Et si les Restos du cœur n’avaient pas eu à faire la manche ? Dans une intervention au Parlement européen, partagée sur ses réseaux sociaux le 3 octobre, l’eurodéputé LFI Younous Omarjee affirme que «des dizaines, voire des centaines de millions d’euros du Fonds européen d’aide aux plus démunis [FEAD] destinés à la France pour les banques alimentaires, comme les Restos du cœur, dorment dans les caisses et n’ont pas été dépensés. Ils risquent d’être perdus».
🔴 ⚠️ Des dizaines, voir des centaines de millions d’euros du Fonds Européen d’Aide aux plus Demunis destinés à la France pour les banques alimentaires , comme les restos du cœur , dorment dans les caisses et n’ont pas été dépensés. Ils risquent d’etre perdus.
— younous omarjee (@younousomarjee) October 3, 2023
Et pourtant… le… pic.twitter.com/9CXtAU2dpI
Dans son tweet, le parlementaire européen s’en prend à l’exécutif français : «Le gouvernement a fait l’aumône auprès des grands patrons pour répondre à l’appel désespéré des banques alimentaires. Pourquoi ? Cela appelle des explications.» Et appelle «en urgence» à «dépenser ces fonds» pour «pour celles et ceux qui en France ne mangent pas à leur faim». L’élu fait notamment référence à une intervention du commissaire européen aux Affaires sociales, Nicolas Schmit, qui, le 2 octobre, a enjoint les Etats membres «à utiliser l’argent, le reste de l’argent, qui est encore disponible dans le Fonds européen d’aide aux plus démunis, pour répondre [aux] besoins [liés à la pauvreté alimentaire]».
L’Etat achète, le Fonds rembourse
La France est directement concernée par cet appel puisque, selon nos informations, le commissaire Nicolas Schmit a adressé un courrier à Aurore Bergé le 20 septembre dans lequel il lui signale qu’«il reste une partie de la dotation française au titre du FEAD 2014-2020 qui n’a pas encore fait l’objet d’appels de fonds auprès de la Commission européenne. […] Je ne peux que vous encourager à mettre à profit les crédits de l’enveloppe prévue pour la période 2014-2020 qui semblent encore disponibles et je souhaite vous assurer que mes services et moi-même restons à votre entière disposition pour continuer à vous soutenir dans cet effort».
Le FEAD, désormais intégré sous la forme d’un programme «aide alimentaire» dans le Fonds social européen plus (FSE +), est un fonds est dédié à l’achat de denrées alimentaires pour les plus pauvres. Son fonctionnement est le suivant : l’Etat achète des denrées, les distribue auprès de quatre associations caritatives (les Restos du cœur, la Croix-Rouge, le Secours populaire et la Fédération française des banques alimentaires) puis demande le remboursement au fonds européen, qui le valide.
Le FEAD est très bien connu des Restos du cœur, puisqu’il est mentionné dans chacun de leurs rapports d’activité mais aussi sur une page dédiée, où l’association assure qu’«aujourd’hui, un repas sur quatre distribués par les Restos du cœur provient d’un financement européen, via le Fonds européen d’aide aux plus démunis». Dans leur rapport pour l’année 2021-2022, les Restos du cœur indiquent que la subvention européenne «a représenté 30 % du budget alimentaire de l’association». Joints par CheckNews, les Restos du cœur disent ne pas être au courant d’un mésusage du FEAD, rappelant qu’ils reçoivent uniquement des dons en nature achetés à l’aide ce fonds.
«Il y a toujours un décalage»
Le gouvernement français a-t-il omis d’utiliser l’entièreté du fonds ? Sollicité par CheckNews, un officiel de la Commission européenne explique que «pour la période 2014-2020, la France dispose d’un programme national FEAD, axé uniquement sur l’aide alimentaire. Ce programme est géré par la Direction générale de la cohésion sociale du Ministère des solidarités et des familles. […] La contribution de l’UE au programme a été fixée à 603,3 millions d’euros pour la période de programmation 2014-2020. A ce jour, une contribution de l’UE s’élevant à 401 millions d’euros a été versée à la France sous forme de remboursements pour les opérations d’aide alimentaire du FEAD. La France a utilisé cette somme pour acheter des denrées alimentaires de manière centralisée et les mettre à la disposition [de ses quatre associations] partenaires».
La France a-t-elle oublié de dépenser ces 202 millions d’euros restants ? La commission n’est pas affirmative sur ce point : «Etant donné que la Commission rembourse aux Etats membres les frais qu’ils ont engagés, il y a toujours un décalage entre les opérations sur le terrain et le remboursement de l’Etat membre par la Commission. Pour le FEAD, les Etats membres peuvent utiliser les fonds restants jusqu’au 31 décembre 2023 et doivent demander le remboursement à la Commission avant juillet 2024» tempère notre source qui ajoute que le délai pourrait être prolongé jusqu’en juillet 2025, puisqu’il fait l’objet de négociations à l’échelle européenne. «Il est donc clair qu’une grande partie des montants restants dans le programme FEAD français est susceptible d’être déjà engagée sur le terrain. Cependant, seules les autorités françaises disposent d’une vue d’ensemble actualisée de la situation.»
Un budget dépensé et même dépassé
Joint par CheckNews, le cabinet de la ministre des Solidarités, Aurore Bergé, assure que la France n’a rien «oublié» et donc que «les associations ont bel et bien été subventionnées et plus que ce ne permettait le remboursement européen». Un conseiller explique également que l’écart observé par la Commission est dû au fait que «les dossiers sont encore en cours de traitement notamment pour l’année 2020. Ce sont des remboursements sur des avances réalisés par la France». «Sur la période 2014-2021, le financement européen c’est 691 millions d’euros et on a dépensé 736 millions d’euros au niveau national. On sait pertinemment que tous les dossiers ne sont pas validés par l’Europe. C’est pour ça qu’on est allé plus loin dans le financement [français], c’est pour maximiser nos chances d’avoir un remboursement le plus au niveau du financement européen.» Le gouvernement affirme donc qu’il a dépensé le budget prévu par le FEAD (et même plus encore puisqu’il sait que certaines dépenses peuvent être retoquées). Interrogé sur la lettre envoyée par le commissaire européen, le cabinet assure que le courrier de réponse est «actuellement en cours de signatures» par plusieurs ministères, sans nous livrer son contenu.
Sollicité à propos des demandes de remboursement demandées par la France, un officiel de la Commission indique que la dernière requête française date d’avril 2023, sans en préciser le montant. Notre interlocuteur répétant néanmoins que «seules les autorités françaises disposent d’une vue d’ensemble de la situation» quant à l’utilisation du FEAD.
Contacté par CheckNews à propos de la défense du gouvernement, l’eurodéputé Younous Omarjee, qui avait lancé l’alerte en réaction aux propos du commissaire Schmit, note que «s’il n’y a pas de problèmes tant mieux. Mais s’il y en a un, il faut qu’ils s’activent. Tout doit être dépensé au dernier centime près. Pas un seul euro ne doit être perdu pour ceux qui ont faim».