indignation et a fait l’objet de nombreux articles de presse.
A l’origine, c’est le site Actu.fr qui fait le récit de cette affaire se déroulant dans un quartier cossu du parc de Maisons-Laffitte, dans les Yvelines. En 2017, une école privée Montessori internationale s’installe dans un pavillon rue de la Muette, un joli bâtiment rénové bénéficiant d’un extérieur de 100 m². Trop peu, pour la centaine d’écoliers de la maternelle à la fin de l’élémentaire qui fréquentent l’établissement. «En mars 2021, nous avons la possibilité d’acheter une parcelle de 500 m² située à droite de l’école, explique à CheckNews Tristan Micol, président de Cube Education, qui gère plusieurs écoles Montessori. Cela nous permettait d’agrandir notre espace privatif extérieur.»
Nouvelle cour de récré et conflit de voisinage
En 2021, les enfants profitent donc d’une nouvelle cour de récréation, bien plus spacieuse que l’ancienne. Mais les ennuis ne tardent pas à commencer. De l’autre côté de la haie, donnant sur l’avenue Lavoisier, se trouve le terrain d’une résidence, en l’occurrence un bel hôtel particulier divisé en plusieurs appartements. Et dont plusieurs copropriétaires se plaignent de «nuisances sonores et visuelles du fait de la cour de récréation de l’école». S’ensuivent deux ans de conflits de voisinage, ponctués de tentatives de conciliations infructueuses. En mars 2023, le syndicat de la résidence assigne la société gestionnaire de l’école devant le tribunal judiciaire de Versailles. Le jugement, consulté par CheckNews, est rendu en mai 2025. Il donne raison aux copropriétaires et interdit toute utilisation de la parcelle de 500 m² «à titre de cour de récréation», ce de manière exécutoire, c’est-à-dire avec effet immédiat. L’appel formulé depuis par l’école n’y fait rien : à la rentrée, les enfants n’avaient plus accès au grand extérieur.
D’après nos informations, les cinq plaignants – parmi lesquels deux n’ont pas établi à Maisons-Laffitte leur résidence principale – font valoir que plusieurs d’entre eux «sont désormais en télétravail» et que «compte tenu des bruits générés, il leur est désormais impossible de profiter paisiblement du jardin de la copropriété, de leur terrasse, mais également de leur propre bien en laissant les fenêtres ouvertes». Et de décrire un «sentiment d’enfermement forcé alors qu’ils se trouvent chez eux». Dans le cadre de la procédure, ils ont mesuré le bruit leur parvenant depuis l’école, fixant selon eux les nuisances entre 60 et 85 décibels. Lesquelles «apparaissent pénibles et risquées pour la santé des copropriétaires», rappellent-ils dans l’exposé du litige.
Le cahier des charges de Jacques Laffitte
L’avocat versaillais en charge du dossier n’a pas répondu aux sollicitations de CheckNews. Auprès de Actu.fr, il dénonce «d’importantes nuisances sonores pouvant durer pendant cinq heures par jour sans discontinuer». Ce point est discuté par la direction de l’école. Tristan Micol réagit : «C’est faux. Les récréations durent trois fois 45 minutes.» Dans le jugement, on peut lire que les récréations se déroulent pendant une heure le matin, une heure l’après-midi, et une heure en fin d’après midi pour les activités extrascolaires.
Mais au cœur de leur argumentaire figure surtout un document bien précis : le cahier des charges de Jacques Laffitte, en date de février 1834, qui régit le parc de Maisons-Laffitte, où se situent à la fois la résidence et la cour de l’école. Ce règlement interdit l’installation de tout «établissement insalubre, des usines, des manufactures, des exploitations, ni commerce, ni industrie, ni en un mot exercer un état quelconque pouvant nuire, soit par le bruit soit par l’odeur».
Dommages et intérêts
Pour la partie adverse, la «portée de ce document est à relativiser dès lors qu’il est ancien». Ce n’est pas l’avis du tribunal, qui a jugé que le cahier des charges, correspondant à un «acte judiciaire de droit privé», était applicable aux copropriétaires. Et que l’école, par les nuisances sonores occasionnées au préjudice de leurs voisins immédiats, n’en respectait pas les dispositions.
Outre la fermeture de sa cour de récréation, l’école est également condamnée à payer au syndicat 10 000 euros «au titre du trouble de jouissance collectif». En revanche, le tribunal a débouté les copropriétaires de leurs demandes individuelles de dommages et intérêts au titre de préjudice moral, de perte de valeur du bien immobilier, ou du préjudice financier lié aux travaux d’isolation phonique.
Dans cette affaire, une prochaine audience est prévue en octobre afin de discuter du caractère exécutoire de la décision. Sur le fond, un jugement en appel n’est pas encore fixé. Selon Actu.fr, la mairie de Maisons-Laffitte tente de trouver des solutions, en proposant notamment de mettre à disposition des enfants un jardin à 300 mètres de l’école et d’effectuer des travaux de voirie afin de sécuriser leur trajet le long de la route.
L’avocat des copropriétaires, auprès d’Actu.fr, ajoute : «Mes clients peuvent comprendre le désarroi des parents d’élèves […] qui, tout comme eux, subissent les conséquences des décisions non judicieuses prises par la direction de l’établissement scolaire. Mes clients ont toujours manifesté, et manifestent encore, leur volonté de parvenir à une solution amiable, dans l’intérêt supérieur de l’ensemble des parties concernées.»
Mais pour le gestionnaire de l’établissement, l’avenir de l’école est compromis. «Plusieurs familles hésitent à inscrire leur enfant ailleurs. Cet été, on a déjà perdu 10 élèves à cause de cette histoire.»