Question posée par D., le 2 août 2023
«Hallucinant !», s’insurge un tweet publié dans la soirée du 31 juillet et consulté plus de 300 000 fois. Son auteur, qui se présente comme «luthier, ingénieur en génétique microbienne, musicien, enseignant», reproche au site d’Infoclimat de supprimer «les records de température». Et prend comme exemple la page sur la climatologie globale à Hassi Messaoud, une station météorologique basée dans cette commune du centre de l’Algérie. Expliquant avoir consulté cette page deux jours d’affilée, il rapporte avoir constaté que la «température extrême maximale» de 53,9 °C initialement affichée pour l’année 1993 laisse désormais place à une pointe à 48,6 °C. «Record de 1993 effacé», s’indigne-t-il.
L’auteur du tweet suggère que cette modification a été opérée dans un but idéologique. De nombreux commentaires adhèrent à cette thèse, dont certains évoquent une «destruction des archives gênantes et une réécriture de l’histoire», quand d’autres parlent d’un «complot mondialiste». A travers les lignes, on comprend que ces personnes s’appuient sur le cas d’Hassi Messaoud (où il faisait déjà très chaud il y a trente ans) pour en déduire qu’on leur ment sur la réalité du changement climatique, qui s’accompagne d’un réchauffement de la planète sur le long terme.
«Simple ajustement de données»
Vous nous demandez donc si, comme le prétend cet utilisateur de Twitter, il est «vrai que les données météo ont été modifiées récemment afin de faire disparaître les records de température précédents.»
Hallucinant ! Ils suppriment les records de température. Deux consultations en 2 jours. Record de 1993 effacé . Missions accomplie.
— marco nius (@NiusMarco) July 31, 2023
On ne peut pas lutter contre une telle idéologie et une telle malhonnêteté pic.twitter.com/05ZLVRRPYX
Dans les commentaires toujours, des utilisateurs de Twitter (X) avancent une autre explication. Ce changement de température maximale pour 1993 à Hassi Messaoud résulte d’un «simple ajustement de données par milliers dont certaines n’étaient pas bonnes», écrit Paul Marquis, un météorologue qui dirige l’entreprise E-Meteo Service.
L’association Infoclimat, en charge de la gestion de infoclimat.fr, a elle-même détaillé dans un thread le contexte dans lequel cette rectification est intervenue. Le site, qui existe depuis 2003, «héberge aujourd’hui entre six et huit milliards de données climatologiques. Le tout, géré par des bénévoles qui ne les ont évidemment pas toutes vues ni contrôlées (à dix personnes, il faudrait huit cents ans au rythme de deux données contrôlées par minute non-stop).»
Ne pas se reposer uniquement sur les algorithmes
Ces données sont principalement issues de sources officielles, comme les services météo nationaux, tels que Météo France ou la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) aux Etats-Unis, mais aussi de l’organisation météorologique mondiale, détaille à CheckNews Frédéric Ameye, expert cybersécurité chargé du développement du site d’Infoclimat. Le site puise également des données dans les travaux de scientifiques, comme ceux de l’institut royal météorologique des Pays-Bas, à l’origine du projet ECA & D (pour «European Climate Assessment and Dataset», ou «Evaluation et jeux de données sur le climat en Europe»).
Malgré (ou à cause de) cette pluralité d’acteurs, auxquels se réfèrent tous les sites qui, comme Infoclimat, agrègent des données météo, «il n’existe pas aujourd’hui de source de vérité officielle sur ces données», pointe Frédéric Ameye. S’y ajoute le fait que «chaque pays donne les données dont il dispose à sa guise, après les avoir, ou pas, retraitées à la main.» Ainsi, à ce jour, Météo France, ne met pas à disposition du grand public ses données, qu’il a rendues payantes. Il faut donc «les récolter au jour le jour», et Infoclimat s’aide pour cela «principalement des messages qui sont liés à la sécurité aéroportuaire». De son côté, «la NOAA essaye de construire des bases de données homogénéisées, mais elles restent imparfaites.»
