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Le gouvernement veut-il classer la vitamine D en perturbateur endocrinien?

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Une confusion autour d’un décret obligeant les industriels à indiquer les perturbateurs endocriniens contenus dans leurs produits alimente le débat sur l’utilisation de la vitamine D comme traitement contre le Covid-19.
Des capsules de suppléments à la vitamine D. (Elena Popova/Getty Images)
publié le 27 janvier 2022 à 6h52

Bonjour,

Votre question porte sur des déclarations de deux figures du mouvement anti-vaccination contre le Covid19 : Alexandra Henrion-Caude, généticienne devenue l’une des cautions scientifiques du mouvement «covido-sceptique», et Christian Perronne, infectiologue qui occupe une place centrale dans le documentaire complotiste Hold-Up. Ils étaient invités le 17 janvier dans la matinale de Radio Courtoisie, à la suite de leur audition au parlement luxembourgeois (et non au parlement européen comme l’indiquait le site de ce média d’extrême droite).

Interrogés sur la vitamine D comme traitement potentiel contre le Covid-19, ils fustigent un «projet» français qui viserait à classer la vitamine D dans la liste des perturbateurs endocriniens (PE). Ces derniers sont des substances qui ont un effet sur le fonctionnement hormonal et peuvent ainsi «causer des effets néfastes sur la santé», selon la définition de l’Agence nationale de sécurité sanitaire. «C’est d’autant plus catastrophique que je rappelle qu’il y avait eu un appel à supplémenter en vitamine D la population française en temps de Covid par six sociétés savantes, déplore ainsi Alexandra Henrion-Caude. Vous voyez bien là qu’on est dans une mise en danger de la population française. Et si les gens ne se réveillent pas […], je ne comprends plus.» Pour Christian Perronne, l’explication est toute trouvée : «L’industrie pharmaceutique est furieuse contre la vitamine D […] Si on supplémente tout le monde en vitamine D, la population va être en meilleure santé, ce qui va être une perte de marché énorme pour big pharma.»

«C’est à cette vitamine D bienfaisante que le gouvernement a décidé de s’attaquer»

Dans la foulée, l’extrait a été repris, commenté et visionné plusieurs centaines de milliers de fois, notamment sur Facebook et Twitter. Plusieurs internautes extrapolent même en estimant que le but des autorités serait «d’interdire» purement et simplement la vitamine D.

Il y a deux jours, c’est au tour de Rodolphe Bacquet, auteur d’une pétition contre le pass vaccinal (liée à une galaxie d’entreprises rodées aux pires techniques de vente, notamment dans le domaine des compléments alimentaires), de se pencher sur le sujet dans sa newsletter Alternatif Bien-être. «C’est à cette vitamine D, bienfaisante et non dangereuse, que le gouvernement a décidé de s’attaquer discrètement mais efficacement, par un décret censé entrer en vigueur ce mois-ci. Le décret en question assimile en effet la vitamine D à… un perturbateur endocrinien», relève l’auteur.

Mort-aux-rats

Rodolphe Bacquet donne alors une précision de taille, jamais évoquée sur Radio Courtoisie : le décret viserait en fait «l’utilisation de la vitamine D à haute dose par l’industrie chimique pour fabriquer… de la mort-aux-rats».

Mais l’auteur de la newsletter opère ici une confusion : le décret qu’il cite, et qui est bien entré en vigueur au 1er janvier dernier, ne mentionne en effet ni la vitamine D, ni la mort-aux-rats. Il vise simplement à «rendre disponibles les informations permettant d’identifier les perturbateurs endocriniens dans un produit». Concrètement, il «prévoit que toute personne mettant sur le marché des produits contenant des substances présentant des propriétés de perturbateur endocrinien selon l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire] publie la liste de ces produits et des substances que chacun d’entre eux contient. Cette publication s’effectuera dans un format ouvert permettant à des plates-formes collaboratives d’exploiter ces informations et ainsi de mieux informer le consommateur».

