C’est un drôle de procès qui a opposé l’association Bon Sens à… Bill Gates. Le collectif français, opposé à la vaccination et à la plupart des mesures anti-Covid, estimait en effet «avoir été dénigré de façon volontaire et malfaisante par le milliardaire devant des millions de téléspectateurs». Mais il a été débouté de toutes ses demandes par la justice.
A l’origine de la plainte en référé, une interview du multimilliardaire américain sur le plateau du journal télévisé de France 2, le 6 mai. Le journaliste Thomas Sotto interrogeait Bill Gates sur les accusations portées à son encontre depuis le début de la crise sanitaire : «Les complotistes du monde entier vous accusent quasiment d’avoir fabriqué l’épidémie de Covid dont on n’arrive toujours pas à se défaire. Qu’est-ce que vous répondez à ça ? Ça vous fait sourire ? Ça vous inquiète ? Vous balayez ça d’un revers de la main ?»
Ce à quoi le milliardaire répondait : «C’est très étrange, je ne m’y attendais pas. J’ai dépensé des milliards sur les vaccins pour sauver des millions de vies. Et maintenant, ils ont complètement retourné la situation en disant que je gagne des milliards en tuant des gens. D’une certaine manière, c’est assez humoristique, mais c’est aussi problématique. Cela décourage des gens qui pourraient prendre le vaccin et c’est notre meilleur outil pour empêcher des morts. De ce point de vue-là, c’est quelque chose de tragique. J’aimerais que les faits soient mis en avant : c’est un excellent vaccin et nous essayons de faire de notre mieux pour sauver des vies.»
Trois plaignants controversés
Pour Bon Sens, c’est une attaque inacceptable : l’association argue qu’en «soutenant que les soi-disant “complotistes” mettent en danger la vie des Français par leur remise en cause de l’efficacité des vaccins contre la Covid-19», Bill Gates «laisserait penser aux téléspectateurs que les actions sociales ou judiciaires entreprises par l’association Bonsens.org seraient néfastes pour la population». La plainte était également portée par trois membres fondateurs de Bon Sens : Xavier Azalbert, patron du site FranceSoir.fr (qui n’a plus rien à voir avec le journal du même nom) ; Christian Perronne, ancien chef du service maladies infectieuses à l’hôpital de Garches (Hauts-de-Seine) qui a été démis de ses fonctions pour ses propos sur la pandémie de Covid-19 ; ainsi que Silvano Trotta, un influenceur pro-Trump qui explique par exemple à ses abonnés que la Lune est «artificielle» et «creuse».
Problème : le milliardaire n’a donc cité ni BonSens ni les trois plaignants, et n’a même pas prononcé le mot «complotiste». Contactés par CheckNews pour tenter de comprendre la plainte, ni Xavier Azalbert ni l’avocate de Bon Sens, Diane Protat, n’ont donné suite à nos sollicitations.
«Action abracadabrantesque»
Le seul grief de Bon Sens à l’égard de Bill Gates est donc qu’il ait affirmé que les vaccins fonctionnent. Par cette simple déclaration (qui s’appuie par ailleurs sur un large consensus scientifique), en réponse à une question d’un journaliste, il s’en prendrait aux complotistes et donc à Bon Sens. Pour ce prétendu dommage subi, les plaignants ne demandaient pas moins de 5 millions d’euros de dommages-intérêts pour l’association, et un million pour ses fondateurs.
«Au fond il s’agit d’une procédure bâillon inversée», s’est amusé l’avocat du fondateur de Microsoft dans sa plaidoirie, en référence aux procédures généralement intentées par de grands groupes ou des personnalités puissantes pour faire taire une association ou un média par exemple.
Le tribunal a finalement tranché, en déboutant Bon Sens et ses fondateurs de l’ensemble de leurs demandes. La juridiction n’a toutefois pas condamné l’association pour abus de droit, jugeant qu’en l’état, «leur mauvaise foi n’était pas établie». Reste que l’association, en tant que partie perdante, a été «condamnée aux dépens» : en d’autres termes, c’est elle qui doit payer les frais directement liés à la procédure qu’elle a intentée à Bill Gates.
«Journalisme de solutions»
A noter que Libération a reçu le soutien du Centre européen de journalisme et de son programme Journalisme de solutions, qui est lui-même financé par la fondation Bill & Melinda Gates. Dans le cadre de ce projet, Libération va publier une série de reportages consacrée aux initiatives pour lutter contre les effets du réchauffement climatique, dans les régions les plus affectées du monde.