Selon des statistiques de mortalité présentées mi-septembre sur le site d’Eurostat, presque tous les pays du continent européen avaient enregistré, en juillet, des décès excédentaires (établis par rapport aux moyennes mensuelles des quatre années avant 2020). Parmi les pays les plus touchés, de nombreux pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne (+36,6 %), le Portugal et l’Italie (autour de +29 %). Mais en tête de ce tableau macabre figurait un pays situé à l’opposé de la carte, qui a immédiatement soulevé des interrogations : l’Islande, avec une mortalité excédentaire de 55,8 %.
«Une erreur due à un bug»
Pour l’essentiel des autres pays du classement, les différentes vagues de chaleur qui ont touché le continent en juin et juillet étaient identifiées comme la cause du phénomène par différentes agences nationales et internationales. Selon des données provisoires rassemblées par l’OMS, la chaleur serait ainsi responsable d’environ 4 500 décès en Allemagne, 4 000 en Espagne, 3 200 au Royaume Uni, et 1 000 au Portugal. Mais concernant l’Islande, l’importante surmortalité estivale ne peut pas être imputée à la météo, la température moyenne sur le mois de juillet à Reykjavik ayant atteint 13 °C (avec un pic à 15 °C).
Sans grande surprise, lors de la parution de ces chiffres, une poignée d’internautes sont immédiatement allés chercher une explication du côté du vaccin et de ses «effets secondaires». Certains expliquant que l’exemple islandais était la preuve qu’on ne pouvait expliquer par la canicule l’excès de mortalité ayant touché l’Europe. Ce dernier étant donc lié aux vaccins.
Comment expliquer ce mystère islandais? L’explication est d’abord à chercher du côté qu’Eurostat… qui a concédé une erreur. Ainsi, le chiffre présenté mi-septembre était tout simplement faux. «Le chiffre publié en septembre comportait une erreur, due à un bug dans l’algorithme de traitement des données», apparemment lié au format «des données transmises par l’Islande». Le chiffre, qui avait été corrigé dans la base de données, figurait encore mi-novembre sur une carte interactive du site, corrigée à l’issue de nos sollicitations.
Un excédent de 55,8 %, 35,8 %, 23,7 % ou 15,8 % ?
Mais cette erreur n’élucide qu’une partie du mystère. Car après correction, l’Islande restait, selon Eurostat, à la deuxième place du classement (derrière l’Espagne), avec une mortalité excédentaire de +35,8 % en juillet (1).
Sollicitée par CheckNews, la Direction islandaise de la santé communique un chiffre bien différent. Partant du fait, qu’en juillet 2022, il y a eu 67,02 décès pour 100 000 habitants, «contre 57,89 en moyenne sur la période 2012-2019», soit une surmortalité excédentaire de 15,8 %, tous âges confondus. Soit plus de la moitié du chiffre présent sur le site d’Eurostat. Si, Eurostat utilise, pour calculer l’excédent de mortalité, une période de référence plus restreinte (2016-2019) que celle choisie par l’Islande pour ses calculs, cette différence semble insuffisante à expliquer cette divergence.
La principale source de l’écart entre les chiffres des deux agences provient en réalité d’une différence méthodologique profonde. L’Institut statistique islandais nous explique en effet n’envoyer à Eurostat «que les valeurs absolues des décès, par semaine». Eurostat, de son côté, confirme que ses statistiques de mortalité excédentaire sont effectivement établies à partir «du nombre absolu de décès hebdomadaire». Or, «prendre le nombre absolu de décès n’est pas aussi fiable que de prendre le chiffre rapporté à 100 000 habitants», explique Gudrun Aspelund, épidémiologiste en chef de la Direction islandaise de la santé, «puisque notre population a augmenté chaque année» (de 2,45 % en moyenne durant les trois années pré-Covid, et de 1,75 % en moyenne depuis). De 332 000 habitants en 2016, l’Islande est passée à 376 000 en 2022. «Cette évolution devrait être prise en compte lorsque vous comptez les décès.» En utilisant ce mode de calcul («pour 100 000 habitants», et avec 2016-2019 comme période de référence), l’excès de mortalité pour juillet 2022, par rapport à la moyenne des semaines correspondantes sur les années 2016 à 2019 baisse de 35,8 % à 23,7 % (2).