C’est en fait dans l’annexe d’un projet d’arrêté fixant la liste de ces substances, distinct de ce décret et qui n’est pas définitive, qu’on retrouve le cholécalciférol, une forme de vitamine D.

Cette mention inquiète certains laboratoires qui commercialisent des compléments alimentaires à base de vitamine D. Dans des questions adressées au gouvernement, le député Bernard Brochand et la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone, tous deux LR, se font les porte-voix de ces «entreprises spécialisées dans les compléments alimentaires» qui «représentent 16 000 emplois notamment dans les Alpes-Maritimes». «Si les entreprises qui produisent des compléments alimentaires ne remettent pas en cause la législation dans un souci de transparence de l’information, elles s’étonnent du projet d’arrêté fixant la liste des substances», avance ainsi la sénatrice. Selon elle, «l’explication de la mention du cholécalciférol dans la liste prévue par l’arrêté semble découler de son utilisation dans l’industrie chimique» puisque à des quantités très élevées, ce produit sert à la production de la mort-aux-rats.

Une classification qui n’est ni nouvelle, ni spécifiquement française

Ce que confirme la Direction générale de la santé à CheckNews : «Le cholécalciférol (ou vitamine D3) a été effectivement identifié comme possédant des propriétés perturbant le système endocrinien dans le cadre de son évaluation au titre du règlement sur les produits biocides en vue de son autorisation en avril 2019 pour un usage rodenticide [qui permet de lutter contre les rongeurs, ndlr]. Cette substance figure ainsi dans la liste des substances identifiées comme perturbateur endocrinien au niveau européen. C’est pour cette raison que le cholécalciférol a été inscrit dans la liste des perturbateurs endocriniens avérés et présumés annexée au projet d’arrêté.»

Cette classification n’a donc rien de nouveau ni de spécifiquement français : dès 2017, l’Agence européenne des produits chimiques estimait qu’il serait «justifié» de catégoriser le cholécalciférol comme tel, en raison de sa nature même, puisqu’il «agit sur le système endocrinien des vertébrés». Et depuis deux ans, elle le range officiellement dans la catégorie des perturbateurs endocriniens.

Il faut désormais attendre la publication de l’arrêté définitif pour savoir quelles seront les obligations, pour les fabricants de compléments alimentaires contenant de la vitamine D, en termes d’information aux consommateurs. Et la Direction générale de la santé indique ne pas avoir de «date précise à ce jour pour sa publication» : «Le projet a été notifié à la Commission européenne : les retours de la Commission et des Etats membres sur ce projet sont attendus pour la fin du mois d’avril. Des échanges sont par ailleurs programmés en février avec les syndicats professionnels pour évoquer la prise en compte des effets bénéfiques de la vitamine D dans ce contexte.»

Pas un traitement miracle

Rappelons enfin que la vitamine D n’est pas le traitement miracle présenté par certains contre le Covid-19. Si l’Académie de médecine avait effectivement noté dès 2020 qu’une «corrélation significative entre de faibles taux de vitamine D et la mortalité par Covid-19 a été montrée» et conseillait donc une supplémentation pour les patients, cela ne veut pas pour autant dire qu’un apport permettrait de systématiquement guérir ou prévenir la maladie. La même académie prenait d’ailleurs soin de noter en toutes lettres que «la vitamine D ne peut être considérée comme un traitement préventif ou curatif de l’infection due au Sars-CoV-2». D’autant que les études menées depuis peinent à montrer un effet protecteur clair, notamment chez les patients non carencés.

Comme le rappelait par ailleurs CheckNews, dépasser la dose maximale journalière (100 µg, ou 4 000 UI) sans surveillance médicale peut avoir des effets délétères. L’Anses avait par exemple alerté «les parents sur le risque de surdosage associé à l’administration de compléments alimentaires à base de vitamine D chez des enfants, et notamment des nourrissons» qui peut avoir des conséquences graves. Chez l’enfant comme chez l’adulte, ingérer des doses supérieures aux recommandations d’un médecin dans l’espoir de se «blinder» contre la maladie est donc formellement déconseillé.

Cordialement,