Dans un message accompagné d’une vidéo et de deux photos, postées sur Twitter (rebaptisé X) le 14 octobre, l’ancienne maire adjointe de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), Isabelle Balkany, accuse la représentante de la Palestine en France d’avoir tenu des propos antisémites dans un des cafés de cette ville de la banlieue parisienne.
«Dans une brasserie à #Levallois… Une «punaise», sciemment très fort : «Tous les youpins doivent être tués…» Elle est «ambassadrice de l’Autorité palestinienne en France»… Une jeune Levalloisienne s’insurge aussi sec… Bravo l’abeille, je vous serre dans mes bras !» écrit-elle.
Dans un autre tweet, en réponse à un internaute, Isabelle Balkany affirme également que suite à cet épisode, la supposée représentante de l’Autorité palestinienne a été arrêtée.
«Prononcés avant la vidéo»
Le lendemain, un message similaire est publié par l’avocat Gilbert Collard, relayant la même vidéo, et accusant lui aussi «Noha Rashmawi, la représentante de l’Autorité palestinienne et ancienne vice-présidente de l’école de journalisme de Paris» d’avoir dit : «Des youpins, ils méritent être exterminés.»
Le son de la vidéo n’est que partiellement compréhensible. Les paroles émanent essentiellement d’une jeune femme C. (1), que l’on voit de dos sur les images, s’adressant à une tablée de trois clients. Dont une femme au premier plan, présentée par Isabelle Balkany et Gilbert Collard comme la responsable de l’Autorité palestinienne à Paris.
C : «… se sont fait égorgés (inaudible)… brûlés… (inaudible) Vous avez pas vu ? Mais je vous les montre madame, je vous les montre les vidéos. Je vous les montre avec plaisir. Vous allez jouir de ça, vous allez jouir de ces vidéos.»
Son amie qui la filme, et dont on n’entend que la voix : «La honte, votre tête elle va être envoyée aux médias.»
C : «Des youpins (inaudible) …. ça fait plaisir.»
Son amie : «Des Français au restaurant, ils méritent d’être exterminés, vous avez pas honte ?»
C : «Je vais vous les montrer les vidéos, vous allez voir, de vos yeux.»
Contactée par CheckNews, Isabelle Balkany reconnaît ne pas avoir assisté à la scène, expliquant que la vidéo lui a été transmise de manière privée. Avant qu’elle ne la publie donc sur Twitter. Pourquoi n’entend-on pas la femme tenir les propos qui lui sont reprochés ? «Ils ont été prononcés avant la vidéo, affirme-t-elle. D’ailleurs, plein de gens ont assisté à la scène. C’est vraiment une enfl…»
Que s’est-il réellement passé dans cette brasserie de Levallois-Perret, jeudi 12 octobre, à l’heure du déjeuner ? Première précision, comme Isabelle Balkany le reconnaîtra elle-même sur le réseau social dans un second temps (sans supprimer le premier message) : la femme attablée, accusée d’avoir prononcé des paroles antisémites, n’est pas la représentante de l’Autorité palestinienne en France, mais l’ancienne cheffe de cabinet, jusqu’en 2017, du précédent représentant.
«Pas placée en garde à vue»
Jointe par CheckNews, Noha Rashmawi livre sa version : «Je déjeunais avec une amie journaliste et son mari, qui est souffrant. Nous parlions de la situation à Gaza et quelqu’un soudain s’est mis à hurler, estimant que le mari de mon amie avait dit le mot «youpins» en parlant des juifs. Un homme a alors appelé la police, qui est venue l’interpeller. Ce n’est donc pas moi qui ai tenu ces propos et qui ai été placée en garde à vue. Après le déjeuner, je suis rentrée chez moi.»
Interrogée plus précisément sur les mots prononcés à sa table, Noha Rashmawi concède : «Je pense qu’il a utilisé le mot «youpin» puisqu’il l’a reconnu lui-même, et n’a pas voulu s’excuser, mais je ne l’ai pas entendu parler de «les brûler». Cet homme est d’extrême droite et je ne partage absolument pas ses idées, ni son vocabulaire. Sa femme m’a d’ailleurs demandé de les accompagner au commissariat et j’ai refusé. Je ne veux pas du tout être associée, ni associer la Palestine, à ces propos, qui sont contraires à mes valeurs.»
Contacté par CheckNews, le parquet de Nanterre confirme que Noha Rashmawi n’est pas en cause : «Madame Noha Rashmawi n’a pas été placée en garde à vue dans le cadre d’une procédure où elle a seulement été citée comme présente lors de faits commis le 12 octobre 2023 à Levallois-Perret dans l’établissement que vous citez.» Avant de poursuivre : «Je vous confirme également qu’un homme avec lequel elle se trouvait a été interpellé, placé en garde à vue et déféré vendredi 13 octobre 2023 dans le cadre d’une comparution immédiate pour des propos qualifiés de provocation publique et directe non suivie d’effet à commettre un délit ou un crime. Le dossier a été renvoyé au 17 novembre 2023 avec placement sous contrôle judiciaire de l’intéressé.»
Selon nos informations, il s’agit de Charles Saint-Prot, 72 ans, docteur en droit, islamologue et ancien juriste de l’armée française, proche de l’Action française. Une organisation dont le colloque en ligne en 2021 avait comme invité… Gilbert Collard. Et sur une des photos accompagnant la vidéo postée par Isabelle Balkany, on peut effectivement le voir, de dos, être emmené par la police.
Suite à la découverte de la vidéo postée par Isabelle Balkany, deux jours après la scène du café, Noha Rashmawi a décidé de porter plainte contre l’ancienne maire adjointe de Levallois Perret, C. et Gilbert Collard, pour «diffamation envers particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication par voie électronique».
Dans un communiqué publié le 15 octobre, Hala Abou-Hassira, la représentante de la mission Palestine en France – la vraie – se disant «sidérée», a annoncé aussi réfléchir à des poursuites : «Depuis la diffusion et la propagation de cette fake news, l’ambassadrice est la cible d’une campagne de cyberharcèlement, incitation à la haine, injures, diffamation, menaces.» Dans ces conditions, poursuit le communiqué, l’ambassadrice «se réserve le droit d’entamer des poursuites pénales contre toutes personnes contribuant à la diffusion de cette information mensongère et diffamatoire».
(1) CheckNews n’a pas été en mesure d’identifier formellement cette personne.