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L’aide médicale a-t-elle été suspendue en Nouvelle-Calédonie à cause des émeutes de mai ?

La présidente de la province Sud de Nouvelle-Calédonie, Sonia Backès, a suspendu une aide médicale pour les plus démunis en raison de problèmes financiers, mais aussi en conséquence des émeutes indépendantistes commencées en mai.
A Nouméa le 24 juin 2024, à proximité d'un barrage lors des émeutes qui ont touché l'archipel. (Delphine Mayeur /AFP)
publié le 12 juillet 2024 à 18h08

«Tu casses, tu paies.» Le 5 juin, Sonia Backès, actuelle présidente de la province Sud de Nouvelle-Calédonie et ex-secrétaire d’Etat chargée de la citoyenneté du gouvernement Borne, s’est inspirée de la punchline du discours de politique générale de son ancien collègue Gabriel Attal, pour publier un statut sur Facebook (supprimé depuis). Elle annonce «à ceux qui ont brûlé, pillé, bloqué la Calédonie, à ceux qui continuent, [que] la province leur supprimera toutes les aides dont ils bénéficient». Venue de la droite, cette farouche opposante aux indépendantistes kanak cite les «bourses, logements sociaux, aide au logement, aide médicale» parmi les aides qui pourraient être suspendues.

Un mois plus tard, c’est en partie chose faite. Sur Facebook, la cheffe de files des loyalistes a publié un nouveau statut ce jeudi dans lequel elle dit avoir «annoncé aux professionnels de santé que les conséquences financières des exactions débutées le 13 mai dernier et les retards de paiement de ses dettes par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ne permettaient plus à la province Sud de prendre en charge les ressortissants de l’aide médicale pour les soins effectués à partir de lundi 15 juillet prochain.» Elle ajoute que «les professionnels de santé peuvent être amenés à refuser des patients relevant de l’aide médicale».

Forme de «punition collective»

L’aide médicale est une aide sociale en Nouvelle-Calédonie, destinée aux personnes ayant des faibles revenus qui leur permet d’accéder aux soins en tiers payant, c’est-à-dire sans avancer de frais. «Reste toutefois à charge du porteur de la carte un ticket modérateur de 10 % de la facture globale», indique le site de la province Sud de Nouvelle-Calédonie.

Dans une interview aux Nouvelles calédoniennes, Sonia Backès est revenue sur son annonce, qu’elle présente comme «temporaire» et due à «un problème de trésorerie». Selon ses explications, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et la sécurité sociale locale doivent de l’argent à la province Sud qu’elle administre. Pour combler ce trou et pouvoir continuer de payer les fonctionnaires locaux, elle explique avoir pris la décision de suspendre l’aide médicale.

Selon plusieurs articles de presse, publiés avant les émeutes de mai 2024 (aussi bien Actu.nc que la chaîne de service public La 1re), il y a environ 26 000 bénéficiaires de cette aide dans la Province Sud.

L’annonce de cette mesure a fait l’objet d’une controverse. De nombreux citoyens regrettent en effet une forme de «punition collective» qui serait impensable dans un autre territoire français. «Supprimer l’aide médicale de 25 000 personnes pour faire “payer” 4 000 émeutiers. Encore une bien belle mesure de justice sociale à mettre au crédit de la présidente de la province Sud de Nouvelle-Calédonie», déplore ainsi une internaute sur le réseau social X.

Dans les commentaires sous la publication Facebook de Sonia Backès, plusieurs citoyens ont fait part de leurs angoisses, évoquant les cas des personnes âgées placées en Ehpad ou des situations personnelles de handicap. La présidente de la province Sud leur a répondu en commentaire que ces cas font partie d’exceptions.

«Problème de trésorerie»

Interrogée sur la mise en place de la mesure par les Nouvelles Calédoniennes, Sonia Backès a assuré qu’à partir de lundi, les médecins pourront refuser les malades qui ne peuvent pas payer. «Soit le professionnel de santé ne prend plus en charge les personnes bénéficiant de l’aide médicale, soit ils décident de les prendre en charge, en se disant qu’il sera remboursé un jour, mais pas tout de suite», explique la présidente de la province Sud.

Dans cette interview, la cheffe de file des loyalistes modifie son explication sur la suspension de l’aide médicale. Quand le média lui fait remarquer que «certains Calédoniens risquent de voir cette décision comme une punition directement liée aux exactions», elle répond par la négative assurant que «c’est simplement un problème de trésorerie». Sur Facebook, l’élue se montrait pourtant plus véhémente quand elle citait d’abord «les conséquences financières des exactions débutées le 13 mai dernier» avant les retards de paiement du gouvernement.

A la fin de son entretien avec les Nouvelles calédoniennes, Sonia Backès précise que les bénéficiaires de l’aide médicale, qui auront besoin de voir un médecin à partir du 15 juillet, «peuvent quand même se faire soigner dans les CMS (centres médico-sociaux) qui n’ont pas été brûlés et où la vie des personnels soignants n’est pas menacée comme à l’île des Pins. Les CMS [centres médicosociaux, ndlr] du Grand Nouméa et de Brousse sont ouverts. Ils seront pris en charge s’ils sont malades tout comme les hospitalisations, donc on ne les abandonne pas pour autant.»

Auprès de la chaîne de télévision La 1ère, le docteur Paul Bejan, également vice-président du conseil de l’ordre des médecins, avait estimé qu’une suppression de l’aide médicale serait contre-productive et démontrerait un «manque d’empathie». Surtout, il rappelle qu’en décourageant les malades de se faire soigner par manque de moyens, la société prend le «risque de se retrouver avec quelqu’un qui a une grosse pathologie qui coûtera plus cher».