Vendredi 3 janvier 2025, le chef des autorités syriennes de facto, Ahmed al-Charaa, a reçu le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot et son homologue allemande Annalena Baerbock à Damas. Lors de cette rencontre, le dirigeant syrien a refusé de serrer la main de la cheffe de la diplomatie allemande, alors même qu’il venait de serrer celle du ministre français.

Ce geste a fait l’objet de nombreux commentaires, notamment dans les médias occidentaux, puisqu’il interroge sur la conception qu’a le nouveau dirigeant syrien du rôle des femmes dans la société. Sur RTL, Jean-Noël Barrot a répondu qu’il aurait «préféré» que le dirigeant syrien serre la main de sa collègue allemande, mais que ce geste n’était pas l’objet de leur déplacement. Annalena Baerbock est revenue sur le sujet en répondant à une journaliste que «dès mon arrivée, j’ai compris que les poignées de main ne seraient pas ordinaires».

Après ce refus de poignée de mains avec une femme, plusieurs commentateurs en France, mais aussi en Allemagne, ont observé que Baerbock est apparue floutée sur des images de la rencontre. Noëlle Lenoir, ancienne ministre chargée des Affaires européennes (sous Jacques Chirac), a qualifié «ce floutage d’une femme - ministre d’Allemagne - par les nouveaux maîtres de la Syrie» de «proprement insupportable». Plusieurs publications indiquent que ce floutage aurait été publié par des médias islamistes proches du nouveau pouvoir syrien. Sur le montage publié par Noëlle Lenoir, on peut voir les deux versions d’une même photographie.

Les images floutées ont été publiées, le 3 janvier 2025, par le média Almharar. Ce média, qui existe sur les réseaux sociaux, se présente comme «la chaîne officielle du Free Syria News Network» et précédemment du «North Liberated News Network», soit le réseau d’informations de la partie Nord de la Syrie qui était alors en partie contrôlée par les rebelles syriens opposés à Bachar Al-Assad. Ce média, qui informait principalement sur le déroulement des combats et l’actualité dans le nord de la Syrie soutient donc le nouveau pouvoir syrien. Il est principalement actif sur le réseau social Telegram, où son compte créé en octobre 2019 réunit plus de 355 000 abonnés. Ses autres profils sur les réseaux sociaux rassemblent près de 55 000 abonnés sur WhatsApp (depuis novembre 2023), 45 000 abonnés sur Facebook (créé en septembre 2020) et 8 000 abonnés sur X (depuis septembre 2019).

Les règles de floutage des femmes par Almharar semblent elles-mêmes floues et incohérentes. Sur les rares photographies de femmes publiées sur son compte Telegram, CheckNews a observé qu’Almharar floute parfois des femmes, comme Mirjana Spoljaric Egger, présidente du Comité international de la Croix-Rouge, lors d’une rencontre le 4 janvier avec le Premier ministre Mohammed al-Bashir. Et d’autres fois, ce n’est pas le cas. Ainsi le 27 décembre 2024, Almharar publie des photos non floutées de femmes voilées ou non voilées faisant partie d’une délégation de la communauté syrienne en Amérique, rencontrée par Ahmed Al-Charaa et le ministre des Affaires étrangères, Asaad Al-Chibani. Le 18 décembre, des images non floutées montrent également deux femmes dans une délégation diplomatique allemande rencontrant Ahmed Al-Charaa. Sur des publications, plus anciennes, on peut également observer que des femmes politiques de premier rang comme Angela Merkel n’ont pas été floutées. Contacté, Almharar n’a pas répondu aux questions de CheckNews sur le floutage d’Annalena Baerbock.

Si le floutage d’Annalena Baerbock par le média Almharar a bien eu lieu, les photos de la rencontre entre la ministre allemande et le dirigeant Ahmad al-Charaa ont en revanche, et contrairement à ce qui a été parfois affirmé, publiées sans aucun floutage par le ministère syrien des Affaires étrangères, ainsi que par l’agence de presse officielle syrienne SANA, qui dépend du ministère syrien de l’Information.