Vous nous avez interrogés sur une phrase prêtée au président israélien sur les réseaux sociaux. De nombreux messages relaient une déclaration d’Isaac Herzog, affirmant qu’«il n’y a pas de citoyens innocents à Gaza». La phrase est parfois retranscrite dans une version un peu différente, comme dans ce post vu plus de 500 000 fois. Isaac Herzog y est cité affirmant que «personne n’est innocent dans la bande de Gaza, y compris les civils.»
⚪️SPOTLINE | Israeli President Isaac Herzog claims, "No one is innocent in the Gaza Strip including civilians." pic.twitter.com/Cidnpn9nFM
— The Spot (@Spotnewsth) October 14, 2023
Les posts renvoient en général un extrait vidéo d’une quarantaine de seconde, où l’on entend : «Nous menons des opérations militaires selon les règles du droit international. Point à la ligne. Sans équivoque. C’est toute une nation qui est responsable. Ce n’est pas vrai, cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas conscients et ne sont pas impliqués, c’est absolument faux. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique qui a pris le contrôle de Gaza lors d’un coup d’Etat.»
Il s’agit d’un montage de propos effectivement tenus (mais pas tout à fait dans cet ordre) lors de la conférence de presse du président devant la presse étrangère.
CheckNews a écouté le passage entier, qui se tenait après l’annonce par Israël du déplacement de plus d’A million de Gazaouis. En voici un verbatim.
Un journaliste de la chaîne britannique ITV évoque les propos de Joe Biden ayant mis en avant la nécessité de respecter le droit international et de prendre en compte la situation humanitaire à Gaza. Puis interroge Isaac Herzog sur ce que compte faire Israël pour «soulager l’impact du conflit sur les 2 millions de civils de Gaza, dont beaucoup n’ont rien à voir avec le Hamas».
Ce qui amène cette réponse du président israélien : «Tout d’abord, nous devons comprendre qu’il existe un Etat qui a construit une machine du mal, juste à nos portes. C’est toute une nation qui est responsable. Ce n’est pas vrai cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas conscients et ne sont pas impliqués, c’est absolument faux. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique qui a pris le contrôle de Gaza lors d’un coup d’Etat assassinant les membres de leur famille qui étaient dans le Fatah. Il y a une courte mémoire sur le monde. Israël a évacué Gaza, unilatéralement, afin de montrer sa volonté de faire la paix. J’étais membre de ce cabinet. Nous avons dit à notre nation que ce serait Hongkong du Moyen-Orient. Eh bien, la réalité s’est transformée en tragédie. [...] Nous menons des opérations militaires selon les règles du droit international. Point à la ligne. Sans équivoque. Mais nous sommes en guerre. Nous défendons nos maisons. C’est la vérité. Et lorsqu’une nation protège son pays, elle se bat. Et nous nous battrons jusqu’à ce que nous leur brisions la colonne vertébrale.»
Cibles légitimes
Quelques minutes après, un journaliste de Channel 4 relance Herzog en ces termes : «En écoutant vos réponses ces dernières minutes, je suis un peu confus, parce que d’un côté vous dites qu’Israël respecte les règles de la guerre et est très prudent pour éviter la perte de vies civiles dans la bande de Gaza, mais en même temps le moment où vous semblez tenir les gens pour responsables de ne pas avoir tenté de supprimer le Hamas et donc, implicitement, cela en fait des cibles légitimes.»
A quoi Herzog répond : «Je n’ai pas dit ça. Je n’ai pas dit ça. Je veux que ce soit clair. On m’a demandé quelque chose sur la séparation des civils du Hamas. Mais avec tout le respect que je vous dois, si vous avez un missile dans votre foutue cuisine et que vous voulez me le tirer dessus, ai-je le droit de me défendre ? Ces missiles sont là, ces missiles sont lancés, on appuie sur le bouton, le missile sort de la cuisine, et tombe sur mes enfants. [...] Il faut que nous nous battions ! On leur dit de sortir et on se bat contre les lanceurs. Nous devons nous assurer que le Hamas ne pourra pas répéter cela. C’est ce que nous essayons de faire. [...] Je suis d’accord qu’il y a beaucoup de Palestiniens innocents qui ne sont pas d’accord avec cela, mais malheureusement, dans leurs maisons, il y a des missiles qui nous tirent dessus, sur mes enfants et sur toute la nation israélienne. Nous devons nous défendre, nous avons pleinement le droit de le faire.»
Le président n’affirme donc pas textuellement qu’«il n’y a pas d’innocent à Gaza». Il emploie même (certes après être relancé) le mot «innocent» pour dire «qu’il y a beaucoup de Palestiniens innocents qui ne sont pas d’accord avec cela [les crimes du Hamas ndlr]». En revanche, il met bien en avant «la responsabilité de toute une nation» dans la prise de pouvoir du Hamas. Ce qui apparaît, étant donné que la question portait sur les souffrances subies par les civils, comme une justification de ces dernières.
Une rhétorique partagée
A noter que cette rhétorique de la responsabilité «politique» des civils gazaouis a été développée, au-delà d’Isaac Herzog, chez les responsables israéliens ces derniers jours. Interrogé sur le drame humanitaire de l’exil forcé d’1 million de personnes, le représentant d’Israël à l’ONU déclarait, le 13 octobre soit le même jour que la conférence d’Isaac Herzog : «Je suis vraiment désolé de la souffrance endurée par les gens de Gaza, mais nous devons tous nous souvenir qu’ils ont élu le Hamas il y a dix-huit ans. Le Hamas est le seul responsable de tout ce qui se passe actuellement.»
Ces propos, légitimant les souffrances infligées aux civils, ont été dénoncés, notamment sur X par Omar Shakir, «responsable Israël /Palestine» de l’ONG Human Rights Watch.