Question posée sur X (ex-Twitter) le dimanche 29 octobre.
Vous nous avez interrogés sur un message posté samedi 28 octobre sur Twitter (renommé X) par la rédactrice en chef du magazine Jewish Currents, affirmant : «Le gouvernement israélien vient de présenter un projet de loi qui l’autoriserait à tirer à balles réelles sur les manifestants.» La journaliste, qui commentait alors des images filmées à Tel-Aviv et montrant une route bloquée par des manifestants anti-guerre, en déduisait ainsi que «ces types de manifestations vont nécessiter beaucoup de plus en plus de courage». Plus bas, elle ajoutait : «Cette décision est susceptible de viser les citoyens palestiniens d’Israël.»
Cette mesure n’est pas contenue dans un projet de loi, mais une résolution qui devait être adoptée le week-end dernier par le gouvernement d’Israël, comme l’ont dévoilé plus tôt dans la semaine le quotidien israélien Maariv et la chaîne de télévision publique Kan 11. Dans un article publié jeudi 26 octobre, le premier écrivait ainsi : «Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, soumettra dimanche au vote du gouvernement une résolution visant à modifier la décision du gouvernement prise suite aux conclusions de la commission Or, et des changements spectaculaires seront apportés aux instructions d’ouverture du feu par la police israélienne.»
Changement de règle
Créée pour enquêter sur des violences intercommunautaires survenues en 2000, au cours desquelles 13 personnes – douze Arabes israéliens et un Palestinien – ont été tuées lors d’affrontements avec la police, la commission Or a rendu ses conclusions en 2003. Dans son rapport, elle avait estimé que «le fait de tirer à balles réelles n’est pas un moyen pour la police de disperser une foule». Il en découle qu’à ce jour, la police n’est autorisée à procéder à ces tirs que lorsque des vies humaines sont en jeu.
Le ministre israélien de la Sécurité nationale veut donc, dans une certaine mesure, revenir sur ce principe. La nouvelle règle ne s’appliquerait qu’en période d’urgence, donc notamment en temps de guerre. Elle prévoirait que si, en bloquant un axe de circulation essentiel, des émeutes interfèrent avec les déplacements des soldats de Tsahal dans le cadre d’opérations de combat, l’ordre pourra être donné aux forces de police d’ouvrir le feu sur les émeutiers. Et cette autorisation à tirer sur les manifestants devra simplement être accordée par un officier supérieur. Mais à condition que les circonstances l’exigent, par exemple dans le cas où les blocages empêcheraient la fourniture de matériel d’urgence.
חשיפת כאן חדשות: הממשלה תאשר ירי חי במפגינים חוסמי צירים בזמן חירום@moyshis @SuleimanMas1 #חדשותהערב pic.twitter.com/mnsBl7499s
— כאן חדשות (@kann_news) October 26, 2023
Le ministère de la Sécurité nationale ayant annoncé jeudi que ce changement de règle avait reçu l’approbation de la conseillère juridique du gouvernement, la procureure générale Gali Baharav-Miara, il devait être mis aux voix dimanche. Sauf que le vote, après avoir dans un premier temps été reporté à lundi, a finalement été annulé. Entre-temps, Gali Baharav-Miara «a rétracté l’accord qu’elle avait donné et le Premier ministre [Benyamin Netanyahou] a donc décidé de ne pas soumettre la proposition au vote», apprend-on dans un article de Maariv. Et ce, écrit le quotidien, sous les pressions exercées ces derniers jours «de la part d’organisations de gauche», auxquelles s’ajoutaient les réticences exprimées par Benny Gantz, récemment nommé ministre sans portefeuille dans le cabinet de guerre formé par Benyamin Netanyahou.
Craintes de la police
«Jusqu’à hier, les médias rapportaient que la procureure générale était favorable aux changements proposés par Ben-Gvir. Cependant, la pression publique a fonctionné !» se réjouit Amal Saad, militante du mouvement pro-démocratie «Zazim-Community Action». La pétition qu’elle a lancée pour demander aux membres du cabinet de guerre, Benny Gantz entre autres, de s’opposer à la proposition a recueilli quelque 29 000 signatures en moins de vingt-quatre heures. Grâce à cette expression populaire, estime Amal Saad, «Benny Gantz a fait pression sur Gali Baharav-Miara et l’a persuadée de faire en sorte que les changements ne soient pas soumis au vote du gouvernement».
