Question posée par Jane le 4 avril 2022.
Bonjour,
Vous nous avez interrogés sur le nouveau slogan d’Emmanuel Macron, diffusé sur ses supports de campagne depuis deux semaines. «Nous Tous» a succédé à son premier slogan «Avec Vous». Une formule rapidement pointée du doigt par le collectif #NousToutes, qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles, pour sa proximité avec son propre nom. Après l’avoir découverte lors d’une distribution de tracts dans la rue, la journaliste Lauren Bastide a été la première à réagir. A travers une «story» publiée sur son compte Instagram, elle interpelle alors : «Sérieux c’est de la provoc ? Nous tous ? Really ?» Sa photo est reprise ensuite par Caroline De Haas, cofondatrice de #NousToutes, dans un tweet posté le 19 mars.
Le jeu des ressemblances (ou des emprunts) s’est poursuivi le week-end, par une petite phrase lancée par le président-candidat lors de son meeting à la Défense Arena. Au sujet du traitement des résidents des Ehpad Orpea, celui-ci a déclaré : «Nos vies, leurs vies, valent plus que tous les profits.» C’est cette fois dans le camp du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) qu’il a fait réagir. Lors des campagnes pour les présidentielles de 2002 puis de 2007, le candidat Olivier Besancenot (investi par la Ligue communiste révolutionnaire, ou LCR, l’ancêtre du NPA) utilisait cette formule pour dénoncer l’accentuation de «la fracture sociale», entre enrichissement des actionnaires et baisse de pouvoir d’achat de la population. Philippe Poutou, actuel candidat du NPA, n’a pas manqué, dès samedi, de dénoncer cet emprunt par un tweet : «Pendant que ses copains les riches volent l’argent public, Macron nous vole nos slogans. Décidément, ces gens osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.»
«On réagit en souriant», ironisait-il sur l’antenne de France Inter le lendemain, ajoutant : «Si on avait su, on l’aurait fait breveter, ça nous aurait rapporté des sous.» Un propos sur lesquels il est revenu au cours de l’émission «Elysée 2022» diffusée mardi sur France 2, en affirmant cette fois ci que le slogan empruntée par l’exécutif était «breveté».
Slogan enregistré à titre de marque
Si les brevets portent uniquement sur des inventions, l’emblématique «Nos vies valent plus que leurs profits» a bien été déposé auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), assure à CheckNews Pauline Salingue, porte-parole de la campagne de Philippe Poutou. Le slogan employé pour la première fois par la LCR en 2002 a été enregistré en 2006, comme l’atteste le site de l’Inpi, avant la présidentielle de 2007. En effet, un parti politique peut, comme tout individu ou organisation, faire enregistrer les éléments qui constituent sa «marque» (nom, slogan, ou encore logo). La formule chère au NPA fait ainsi partie des rares slogans politiques a avoir été déposés. Sauf qu’à l’heure actuelle, cet enregistrement n’est plus en vigueur puisque la validité d’un dépôt de marque est de dix ans. Faute de renouvellement, le slogan du NPA n’est plus protégé depuis 2016.
L’enregistrement du slogan par l’Inpi l’aurait théoriquement protégé contre toute utilisation par d’autres personnes (sauf si un accord était donné pour cet usage). En cas de poursuites, la «copie» aurait ainsi pu être considérée comme une «contrefaçon». Cette traduction juridique du terme plus commun de «plagiat» est punie par le code de la propriété intellectuelle. Est qualifiée de «délit de contrefaçon», dans son article L.335-3, «toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur».
Quoi qu’il en soit, Philippe Poutou assure auprès de CheckNews que son parti ne pensait «pas du tout poursuivre en justice» mais tient en revanche à «souligner le cynisme» d’Emmanuel Macron. «On n’est pas pour sa propriété. C’est un slogan qui est repris largement dans les manifestations donc on est très contents», complète la porte-parole de sa campagne.
Empreinte de la personnalité de l’auteur
A noter qu’en l’absence de dépôt auprès de l’Inpi, l’auteur d’un slogan n’est pas forcément démuni et peut s’en remettre, dans le cadre d’une action en contrefaçon, à l’appréciation du juge (habituellement le juge judiciaire, mais pas en période électorale, où ce contentieux revient par exception au Conseil constitutionnel). C’est à lui qu’il reviendrait de déterminer, dans un premier temps, «si le slogan litigieux est bien protégé par le droit d’auteur», explique à CheckNews Alexandra Mendoza-Caminade, spécialiste du droit de la propriété intellectuelle. La cour se pencherait sur «l’originalité» du slogan, qui peut se résumer dans la question suivante : «porte-t-il l’empreinte de la personnalité de son auteur ?» Conséquence : «Une phrase banale sera difficilement protégeable par le droit d’auteur», avance Nathalie Dreyfus, experte auprès de la Cour d’appel de Paris. Le juge pourra notamment se demander si d’autres termes auraient pu être employés pour exprimer la même idée, mais aussi procéder à des «recherches d’antériorités» du slogan – on s’aperçoit que le «Nos vies valent plus que leurs profits» revient régulièrement depuis le début des années 2000, et a aussi récemment été utilisé par les syndicalistes de la CGT, entre autres.
