«Service du travail obligatoire», «esclavage moderne», «travail forcé». Les expressions ne manquent pas pour conspuer, sur les réseaux sociaux et au micro de plusieurs médias, une disposition de la loi «plein-emploi» qui devient effective en ce mois de janvier. De nombreux commentateurs dénoncent un texte astreignant selon eux les allocataires du RSA à quinze heures de travail hebdomadaire en collectivité ou en entreprise. «N’empêche, les quinze heures de travail forcé hors droit du travail pour les bénéficiaires du RSA, c’est vraiment une dinguerie», dénonce par exemple une internaute sur X. La présentation qui est faite de la loi est pourtant erronée.
Votée en octobre 2023, elle dispose que l’ensemble des allocataires du revenu de solidarité active et des jeunes de moins de 25 ans enregistrés auprès d’une mission locale s’apprêtent à être inscrits à France Travail, s’ils ne l’étaient pas déjà. La loi intègre par ailleurs, pour l’ensemble des demandeurs d’emploi (et non pas exclusivement les allocataires du RSA), un volet «d’accompagnement». Il prend la forme d’un «contrat d’engagement» signé entre un organisme référent (France Travail, conseil départemental…) et la personne en recherche d’emploi. Selon la loi, l’organisme doit assurer «un accompagnement vers l’accès ou le retour à l’emploi» du demandeur qui, de son côté, s’engage à exécuter une durée hebdomadaire d’activité «d’au moins quinze heures» – durée qui, toutefois, peut-être révisée à la baisse dans certaines situations.
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Ces heures d’activités ne se résument pas, comme le simplifient quelque peu certains internautes et commentateurs politiques, à du travail obligatoire en collectivité ou en entreprise. L’article L5411-6 du code du travail, en vigueur depuis le 1er janvier, dispose en effet que les activités demandées dans le plan d’accompagnement consistent en «des actions de formation, d’accompagnement et d’appui», dans un sens très large. «La loi précise que les activités inscrites dans le contrat d’engagement doivent avoir comme objectif l’insertion sociale et professionnelle de la personne, mais laisse le référent d’accompagnement définir avec le bénéficiaire les activités adaptées à la situation», confirme France Travail auprès de CheckNews. Sur son site internet, l’établissement public précise que ces activités peuvent par exemple prendre la forme «d’actions pour définir son projet professionnel et développer ses compétences», telles que des «formations» ou «la découverte de métiers», par exemple au travers d’un stage d’immersion professionnelle en entreprise (dispositif qui existe depuis 2014). Sont également comptabilisées les «actions de recherche d’emploi» (candidatures aux offres d’emploi, ateliers d’aide à la recherche d’emploi, entretiens…) et, plus généralement, «toute autre action en lien avec son projet d’accès à l’emploi». Mais également par le décompte du temps consacré à des démarches administratives «d’accès aux droits, à la santé, au logement, de garde d’enfants…»
A défaut de pouvoir d’énumérer toutes les activités possibles de manière exhaustive, notre interlocutrice à France Travail note «qu’une première bonne indication de ce que peut contenir un parcours d’accompagnement socioprofessionnel» peut être la liste d’activités comptabilisées dans le cadre des «contrats d’engagement jeune» créés en 2022 (activités présentées pages 9 à 11 de la circulaire de mise en œuvre du CEJ). A titre d’exemple, pour s’agissant d’activités permettant de «lever les freins à la mobilité» de ce public, les heures d’auto-école étaient considérées comme autant d’heures d’activité CEJ, «dès lors que la mobilité a été identifiée comme un point bloquant [à l’insertion dans l’emploi] lors du diagnostic et qu’une action en ce sens a été prescrite dans le cadre du plan d’action».
Travail bénévole
Fin 2023, dans le contexte des expérimentations du nouveau dispositif, une commune de l’Eure avait suscité la polémique en proposant à quatre allocataires du RSA d’effectuer un travail bénévole pour la commune. Interrogée sur cet exemple (que l’on retrouve cité dans la communication de plusieurs associations critiques de la généralisation), France Travail souhaite une mise au clair : «Les actions prévues dans le contrat d’engagement ne sont en aucun cas du travail non rémunéré ou déguisé en dehors du cadre du code du travail. Tout travail mérite salaire, et cette réforme ne remet absolument pas cela en question. La réalisation d’une activité non rémunérée ne sera jamais une condition pour bénéficier d’une allocation.»
