Question posée le 29 juin
Bonjour, vous nous avez interrogé à propos d’une déclaration de la porte-parole de la police nationale, Sonia Fibleuil, à propos de l’usage des armes à feu par les policiers, contredisant des articles de presse. Ce mercredi 28 juin sur Public Sénat, la porte-parole a affirmé que l’usage des armes par les policiers suivaient des «tendances baissières». «Il y a eu 138 tirs sur les véhicules en mouvement en 2022, contre 157 en 2021. Il y a aussi une baisse de l’usage de l’arme par les policiers, contrairement à ce qui est dit, de plus de 300 avant 2019 […] à 290 en 2021 et 285 en 2022», a-t-elle notamment affirmé, statistiques de 2022 (pas encore publiques) à l’appui.
Des chiffres qui contredisent les analyses publiées depuis mercredi dans la presse : Libération faisait notamment état d’une «inflation létale» en matière de tirs policiers contre des automobilistes. En se basant sur les chiffres publiés annuellement par l’IGPN, Libération calculait qu’«entre la période 2012-2016 d’une part, et 2017-2021 d’autre part, l’usage des armes par les policiers a augmenté de 26 % ; et les usages de l’arme contre un véhicule ont augmenté de 39 %».
Nanterre :
— Public Sénat (@publicsenat) June 28, 2023
EXCLUSIF - "Il y a eu 138 tirs sur les véhicules en mouvement en 2022, contre 157 en 2021. Il y a aussi une baisse de l'usage de l'arme par les policiers, contrairement à ce qui est dit, de plus de 300 avant 2019 à 285 en 2022", pointe @PorteParolePN #SensPublic pic.twitter.com/0HugLBZcjj
«Tendance baissière», ou plateau surélevé ?
Tout est question de dates. Pour arriver à la hausse de 26% cité dans l’article, Libération fait une comparaison entre les usages d’arme sur la période 2012-2016, et sur la période 2017-2021. Idem pour la hausse de 39% concernant les usages de l’arme contre un véhicule en mouvement.
La porte-parole de la police, elle, insiste sur le fait que les usages de l’arme (dans l’absolu ou sur un véhicule en mouvement) sont sur une tendance légèrement baissière depuis le pic connu en 2017. Ce, en ajoutant les dernières données de 2022, qui ne sont pas encore publiques et n’ont pas été prises en compte dans l’article.
Un constat véridique, mais qui n’invalide pas le fait que les chiffres des six dernières années, depuis 2017, demeurent plus élevés que ceux des cinq années précédentes, comme l’écrit Libé.
La date de 2017 ne doit rien au hasard : c’est en effet en février de cette année-là qu’a été votée une loi de sécurité intérieure, et notamment son article 435-1 venu assouplir les règles en matière d’usage des armes à feu par les forces de l’ordre.
Ainsi, si Sonia Fibleuil a raison d’évoquer des «tendances baissières» en matière d’usage des armes à feu par la police sur les dernières années (par rapport au pic de 2017), il est en revanche totalement faux d’affirmer, comme l’a fait Gérald Darmanin lors des questions au gouvernement, que «depuis la loi de 2017, il y a eu moins de tirs qu’avant 2017». Le ministre avait également élargi cette affirmation erronée aux tirs mortels ; mais là encore, c’est faux.
Des tirs mortels en nette hausse
S’agissant du nombre de tirs mortels, le recensement par le média en ligne Basta ! des «missions et interventions de police et gendarmerie ayant provoqué la mort» est catégorique. Alors que le nombre de décès par ouverture du feu des forces de l’ordre oscillait entre 3 et 14 par an entre 2010 et 2019, il a explosé depuis : 12 en 2020, 18 en 2021 et même 26 en 2022. Or si la gendarmerie est incluse dans ces chiffres, son usage des armes à feu, toutes situations confondues, n’a augmenté que de 10 % entre 2012-2016 et 2017-2021.
Une explosion que vient étayer par l’étude statistique menée par Sebastian Roché (CNRS), Paul Le Derff (université de Lille) et Simon Varaine (université Grenoble-Alpes) : celle-ci a établi que le nombre de tués par des tirs policiers visant des personnes se trouvant dans des véhicules a même été multiplié par cinq entre avant et après le vote de la loi de 2017. Ce, alors que comme le note Libé, «le nombre de personnes tuées par les autres tirs policiers diminuait légèrement».