Le critère de l’originalité est donc très restrictif. D’autant plus en matière de slogans, qui sont des formules courtes, et parfois «tellement courtes qu’elles ne permettent pas l’expression de la personnalité», pointe Alexandra Mendoza-Caminade. «C’est moins évident à apprécier que dans le cas d’une œuvre cinématographique ou d’un roman, pour lesquels il y a plus de matière», renchérit-elle. Concernant le slogan féministe #NousToutes, qui nous intéresse également ici, l’usage d’une combinaison de seulement deux mots «n’est pas forcément un obstacle à la protection», puisqu’il arrive que soient protégés «une réplique, le titre d’une chanson, ou le nom d’un personnage», mais rend quand même l’originalité «plus difficile à caractériser». «Un homme politique a forcément besoin d’utiliser l’expression ‘nous tous’», tranche l’avocate Marie-Hélène Fabiani. «En matière politique, c’est compliqué d’établir l’originalité», ajoute-t-elle, citant comme formule «plus inédite» celle utilisée par François Mitterrand lors de la campagne présidentielle de 1981, «La force tranquille».
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Si le juge établit l’originalité du slogan, il lui revient ensuite de vérifier l’existence, ou non, d’une contrefaçon. Avec une nouvelle difficulté : «En général, le contrefacteur ne reprend pas in extenso l’œuvre protégée», pointe Alexandra Mendoza-Caminade. Le juge va donc trancher «en fonction des ressemblances entre les deux éléments», sans s’attacher à leurs différences. En bref, «s’il estime que ces ressemblances sont trop nombreuses, il pourra en déduire qu’il y a contrefaçon».
Le contentieux existant, qui concerne principalement le domaine de la publicité, laisse place à une certaine «imprévisibilité», rapporte Alexandra Mendoza-Caminade. Dans quelques affaires, les juges ont pu considérer que le slogan litigieux constituait «une œuvre littéraire, mais une œuvre particulière puisque très courte». D’autres fois, ils ont adopté le raisonnement inverse, en estimant que «donner de la protection au slogan, c’est priver les autres de son utilisation». La protection entrerait alors en conflit avec le principe de liberté d’expression, qui veut que «la formule reste à la libre disposition de tous».
Confusion ou parasitisme
Reste un dernier recours que pourrait engager l’auteur d’un slogan : l’action en responsabilité. A travers cette procédure, l’idée est d’affirmer que, même si la formule n’est pas originale, sa reprise constitue une faute caractérisant une concurrence déloyale. «La faute peut prendre la forme soit d’un risque de confusion dans l’esprit du public concerné, soit d’un parasitisme, comportement par lequel un tiers profite des efforts économiques ou intellectuels du titulaire», détaille Nathalie Dreyfus. A l’arrivée, si son préjudice est reconnu, le requérant peut recevoir des dommages et intérêts, et par ailleurs obtenir que soit interdit l’usage par autrui de son slogan. Pour le collectif #NousToutes, il s’agirait de démontrer qu’il a «souffert de l’utilisation du slogan ‘Nous tous’» par le président-candidat, autrement dit «prouver soit que le public a effectué un tel rapprochement entre les deux signes qu’il a été amené à les confondre, soit qu’Emmanuel Macron a agi en tant que parasitaire».
Contacté par CheckNews, le collectif #NousToutes, comme le NPA, ne fait part d’aucune intention d’engager des poursuites, car sa colère «n’est pas une question de propriété intellectuelle». Si la référence, au travers de ce nouveau slogan de campagne, à l’action des militantes «est faite exprès, c’est une question de non-respect pour les victimes et les organisations féministes qui se sont mobilisées ces cinq dernières années», déclare Diane Richard, membre de la coordination nationale de #NousToutes, estimant que leur message aurait ainsi été détourné. Elle dénonce une communication «très hypocrite» de la part d’Emmanuel Macron, qui promet de faire à nouveau de l’égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat, alors que «les engagements donnés il y a cinq ans n’ont pas été tenus».
L’équipe de campagne du président sortant, sollicitée sur l’emploi de formules semblables à celles du collectif féministe et du parti de Philippe Poutou, n’a pour l’heure pas donné suite.
Série de copier-coller
Du «Courage de la vérité» passé des affiches d’Arnaud Montebourg en 1997, 2002 et 2007 aux affiches de François Fillon en 2017, jusqu’à la reprise flagrante par Marine Le Pen la même année d’extraits entiers de discours du candidat des Républicains, les campagnes électorales sont truffées de copies de slogans et éléments de communication, sans pour autant que des poursuites en justice s’ensuivent.
Cette élection 2022 ne fait pas exception. En septembre dernier, les Jeunes avec Macron ont diffusé une affiche en soutien au futur candidat en s’appropriant les codes visuels de la plateforme de streaming Netflix. Avant que, quelques jours plus tard, le Rassemblement national ne dévoile le logo «M» de sa candidate Marine Le Pen, dans une vidéo où la lettre se dessine à la manière du «N» qui précède chaque visionnage d’un programme Netflix. Ce qui a valu à l’équipe du RN d’être taxée de copie par la macronie.
🔴Mise en demeure adressée à @Reconquete_Z @EricZemmour pour contrefaçon du logo de @ResistonsFrance. Cette copie constitue un acte de contrefaçon. Ns demandons d'en cesser l’usage dans un délai de 8 jours. Nous saisirions les juridictions compétentes s’il le faut #jeanlassalle pic.twitter.com/LLPJdDUAPD
— Jean Lassalle (@jeanlassalle) January 14, 2022
Quant au dernier-né des partis en présence dans cette présidentielle, celui fondé par Eric Zemmour et baptisé «Reconquête !», il possède, comme le mouvement «Résistons !» de Jean Lassalle, un logo représentant la première lettre de ces mots suivie d’un point d’exclamation, le tout dans les mêmes tons bleu, blanc, rouge. Dénonçant «un acte de contrefaçon», Jean Lassalle a publié en janvier sur son compte Twitter la lettre de mise en demeure adressée par les avocats représentant son association au parti d’Eric Zemmour.
Mise à jour : Le 6 avril à 13 h 10, précision sur la date d’enregistrement du slogan de la LCR à l’Inpi.