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Le gouvernement va-t-il «officialiser la régularisation de sans-papiers exerçant des métiers en tension», comme le dénonce Eric Ciotti ?

Le gouvernement publiera fin février une circulaire précisant ces métiers «en tension» «région par région», conformément à la loi immigration que l’ex-président des Républicains a votée.
Eric Ciotti à Paris, le 18 décembre 2024. (Daniel Dorko/Hans Lucas)
publié le 7 janvier 2025 à 20h43

L’annonce n’a pas plu à Eric Ciotti. Ce dimanche sur France Info et France Inter, la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a fait part de la publication «fin février» d’une circulaire contenant les métiers en tension «région par région». Sous certaines conditions, les personnes sans-papiers exerçant ces métiers pourront faire une demande de régularisation, conformément à la loi immigration promulguée en décembre 2024. Cette nouvelle circulaire sera cosignée par la ministre du Travail et le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

De quoi indigner Eric Ciotti, président du groupe Union des droites pour la République à l’Assemblée nationale et allié du Rassemblement national. Sur X, il publiait lundi un court texte : «Nous y voilà ! Le gouvernement va officialiser la régularisation de sans-papiers pour des métiers dits “en tension”». “Avec Bruno Retailleau, on travaille sur la régularisation des sans-papiers, puisque nous devons signer ensemble une circulaire”, déclare Astrid Panosyan». Il joint dans sa publication un article de BFMTV, intitulé «Régularisation des travailleurs sans-papiers : les métiers en tension actualisés fin février».

La publication laisse entendre que le gouvernement, Astrid Panosyan-Bouvet en tête, serait à l’initiative de la régularisation de sans-papiers. Pourtant, comme le rappelle la ministre du Travail sur X en réponse à Eric Ciotti, «l’actualisation de la liste des métiers en tension avant mars prochain, selon laquelle, sous des conditions strictes, des travailleurs sans-papiers peuvent obtenir une carte temporaire, est une obligation issue de la loi immigration que vous – et vos nouveaux amis du Rassemblement national – avez votée en décembre 2023». Ladite loi immigration renvoie effectivement vers l’article L414-13 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui dispose que «la liste de ces métiers et zones géographiques est établie et actualisée au moins une fois par an par l’autorité administrative».

De fait, Eric Ciotti, alors député Les Républicains, a voté cette même loi immigration, qu’il semble fustiger aujourd’hui. Son groupe Les Républicains et le groupe du RN sont les deux seuls groupes à avoir totalement approuvé le texte – respectivement 62 et 88 des députés favorables au texte sur le même nombre d’inscrits. Plusieurs députés de la majorité avaient fait défection, en votant contre la loi ou en s’abstenant. Astrid Panosyan-Bouvet, alors députée Renaissance, s’était par exemple abstenue.

Pas de droit automatique

Ensuite, l’application par le gouvernement de cette loi voté par Eric Ciotti ne signifie pas la régularisation automatique des sans-papiers pour des métiers dits «en tension». L’article 27 de cette loi immigration dispose certes qu’à «titre exceptionnel», un titre de séjour temporaire peut être délivré à «l’étranger qui a exercé une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement». Mais d’autres critères sont nécessaires, comme le fait d’avoir exercé ce métier «en tension» durant au moins douze mois et de justifier de trois ans de résidence en France.

Surtout, l’article précise que ces conditions ne sont pas «opposables à l’autorité administrative». L’autorité administrative pour les titres de séjour étant la préfecture. Concrètement, cela signifie qu’un sans-papiers qui remplit toutes les conditions fixées par l’article 27 n’a pas un droit automatique à la délivrance de la carte de séjour. La préfecture peut refuser, par exemple, en tenant compte d’autres critères comme la sécurité publique, l’insertion sociale, ou d’autres éléments non mentionnés dans l’article. Ces régularisations ne sont pas dues et seront soumises à l’examen des préfectures.

Durcissement des critères de régularisation

En appui de sa démonstration, Eric Ciotti cite aussi une phrase de la ministre du Travail pour lui imputer une volonté supposée de régulariser davantage. «Avec Bruno Retailleau [le ministre de l’Intérieur, ndlr], on travaille sur la régularisation des sans-papiers, puisque nous devons signer ensemble une circulaire [celle définissant la liste des métiers en tension selon les régions, ndlr]», écrit-il dans sa publication.

Mais le député de Nice a tronqué la citation d’un mot. La citation complète de la ministre est la suivante : «Avec Bruno Retailleau, on travaille sur la question de la régularisation des sans-papiers, puisque nous devons signer ensemble une circulaire», a expliqué Astrid Panosyan-Bouvet, sur France Info et France Inter, dimanche.

Or cette réflexion de la ministre du Travail sur la question de la régularisation s’oriente plutôt vers le durcissement des critères de régularisation. La circulaire qui doit en être tirée et publiée fin février doit en effet remplacer la circulaire Valls, qui s’appliquait jusqu’ici. Depuis 2012, elle permettait à un sans-papiers de demander une «admission exceptionnelle au séjour», notamment sur la base de l’exercice d’un métier tant que le travailleur pouvait justifier d’une ancienneté de huit mois sur les deux dernières années ou de trente mois de travail sur les cinq dernières années. Cette circulaire Valls concernait tous les métiers. Or, contrairement à celle-ci, la nouvelle circulaire qui doit lui succéder et se conformer à la loi immigration ne peut favoriser que les travailleurs étrangers sans-papiers qui exercent dans des métiers «en tension».

CheckNews n’est pas en mesure de connaître le contenu précis de la future circulaire. Néanmoins, Bruno Retailleau, avec lequel Astrid Panosyan-Bouvet travaille conjointement pour cette circulaire, annonçait dans une interview au Parisien donnée en octobre vouloir «ne régulariser qu’au compte-gouttes, sur la base de la réalité du travail et de vrais critères d’intégration». Contactés, Eric Ciotti et Astrid Panosyan-Bouvet n’ont pas répondu à nos questions.