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L’armée israélienne avertit-elle à chaque fois avant ses frappes sur Gaza ?

Cette pratique est documentée de longue date. Mais elle n’est pas systématique, comme en témoignent de nombreux éléments rapportés ces derniers jours.

Bombardement de la tour Palestine à Gaza le 7 octobre. (Mahmud Hams/AFP)
Publié le 14/10/2023 à 9h50

C’est une affirmation brandie régulièrement : l’armée israélienne préviendrait les populations civiles quand elle frappe des cibles à Gaza. Peu après le début de frappes sur l’enclave, en riposte à l’attaque meurtrière du Hamas, un tweet largement partagé affirmait par exemple : «La réponse de Tsahal sur Gaza, c’est aussi cette singularité de l’armée d’Israël de prévenir les populations civiles en précisant les cibles qui vont être visées pour qu’ils puissent se mettre à l’abri. Ce journaliste palestinien de la BBC en témoigne.» Dans la vidéo à laquelle renvoie le post, le journaliste explique, en direct de Gaza : «La nuit dernière, l’armée israélienne a envoyé des avertissements et des messages vidéos dans le nord de Gaza, le sud et le centre. Ils leur ont demandé de partir de zones précises, ils ont dessiné des cartes pour les gens, exactement où Israël va frapper, en leur [indiquant] des zones plus sûres.»

Différents modes d’avertissement

Quatre jours plus tard, alors que Tsahal a déversé plus de 6 000 bombes, le très lourd bilan (autour de 1 900 morts selon le ministère palestinien de la Santé – sans qu’il soit possible de distinguer les membres du Hamas des civils – dont plus de 600 enfants) pose la question de la réalité de cette pratique, et a minima de son efficacité pour éviter la mort des civils.

De fait, si la pratique est documentée de longue date, elle n’est pas systématique, comme en témoignent de nombreux éléments diffusés ces derniers jours.

Depuis l’attaque du Hamas et le début de l’opération israélienne «Epées de fer», samedi matin, l’armée a multiplié les annonces à travers son porte-parole arabophone à destination des habitants de la bande de Gaza : «#Urgent Résidents de la bande de Gaza, soyez attentifs ! Les opérations du Hamas obligent Tsahal à opérer dans votre lieu de résidence. Pour votre sécurité, vous devez quitter votre lieu de résidence immédiatement», avant d’énumérer cartes à l’appui les (larges) zones à évacuer, du camp de Beit Hanoun à des pans entiers de quartiers comme Maqousi ou encore le pourtour de Rafah. Les annonces ont continué d’étendre les zones frappées, jusqu’à l’ordre d’évacuation totale du nord de la zone, diffusé vendredi 13 septembre.

Cette pratique s’ajoute à différents modes d’avertissements, comme le «roof knocking», qui consiste à tirer un premier obus vide sur un immeuble avant de le détruire après avoir laissé le temps aux habitants de l’évacuer. C’est vraisemblablement ce qui s’est passé pour la tour Palestine, le 7 octobre, quand après une première frappe sur le toit sans destruction majeure en plein direct d’Al-Jezeera, un deuxième bombardement est venu raser le bâtiment. Ou encore tout simplement des appels téléphoniques aux résidents pour les prévenir que leur bâtiment va être rasé, comme dans cet échange filmé en 2021 quand l’armée israélienne avait prévenu Associated Press et Al-Jazeera qu’elle allait détruire leurs bureaux. A noter que ces pratiques ne justifient pas nécessairement une frappe au regard du droit de la guerre, si la cible reste une infrastructure civile, de même qu’une frappe sur des civils, même prévenus qu’une zone allait être bombardée.

Différentes images indiquent que des frappes ont été notifiées. Mais plusieurs cas documentés montrent le contraire. C’est notamment le cas du tir qui a tué les trois journalistes (et d’autres civils) qui couvraient la destruction (annoncée par l’armée) de la tour Hajji dans la nuit de lundi à mardi quand un missile les a frappés, à une centaine de mètres du lieu annoncé. Ou encore pour la frappe sur le marché du camp de réfugié de Jabalia lundi en fin de matinée, une zone densément peuplée où de nombreuses personnes avaient trouvé refuges d’après les journalistes et les ONG. C’est l’une des plus meurtrières avec au moins 60 morts parmi lesquels on trouve au moins 15 enfants identifiés par l’ONG Defence for Children (DCIP). Middle East Eye et le New York Times affirment également que la frappe meurtrière n’a pas été devancée d’un avertissement.

«Il y a eu un changement de paradigme»

«D’après nos informations, a plusieurs reprises, l’armée israélienne a bombardé des immeubles résidentiels sans avertissement, ce qui explique le nombre de morts parmi les enfants», explique Ayed Abu Eqtaish, directeur de programme à DCIP, qui souligne l’absence d’appels téléphoniques. L’ONG, qui travaille sur le terrain pour documenter les bilans humains des frappes, a pu confirmer la mort d’au moins 105 enfants ce 11 octobre. Le ministère palestinien de la Santé parle, lui, de 326 enfants ce même jour.

Comme le rapportent CNN et le New York Times, le commandement israélien a été interrogé lundi matin lors d’une conférence de presse sur le fait que les avertissements avant les frappes auraient cessé. Le lieutenant-colonel Richard Hecht aurait refusé de répondre, se contentant de déclarer : «Nous sommes en guerre. Il y a eu un changement de paradigme. Nous ferons tout ce que nous pouvons, mais maintenant, c’est la guerre et l’échelle est différente.»

En 2020, une enquête de The Independent citant des militaires israéliens pointait déjà des failles dans les bombardements menés par l’armée de l’air israélienne, y compris sur des cibles obsolètes pour remplir des quotas.