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Y a-t-il vraiment plus de jours d’absence pour raison de santé dans la Fonction publique que dans le privé?

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L’absentéisme pour raison de santé est plus élevé dans les fonctions publiques hospitalière et territoriale que dans le privé, mais plus faible dans la fonction publique d’Etat. Des différences dues en grande partie aux effets de structures socio-démographiques.
Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, à l'Assemblée nationale, à Paris le 29 octobre 2024. (Xose Bouzas/Hans Lucas. AFP)
publié le 31 octobre 2024 à 13h01

C’est un des arguments avancés par le gouvernement pour justifier l’allongement de la durée de carence des fonctionnaires en cas d’arrêt maladie : l’envolée de l’absentéisme, dans leurs rangs, depuis une dizaine d’années. Sur le plateau de RTL mardi 29 octobre, le nouveau ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, a ainsi confirmé le souhait de l’exécutif de porter de un à trois jours la période durant laquelle les agents publics ne seraient pas indemnisés en cas d’arrêt de travail. Tout en expliquant : «[C’est] ce que je prévois face à une augmentation significative du nombre de jours d’absence dans l’année…» Le journaliste le coupe pour citer des chiffres : «43 millions en 2014, 77 millions en 2021 [en réalité en 2022, ndlr].»

Kasbarian poursuit : «Exactement, et une augmentation significative de la moyenne du nombre de jours d’absence par agent, qui est passée à 14,5 alors qu’il y a quelques années, on était à 8. C’était à peu près la même chose privé-public il y a quelques années, aujourd’hui on a une vraie divergence, c’est-à-dire qu’il y a un écart qui s’est creusé entre le public et le privé. Et donc face à cette situation, je ne peux pas ne pas agir.» Et de dénoncer, sur X, une hausse de 80 % du nombre de jours d’absence dans la fonction publique en dix ans.

Si les chiffres donnés par le ministre ne sont pas faux, ils s’expliquent en grande partie par l’impact de l’épidémie de Covid-19. Et masquent surtout la grande hétérogénéité des situations au sein de la fonction publique. Selon un rapport publié cet été par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances, le «décrochage» entre le public et le privé remonte à 2020 et à la crise sanitaire, période durant laquelle le nombre d’arrêts pour raison de santé a nettement augmenté.

Entre 2014 et 2019, salariés du privé et agents publics dans leur ensemble présentaient en effet un absentéisme quasi identique, et assez stable sur la période, avec en moyenne près de 8 jours d’absence par an et par personne. Avec l’épidémie, ce nombre a augmenté, pour passer, en 2022, à 14,5 jours dans le public, contre 11,6 dans le privé. La hausse, depuis 2014, a donc été plus importante dans le public (+ 75 %) que dans le privé (+ 40 %).

Reste que ce chiffre global cache les très grandes différences au sein des trois fonctions publiques (étatique, hospitalière et territoriale). Depuis une dizaine d’années, l’absentéisme pour raison de santé pour certains fonctionnaires apparaît ainsi moins élevé que celui du privé. Et le Covid n’a pas inversé ce rapport.

En 2022, même après une hausse importante suite à l’épidémie, les fonctionnaires de l’Etat (FPE), hors enseignants, affichent toujours, avec 10,2 jours, un nombre d’arrêts par agent inférieur au secteur privé. Avec 11,6 jours, les enseignants présentent, eux, un nombre moyen d’absences identique à celui des salariés du privé.

A contrario, les deux autres fonctions publiques (territoriale et hospitalière) ont toujours eu, sur la période observée (soit depuis 2014), un absentéisme supérieur à celui du privé. Cet écart s’est accru avec la crise du Covid, expliquant en grande partie le décrochage de la moyenne de l’ensemble de la fonction publique par rapport au privé.

En 2022, les personnels de la fonction publique hospitalière (FPH) présentaient ainsi un nombre moyen de 18,1 jours et ceux de la territoriale (FPT), de 17,1 jours.

Ces différences entre les trois fonctions publiques d’une part, et par rapport au privé d’autre part, trouvent leur origine, pour l’essentiel, dans la structure socio-démographique de chacune de ces catégories. Un diplôme élevé ou l’exercice d’une profession supérieure joue à la baisse sur le taux d’absentéisme, tandis que la féminisation, l’âge, ou encore l’appartenance à une famille monoparentale sont corrélés à une hausse.

Le moindre absentéisme dans la fonction publique d’Etat s’expliquerait ainsi par le fait que cet ensemble regroupe davantage de professions supérieures parmi ses effectifs (39 %), que dans le privé (23 %), la fonction publique hospitalière (14 %) ou territoriale (12 %).

A l’inverse, les fonctions publiques territoriale et hospitalière, où l’absentéisme pour raison de santé est plus élevé que dans l’Etatique et le privé, affichent une féminisation plus importante (respectivement 61 % et 78 %, contre 57 % dans la fonction publique d’Etat), un âge moyen plus élevé, et des agents «plus souvent atteints de maladie chronique ou membres d’une famille monoparentale», indique le rapport.

Sur la période 2013-2022 (incluant donc la crise sanitaire), ces caractéristiques socio-démographiques expliquent 95 % des écarts de taux d’absence avec le secteur privé pour la FPE et la FPH, et 53 % pour la FPT.

Dit autrement, «cela signifie qu’à structures d’emplois identiques, pour les caractéristiques susmentionnées, la FPE, la FPH et le secteur privé seraient au même niveau d’absentéisme et l’écart entre la FPT et le privé ne serait que la moitié de celui observé», notent les rapporteurs.

Ces derniers indiquent par ailleurs qu’une part de l’écart résiduel inexpliqué, notamment pour la FPT, «pourrait être justifié par d’autres caractéristiques non retracées dans l’enquête». Donc que cet écart inexpliqué «ne constitue pas stricto sensu une mesure de la marge de réduction de l’absentéisme dont disposeraient les employeurs publics de chaque versant».

Concernant la période propre au Covid, l’Igas estime que les deux tiers de la hausse constatée pour le régime général, entre 2019 et 2022, sont «directement liés à l’épidémie». En revanche, poursuit le rapport, «il n’y a pas de données sur la part de l’épidémie dans la hausse de l’absentéisme dans la fonction publique».

Depuis 2022, toutefois, les absences pour raison de santé entameraient une baisse dans la fonction publique, selon les rapporteurs, sans pour autant retrouver leur niveau d’avant crise. Sur la base de données provisoires et parcellaires, la hausse constatée lors de l’épidémie se serait ainsi réduite d’environ 30 % en 2023 dans la fonction publique étatique, tandis que dans l’hospitalière, «les absences pour raison de santé semblent être revenues, dans les CHU, à un niveau plus proche de celui de la période antérieure à la crise sanitaire avec une hausse résorbée à hauteur de 75 % pour les infirmiers et aides-soignants». Côté FPT, «les données recueillies par la mission ne permettent pas d’y dessiner une tendance générale».