L’année passée aurait été particulièrement mortelle pour les travailleurs. «738 salariés du secteur privé morts en 2022, c’est un niveau jamais atteint depuis vingt ans», alerte Matthieu Lépine sur son compte Twitter (renommé X) spécialisé dans le recensement des accidents du travail. Ce professeur d’histoire et géographie, auteur d’un livre sur le sujet (1), s’appuie sur un graphique tiré d’un article de CheckNews qui détaille, à partir des données de l’assurance maladie, le nombre de décès liés au travail entre 2004 et 2021.
Les 738 décès évoqués pour 2022 (uniquement parmi les salariés du secteur privé) par cet enseignant sont tirés du dernier rapport annuel sur les risques professionnels de la caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), publié en décembre 2023. «En 2022, on dénombre 738 décès parmi les [accidents du travail, hors accidents de trajets] reconnus, soit 93 de plus qu’en 2021. Avec 421 cas (contre 361 en 2021), les malaises sont la cause de plus de la moitié d’entre eux», soit 67 %, recense la Cnam. Viennent ensuite les accidents routiers (hors trajet), pour 13 %.
Les principaux secteurs concernés sont le BTP, les transports et les services activités de «services II» (où l’on retrouve sans distinction l’intérim, la santé, le nettoyage…).
738 salariés du secteur privé morts en 2022, c'est un niveau jamais atteint depuis 20 ans.
— Accident du travail : silence des ouvriers meurent (@DuAccident) December 25, 2023
Ce chiffre ne prend pas en compte le monde agricole, la fonction publique, les indépendants... pic.twitter.com/DkPbS4Gh8v
Cependant, dans la version résumée de ce rapport, l’assurance maladie remarque que le nombre de 738 accidents mortels reconnus en 2022 «est comparable à 2019», où 733 morts avaient été recensés. Surtout, comme le rapportait CheckNews au début de l’année concernant les chiffres de 2021, l’assurance maladie suggérait que la forte hausse de 32,5 % entre 2018 et 2019 était liée à un changement de méthodologie. «Cette forte augmentation concerne des décès qui font suite à un malaise, sans doute davantage reconnus du fait […] d’un réalignement strict de la mise en œuvre des procédures sur le principe de présomption tel que balisé par la jurisprudence», peut-on lire dans le document de la Cnam. Autrement dit, les malaises mortels survenus pendant le travail seraient davantage recensés depuis cette période. A l’époque, les calculs réalisés par CheckNews confirmaient l’hypothèse d’une hausse directement liée à des modifications de recensement.
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Contacté, Mathieu Lépine, qui remet en cause le biais statistique comme explication du nombre record de décès recensés, commente : «On a l’habitude, quand les chiffres baissent, c’est grâce au gouvernement, et quand ils augmentent, c’est la faute des statistiques. Il n’en demeure pas moins que au moins 738 personnes sont mortes l’an dernier au travail, probablement près de 1 000 en réalité (sans prendre en compte les maladies professionnelles) et cela personne ne peut le nier.» A noter qu’avant le changement méthodologique de 2019, la Cnam notait que le nombre de décès liés à un accident de travail variait «dans une fourchette comprise entre 500 et 550 cas».
(1) Matthieu Lépine, l’Hécatombe invisible : enquête sur les morts au travail (éd. Seuil)