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Lampedusa : comment Emmanuel Macron et Gérald Darmanin font disparaître les «demandeurs d’asile» de leurs discours

Migrants, réfugiés... face à l'exodedossier
Le président de la République comme le ministre de l’Intérieur évoquent d’un côté les «migrants» et de l’autre les «réfugiés», terme préféré à «demandeur d’asile». Une sémantique dénoncée par les associations.
Des migrants dans un bus, après leur arrivée sur l'île italienne de Lampedusa, le 16 septembre 2023. (Yara Nardi/Reuters)
publié le 25 septembre 2023 à 17h48

La question reste en suspens : la France va-t-elle accueillir une partie des plus de 16 000 personnes qui sont arrivées à Lampedusa entre le 11 et le 20 septembre ? Interrogé sur l’accueil de migrants arrivés à Lampedusa lors de son interview télévisée sur TF1 et France 2, le président de la République a soutenu la position de Gérald Darmanin et entretenu la confusion autour du profil de ces personnes arrivées sur l’île italienne. «Le ministre de l’Intérieur a eu raison de distinguer la situation de migrants qui arrivent et qui iraient à travers l’Europe avec les femmes et les hommes à qui on donnerait un titre et qui sont en attente de l’asile, et qui sont à ce moment-là des réfugiés, des gens dont on instruit la situation», a-t-il déclaré.

Une formulation incorrecte : en France, les personnes en attente de l’asile sont les demandeurs d’asile, et ne seront officiellement reconnues comme «réfugiés» que si elles en obtiennent le statut défini par la convention de Genève de 1951, comme l’explique par exemple le ministère de l’Intérieur sur son site. Cette approximation sémantique pourrait sembler anecdotique si elle n’avait pas été faite aussi par Gérald Darmanin. Lors de son intervention sur TF1, mardi 19 septembre, le ministre de l’Intérieur a aussi appelé à distinguer «les migrants des personnes qui sont des réfugiés politiques».

«Méthodes de l’extrême droite»

Rappelons que le terme de «migrant», ici utilisé pour définir la majorité des arrivants qui, selon Gérald Darmanin, n’aurait rien à faire en Europe, est un terme générique qui n’a pas de définition juridique. Selon l’ONU, il désigne «toute personne qui a résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les causes, volontaires ou involontaires, du mouvement, et quels que soient les moyens, réguliers ou irréguliers, utilisés pour migrer». Il se distingue du terme officiel de «demandeur d’asile» (quelqu’un qui a déposé une demande d’asile auprès des autorités d’un pays) ou de «réfugié» (une personne ayant obtenu l’asile, et plus précisément le statut de réfugié défini par la convention de Genève de 1951).

Cette volonté de ne communiquer que sur deux catégories, d’un côté les «migrants», de l’autre les «réfugiés», en «effaçant» les demandeurs d’asile, est dénoncé par les associations d’aides aux migrants. «C’est dramatique, on nous fait croire qu’il y a de bons et de mauvais exilés», déplore le fondateur de l’association d’aide aux migrants Utopia 56, Yann Manzi. «C’est difficile de dire non à quelqu’un qui demande l’asile dans l’inconscient collectif, donc on va effacer le terme», analyse Pierre Roques, coordinateur à l’association l’Auberge des migrants. Le responsable associatif estime même qu’en «mélangeant les termes pour essentialiser ces personnes», le gouvernement «adopte les méthodes de l’extrême droite».

Rhétorique habile

Pierre Henry, à la tête de l’association France Fraternités, dénonce aussi la «confusion» entretenue et rappelle «toute personne qui arrive sur le territoire a le droit de demander l’asile». «Cela ne veut pas dire qu’elle va l’obtenir, mais son dossier doit être examiné. On ne peut pas dire qu’un certain nombre de nationalités ne répondent pas du droit d’asile, les craintes sont toujours individuelles», explique l’ancien président de France terre d’asile. Et de souligner : «Oui, il y a des demandeurs d’asile qui arrivent à Lampedusa. Et à partir du moment où ils sont enregistrés et reconnus comme demandeurs, ils doivent avoir un entretien et être répartis sur le territoire européen», affirme Pierre Henry.

Il répond ainsi aux propos de Gérald Darmanin qui affirmait, le 19 septembre sur TF1, que «60 % des personnes arrivées à Lampedusa sont francophones. Il y a des Ivoiriens et des Sénégalais, qui n’ont pas à demander l’asile en Europe». Comme CheckNews l’expliquait dans un article publié vendredi 22 septembre, le ministre de l’Intérieur a répété lors de ses interventions médiatiques, la semaine dernière, contre la réalité du droit et des chiffres, que la majorité des personnes débarquées en Italie ne pouvaient prétendre à l’asile. Une rhétorique habile pour fermer la porte à un large accueil en France des migrants de Lampedusa, mais dont les fondements sont plus que fragiles. «Aujourd’hui, on ne peut pas différencier qui est réfugié de qui ne l’est pas sans étude réelle des cas. Cela fait des années qu’on nous bassine avec les pays d’origine sûrs [liste établie par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides dont ne fait pas partie la Côte-d’Ivoire, ni la Tunisie ni le Sénégal, ndlr] alors que selon le droit international, chacun a le droit de quitter son pays», estime Yann Manzi.