Pour autant, le camp d’Itamar Ben-Gvir ne semble pas décidé à lâcher l’affaire. «En cas de guerre totale, nous devons donner à la police les outils nécessaires pour faire face aux scénarios les plus extrêmes», ont réagi des proches du ministre auprès de Maariv. L’idée de faire évoluer ces règles n’est pas nouvelle, Ben-Gvir milite pour leur assouplissement depuis le début de l’année.
Si le processus avait été accéléré dans le contexte du conflit entre Israël et le Hamas, il avait en fait été enclenché trois jours avant le début de cette guerre. Le 4 octobre, la chaîne Kan 11 avait déjà révélé que la police et le ministère de la sécurité nationale voulaient autoriser, en cas d’urgence, le recours à des tirs à balles réelles contre les émeutiers bloquant les routes. En considérant ainsi le blocage des axes nécessaires pour le passage des convois de Tsahal comme une «aide à l’ennemi en temps de guerre». Le ministre avait par ailleurs confirmé que la mesure visait à anticiper un «Gardien des murs bis», en référence aux événements de mai 2021 – des violences intercommunautaires meurtrières avaient frappé des villes à population mixte arabe, au cours d’une guerre d’onze jours d’Israël contre Gaza connue sous le nom d’opération «Gardien des murs». Ben-Gvir répondait ainsi aux craintes de la police, redoutant qu’en cas de nouveau conflit avec Gaza, les Arabes israéliens ne bloquent les routes pour empêcher les convois militaires d’arriver à destination.
De son côté, la police israélienne, sollicitée par CheckNews, rappelle qu’«à ce stade, l’utilisation de balles réelles ne fait pas partie des outils et des moyens conçus […] pour gérer les troubles à grande échelle ou les perturbations civiles en temps de guerre et les fermetures de routes». Mais évoque «une récente discussion sur l’état de préparation et les dispositions prises par la police israélienne pour faire face à des troubles publics de grande ampleur, dans le cadre de l’application des connaissances acquises lors de l’opération Gardien des murs», lors de laquelle l’accent a été mis «sur la nécessité de pouvoir agir».
«Nous sommes en état de guerre»
Dans son article du 4 octobre, Kan 11 indiquait qu’en parallèle, la question était également discutée au sein du comité pour la création d’une garde nationale israélienne (la décision de former une garde nationale a été approuvée en avril par le gouvernement israélien). Comité qui, pour sa part, souhaitait un assouplissement des instructions d’ouvrir le feu, qui pourraient viser toutes les manifestations en cas d’urgence, et pas seulement celles bloquant le passage des convois.
Même si la résolution que le ministre de la Sécurité nationale souhaitait soumettre au vote du gouvernement portait, quant à elle, spécifiquement sur cette circonstance d’un blocage routier, elle n’en suscitait pas moins de nombreuses inquiétudes. Cette évolution des règles surviendrait en effet dans un contexte de multiplication des manifestations appelant à l’arrêt des bombardements sur Gaza, dont certaines se sont accompagnées de l’occupation de routes. La règle promue par Itamar Ben-Gvir est, à ce titre, perçue comme une potentielle atteinte à la liberté de manifester. En outre, des militants craignent qu’elle affecte particulièrement les Arabes israéliens et les Palestiniens vivant en Israël, déjà perçus comme des cibles privilégiées de la police israélienne.
Il y a deux semaines, l’organisation de manifestations avait déjà été sérieusement compromise par une directive issue du chef de la police israélienne, Yaakov Shabtai, et visant à rejeter toutes les autorisations de regroupements en soutien au peuple de Gaza. Lors d’une conférence de presse donnée le 17 octobre, le commissaire Shabtai avait exposé la ligne à suivre pour la police : «Nous sommes en état de guerre. De notre point de vue, les directives sont claires : tolérance zéro pour tout événement […] Il n’y a pas d’autorisation pour organiser des manifestations.» Et le chef de la police avait même menacé de punir toute velléité de manifester : «Tous ceux qui veulent [exprimer leur soutien] à Gaza seront les bienvenus […] dans les bus qui s’y rendent en ce moment même.»
Mise à jour : Le 2 novembre à 9 h 55, ajout de la réponse de la police israélienne.