Nous sommes la cible de milliers de comptes climatosceptiques depuis quelques heures, par la diffusion de ce tweet ci-dessous.
— Asso Infoclimat (@infoclimat) August 1, 2023
L'occasion de vous faire un point sur la source des données d'Infoclimat, les sources d'erreurs, et les corrections apportées (ou non). pic.twitter.com/nqKR9NdMna
Autre difficulté avancée par Frédéric Ameye : «Les données nous parviennent au fil des années et avec des qualités variables.» Ces datas peuvent notamment comporter des erreurs. Soit instrumentales, dues à des défaillances de capteurs météorologiques, soit des erreurs de transmission, alors liées aux encodages complexes des données météo – qui, au moindre défaut, faussent le traitement automatique par les algorithmes. «D’autant que certaines données sont parfois issues de formats oubliés au fil des décennies, réencodés par la suite», soulignait le thread d’Infoclimat mardi 1er août. Toutes ces erreurs ne sont pas nécessairement portées à la connaissance des sites, précise Frédéric Ameye : «Les données sont intégrées à une certaine date, et peut-être que des années plus tard le service météo va fournir un correctif, mais on ne l’aura pas forcément.»
D’où la nécessité de ne pas se reposer uniquement sur les algorithmes et outils automatiques, pour parfois confier à un humain la tâche d’effectuer des contrôles qualité et des corrections à la main. D’ailleurs, «les manipulations restent encore majoritairement manuelles dans les services officiels de météorologie», poursuit le développeur de infoclimat.fr. Et même les services météo, qui pourtant «sont censés avoir des moyens suffisants pour corriger les erreurs, n’y arrivent pas toujours.»
Modélisations
Chez Infoclimat, ces corrections reposent sur «des personnes sélectionnées pour leurs compétences». L’association compte, parmi ses administrateurs, le docteur en agroclimatologie Serge Zaka (connu pour ses chapeaux de cow-boy) et Laurent Garcelon, observateur Météo France et membre de la Société météorologique de France. Les experts ne se contentent pas d’observer des séries, insiste Frédéric Ameye, ils vont «étudier le contexte dans lequel une donnée s’est produite», à partir des données relevées dans la même zone géographique, celles émises peu avant ou après par la même station, ou encore à l’aide de modélisations.
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S’agissant des températures maximales à Hassi Messaoud, les valeurs présentées sur la page consacrée à cette station météorologique résultaient d’une série de données qui n’avait pas été mise à jour «depuis les années 2010», rapporte Frédéric Ameye. Entre-temps, «personne ne s’était penché sur les données de cette station». Pour les stations d’Afrique, les sites de climatologie doivent se référer à une poignée de sources, et il est donc plus complexe d’appréhender la qualité des données.
Anomalie vite repérée
Ces derniers jours, les membres d’Infoclimat ont «reçu des signalements» les informant «que des climatosceptiques utilisaient ces données pour servir leur argumentaire.» En analysant la série de données en question, l’anomalie a vite été repérée, grâce à différents indices. Notamment, «les stations aux alentours n’avaient mesuré que des températures significativement plus basses.» De plus, la station d’Hassi Messaoud «avait elle-même mesuré des températures bien plus faibles dans ses relevés horaires», quand «la valeur erronée n’était qu’un récapitulatif journalier». Pour finir, la donnée affichée pour 1993 ne recoupait pas celles «d’autres sources de données plus à jour».
Une fois cette donnée «invalidée», poursuit Frédéric Ameye, la valeur corrigée a été automatiquement extraite d’une autre source, habituellement peu utilisée mais apparaissant cette fois comme «la meilleure». Deux sources alimentant le site d’Infoclimat confirment alors les 48,6 °C en lieu et place des 53,9 °C : une base de données achetée auprès de l’entreprise spécialisée Weather Graphics, corroborée par la base de données Global Land Surface de Copernicus (le programme européen d’observation de l’état de la Terre).