En revanche, «la participation à des activités bénévoles dans le secteur associatif» peut faire partie des activités prises en compte dans le «contrat d’engagement» : «Si cela contribue aux objectifs d’insertion de la personne concernée et a fait l’objet d’un échange entre le professionnel de l’accompagnement et le demandeur d’emploi, une activité associative bénévole peut être valorisée au cours de l’accompagnement comme une action contribuant à l’objectif d’insertion socioprofessionnelle dans le contrat d’engagement. La loi “plein-emploi” et les débats parlementaires qui l’ont précédée ont amené France Travail à reconnaître et valoriser l’engagement bénévole en tant que levier d’inclusion professionnelle pour permettre à tout usager d’accéder plus rapidement à un emploi, tout en assurant bien entendu des garde-fous afin de prévenir des sanctions injustifiées et/ou d’éventuelles dérives.»
Des adaptations et des dispenses selon le profil des inscrits
France Travail souligne auprès de CheckNews que les quinze heures d’activités hebdomadaires pour tous les demandeurs d’emploi constituent une «cible», mais que ce volume peut être «adapté à la situation de chaque personne». Se référant au même article L5411-6 du code du travail, France Travail précise sur son site que «les personnes rencontrant des difficultés particulières et avérées, en raison de leur état de santé, de leur handicap, de leur invalidité ou de leur situation de parent isolé sans solution de garde pour un enfant de moins de 12 ans» pourront être dispensées de ces heures d’activité si elles en font la demande. La durée d’activité demandée pourra également «être adaptée» pour des personnes «peu ou pas disponibles pour cet accompagnement, ou pour exercer un emploi à court terme», comme «certains proches aidants d’un enfant ou d’une adulte en situation de handicap». Il en sera théoriquement de même «pour les personnes qui travaillent déjà», dont l’accompagnement, «dans son contenu comme dans sa durée, devra tenir compte de leur disponibilité et de leurs besoins».
Interrogé sur la part d’allocataires du RSA exemptées de ces heures d’activité lors des expérimentations de 2023 et 2024, France Travail nous précise ne pas disposer, «à ce stade, de chiffres consolidés». Toutefois, «sur la base des retours empiriques des territoires en expérimentation, cette part est évaluée entre 10 et 20 %».
Suspension d’allocations
Si France Travail insiste sur le fait que «ces quinze heures d’activités ne sont pas une condition à l’octroi d’une allocation» mais «un élément du contrat d’engagement», la loi précise bien en son article L262-37 que «le président du conseil départemental peut décider la suspension, en tout ou partie et pour une durée qu’il fixe, du versement du revenu de solidarité active lorsque, sans motif légitime, le bénéficiaire refuse d’élaborer ou d’actualiser le contrat d’engagement (ou) ne respecte pas tout ou partie des obligations énoncées dans ce contrat». Comme expliqué dans un précédent article, cette carte ne pourra toutefois pas être dégainée avant que ne soit publié le décret idoine, attendu pour le premier semestre 2025.
Au regard du bilan des expérimentations de ce dispositif contraignant – bilan paru fin 2024 –, des questions se posent quant à son intérêt réel. Une métropole comme Lyon, qui n’a pas imposé les quinze heures d’activités obligatoires dans ses contrats, a obtenu des résultats similaires aux autres. De plus, «la contrainte administrative de traçabilité des [heures]» apparaît «difficile à justifier», «et peut affecter la relation de confiance avec les bénéficiaires, voire dans certains cas conduire à renoncer au RSA». De son côté, le Secours catholique, constate que «le taux de non-recours au RSA a augmenté de 10,8 % dans les départements qui expérimentent la réforme, tandis qu’il diminue de 0,8 % dans les autres départements». De nombreuses autres critiques ont été formulées par diverses associations, comme le manque de moyens financiers pour réaliser un suivi réel des demandeurs d’emploi ou, la priorité politique donnée à l’accompagnement à l’emploi des allocataires du RSA plutôt qu’à l’accompagnement social – accès au logement, à l’éducation, à la santé, etc.