Les derniers pourcents d’écarts avec la valeur 15,8 % avancée par la Direction islandaise de la santé tiennent, outre la période de référence retenue, à une dernière différence méthodologique. Les statistiques «mensuelles» de l’Islande présentées par l’agence statistique européenne sont en effet basées sur des déclarations réalisées sur une base hebdomadaire. Or, comme nous l’explique Eurostat, pour les semaines à cheval sur deux mois, «le nombre de décès est attribué proportionnellement au nombre de jours de ce mois : pour la semaine du 27 juin au 3 juillet, 4 décès sur 7 sont attribués à juin, et 3 sur 7 à juillet». Or, le nombre d’habitants en Islande étant faible, le nombre de décès mensuel est également faible… et de petites variations en «nombre absolu» finissent par se traduire par des fluctuations de pourcentage importantes. Selon le décompte de la Direction islandaise de la santé, il y a eu 252 décès sur l’ensemble du mois de juillet 2022.
Significatif uniquement au-delà de 70 ans
Finalement, l’excès de mortalité estival islandais apparait donc beaucoup plus modeste qu’initialement annoncé. Que l’on retienne le chiffre de 15,8 % ou de 23,7 %, il reste toutefois un phénomène à expliquer.
Contacté mi-septembre par CheckNews, l’Institut statistique islandais expliquait ne pas encore en avoir analysé les causes. Toutefois, deux mois plus tard, les autorités sanitaires disposent désormais de suffisamment de recul sur la question. «Le Centre de prévention et de contrôle des maladies a suivi l’excès de décès, toutes causes confondues, pendant la pandémie de Covid, nous détaille Gudrun Aspelund. En juillet 2022, nous avons remarqué une augmentation des décès. Bien qu’elle n’ait pas été assez importante pour être statistiquement significative pour tous les âges, elle l’était pour les 70 ans et plus» (autrement dit, la fluctuation du taux de décès excédentaire en juillet 2022 n’est considérée anormale que chez les plus de 70 ans).
«Nous n’avons pas d’autre explication pour la surmortalité que le Covid-19. Dans un document que nous avons publié le 1er novembre, nous montrons que les décès dus au Covid pour les années 2020-2022 sont principalement survenus en 2022, et surtout en mars et juillet.» Gudrun Aspelund nous précise que la Direction islandaise de la santé «ne dispose pas [encore] du statut vaccinal des personnes décédées», mais que ce point «est en cours d’examen». A ce jour, selon l’agence gouvernementale, de 55 à 60 % des adultes islandais ont reçu une (seule) injection de rappel, un peu moins de 20% en ayant reçu une seconde.
(1) Chiffres affichés sur le site d’Eurostat à la date du 16 novembre 2022. Ces statistiques sont établies sur des jeux de données qui peuvent être ultérieurement précisés et corrigés. Pour l’Islande, l’ensemble des chiffres présentés depuis 2020 sont signalés comme «provisoires», ainsi que celles collectées pour l’ensemble des pays européens sur l’année 2022. Pour décembre 2021, seuls 7 des 27 jeux de données nationaux sont considérés comme définitifs. Eurostat nous confirme «recevoir, mensuellement, des révisions des données précédemment transmises par la plupart des pays ; par conséquent, deux chiffres pour le même pays et la même période, mais extraits d’Eurobase à des moments différents, sont très probablement différents.»
(2) Les taux de mortalité pour 100 000 habitants, sur la base des chiffres hebdomadaires présentés par Eurostat, sont de 61,8 en juillet 2016, 54,6 en 2017, 46,0 en 2018, 51 en 2019, et 66,0 en 2022. Ce dernier chiffre est proche du 67,02 donné par la Direction islandaise de la santé, mais qui est issu de données mensuelles.