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Le groupe Pfizer a-t-il été condamné par le passé à des milliards de dollars d’amendes?

Comme de nombreux géants pharmaceutiques, l’entreprise américaine Pfizer a été condamnée à de lourdes amendes par le passé, notamment pour des faits de pratiques commerciales frauduleuses ou de non respect de l’environnement et des droits humains.
La base de données «Violation Tracker» de l’organisation américaine Good Jobs First recense un total de pénalités supérieur à 10 milliards de dollars de 2000 à 2019 pour le groupe Pfizer et l’ensemble de ses filiales. (Ulrich Baumgarten/Getty Images)
publié le 6 janvier 2022 à 9h51

Bonjour,

Vous êtes nombreux à nous interroger sur le passif judiciaire de l’entreprise pharmaceutique américaine Pfizer, qui produit le vaccin Comirnaty utilisé pour lutter contre le Covid. Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes accusent l’entreprise d’avoir été condamnée à plus de 4 milliards de dollars d’amende pour des faits multiples de «publicité mensongère, charlatanisme, corruption de médecins et de fonctionnaires». Cet argument est souvent brandi par les antivax pour justifier (ou susciter) un manque de confiance dans l’entreprise produisant l’un des vaccins à ARN messager les plus utilisés contre le Covid.

Il est tout à fait exact de dire que le groupe Pfizer a été condamné à plusieurs reprises par la justice, souvent pour des sommes importantes, dont un record de 2,3 milliards de dollars en 2009. Bien avant l’apparition du Covid, des associations américaines, comme les organismes de surveillance Public Citizen ou Good Jobs First ont compilé les condamnations de différents groupes pharmaceutiques.

Dans un rapport publié en 2018, Public Citizen notait que «de 1991 à 2017, GlaxoSmithKline [le géant pharmaceutique britannique GSK, ndlr] et Pfizer ont payé plus de pénalités financières – 7,9 milliards de dollars et 4,7 milliards de dollars, respectivement – et ont conclu davantage de règlements (32 et 34, respectivement) avec les gouvernements fédéraux et d’état que toutes les autres entreprises». Ce montant ne concerne que les règlements recensés aux États-Unis et ne prend pas en compte d’autres amendes comme celle de près de 100 millions d’euros infligée au groupe au Royaume-Uni en 2016 pour des hausses de prix.

Valves cardiaques défectueuses et surfacturation de médicaments

Créée en 2015 par l’ancien journaliste économique Philip Mattera, la base de données «Violation Tracker», de l’organisation américaine Good Jobs First, recense le comportement répréhensible des entreprises. Sa fiche dédiée à l’entreprise Pfizer indique un total de pénalités supérieur à 10 milliards de dollars de 2000 à 2019 pour le groupe et l’ensemble de ses filiales. Dans un billet de blog publié en novembre 2020, alors que le vaccin Comirnaty de Pfizer s’apprêtait à être autorisé dans le monde entier, Philip Mattera, bien qu’«impatient de voir les progrès réalisés dans la lutte contre le Covid» et se disant «prêt à faire confiance à [l’immunologue] Anthony Fauci», exprimait sa méfiance à l’égard du géant pharmaceutique. Mattera rappelait alors le «palmarès» judiciaire de l’entreprise «rempli d’affaires dans lesquelles elle a été accusée d’avoir trompé les autorités de réglementation et le public sur la sécurité de ses produits».

L’entreprise a ainsi dû verser des millions de dollars d’amende pour des valves cardiaques défectueuses, pour la surfacturation de ses médicaments, pour des déclarations fausses ou trompeuses sur ses produits, pour non-respect de l’environnement ou des droits humains (en testant des antibiotiques sur des enfants au Nigeria, sans l’accord de leurs parents) mais surtout pour la promotion de ses médicaments pour des utilisations non approuvées par la Food and Drug Administration, l’organisme américain qui autorise la mise sur le marché de nouveaux médicaments.

La sanction la plus spectaculaire est celle de 2,3 milliards de dollars, versée en 2009 pour «des pratiques commerciales frauduleuses» concernant l’anti-inflammatoire Bextra, retiré du marché en 2005 en raison d’inquiétudes sur ses effets secondaires. A l’époque, le ministère de la Justice avait présenté cet accord comme «la plus grosse amende jamais infligée par la justice américaine dans la santé». En 2012, Pfizer a également été sanctionné de 60 millions de dollars dans une affaire de corruption pour avoir «pris des raccourcis pour développer ses affaires dans plusieurs pays d’Eurasie, en versant plusieurs millions de dollars de pots-de-vin à des responsables gouvernementaux en Bulgarie, Croatie, Kazakhstan et Russie», selon un communiqué du ministère de la Justice américain.

Les autres groupes pharmaceutiques également condamnés

Ce lourd passif judiciaire a-t-il été pris en considération par la Commission européenne lors du marché passé avec Pfizer ? Interrogée précisément sur ce point par l’eurodéputée du Rassemblement National, Mathilde Androuët, la Commission européenne a publié une réponse écrite le 26 avril, dans laquelle elle évite les diverses condamnations du groupe pharmaceutique américain. Le message de l’institution européenne se contente de détailler le processus d’achats des différents vaccins et de souligner l’expertise menée par l’Agence européenne du médicament quant à l’évaluation des informations fiables sur l’innocuité, l’efficacité et la qualité pharmaceutique des vaccins.

Si le «casier judiciaire» du groupe Pfizer se voit régulièrement évoqué par les opposants à la vaccination, les autres grands groupes pharmaceutiques, qu’ils produisent (ou non) des vaccins contre le Covid ne sont pas plus vierges de condamnations. Dans son rapport de 2018, Public Citizen citait déjà le groupe britannique GFK parmi les plus condamnés, ajoutant également les noms de Johnson & Johnson, Teva, Merck, Abbott, Eli Lilly, Schering-Plough, Novartis, Mylan et AstraZeneca parmi les entreprises «qui ont payé plus d’un milliard de dollars de pénalités financières de 1991 à 2017». Pour arriver à ces montants, le médecin et fondateur de Public Citizen, Sidney Wolfe, explique avoir «utilisé les communiqués de presse du ministère américain de la Justice annonçant ces sanctions, ainsi que les sites web des procureurs généraux des Etats».

Concernant les groupes producteurs de vaccin contre le Covid, Philip Mattera notait dans son billet de blog que «Moderna n’existe pas depuis assez longtemps pour avoir de gros problèmes, mais d’autres entreprises travaillant sur des vaccins ont des antécédents similaires à ceux de Pfizer. Il s’agit notamment de Johnson & Johnson, dont le total des pénalités sur Violation Tracker s’élève à 4,2 milliards de dollars, AstraZeneca (1,1 milliard de dollars), GlaxoSmithKline (4,4 milliards de dollars) et Sanofi (641 millions de dollars).»

EDIT : correction apportée à 13h42 : il fallait bien sûr comprendre la commission « détaille », et non la commission « déraille » comme écrit par erreur. Nos excuses à la commission et aux lecteurs.