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Le suicide de M., salarié gréviste de RTE, a-t-il été «instrumentalisé» par une partie de la gauche ?

Un jeune agent du gestionnaire du réseau électrique s’est donné la mort cette semaine. En septembre, il avait été entendu par la justice après avoir participé à un mouvement social. Son décès a donné lieu à de nombreuses réactions, parfois sur la base de fausses informations.
Mercredi, le patron de RTE a démenti tout lien connu entre l’activité professionnelle de M. et son suicide. (Xose Bouzas/Hans Lucas/AFP)
publié le 22 octobre 2022 à 13h02

C’est l’histoire triste, déformée et montée en épingle, d’un jeune homme de 29 ans, M., agent RTE à Saumur (Maine-et-Loire), qui a mis fin à ses jours, lundi 17 octobre. On a pu lire son nom, cette semaine, sur les réseaux sociaux ou dans les médias, tour à tour présenté comme une victime de la répression syndicale ou policière, un cas d’école d’un emballement sur les réseaux ou l’objet d’une macabre récupération politique.

Dès qu’il a été connu, dans un climat social éruptif, le décès de M. a été l’objet d’un vif émoi en ligne, dans les cercles militants locaux, puis nationaux. M. avait participé, comme de nombreux collègues de l’Ouest, à une longue grève. Il avait été convoqué le 7 septembre au commissariat d’Angers, dans une affaire de coupure de courant sauvage, début juin, qui avait touché l’agglomération angevine. Les hommages, plus ou moins informés, plus ou moins déformés, se sont multipliés. Cyril Girardeau, un ancien candidat de la Nupes (un des rares à avoir conservé, et corrigé, son tweet) écrit : «La répression a assassiné […] un jeune de 28 ans. M. était un des électriciens de RTE poursuivi par l’antiterroriste pour avoir fait grève. Il s’est donné la mort suite à cette poursuite ignoble par l’Etat.»

L’historienne Ludivine Bantigny affirme, dans un tweet, que le jeune homme avait été placé en garde à vue par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qu’il avait été menotté devant sa famille. Thomas Portes, député Nupes de Seine-Saint-Denis, dénonce lui aussi les effets de «la répression» et raconte des menaces de licenciement pesant sur le salarié : «En septembre, des salariés de RTE ont été entendus par la police pour avoir repris en main l’outil de travail lors d’une grève. Ils étaient menacés de licenciement.» Les mots «la répression tue» accompagnait souvent les tweets le mentionnant.

«Obligés de communiquer pour bien clarifier les affaires»

Ces premières dénonciations en forme d’hommage reposaient souvent sur des informations erronées. M. n’a jamais été placé en garde à vue, ni arrêté ou menotté devant sa famille. Si quatre salariés de RTE ont effectivement été placés sous contrôle judiciaire après une garde à vue à la DGSI, il s’agissait d’agents du Nord. M. n’y avait rien à voir.

D’après nos informations, des cadres de la CGT ont demandé la suppression de plusieurs messages trompeurs postés par ses adhérents ou des comptes connus. Mardi dans la soirée, la section du Maine-et-Loire, où militait M., décide de publier un communiqué. «Tout ce qui a pu être dit par des politiques, c’est un peu de la récupération et certains mélangent certaines affaires. C’est désastreux. On a été obligés de communiquer pour bien clarifier les affaires», justifie aujourd’hui Pascal Tournecuillert, de la CGT énergie du 49, très affecté par la mort du jeune homme qu’il connaissait.

Dans son texte, l’union départementale évoque le conflit social qui opposait le salarié du groupe de maintenance réseau (GMR) d’Anjou, ainsi que d’autres collègues à la direction de RTE. «Comme de très nombreux collègues du GMR de l’Ouest, il avait participé aux trois mois de grève pour gagner une revalorisation de 5 % des salaires et une revalorisation des reconnaissances de qualification», peut-on lire. Le communiqué retrace les événements des derniers mois : M. avait assisté à l’évacuation d’un piquet de grève par les CRS avant d’être convoqué le 7 septembre en audition libre au commissariat d’Angers, dans une affaire de coupure de courant sauvage le 2 juin (pour laquelle il niait toute implication). «Comme les autres collègues convoqués, M. avait très mal vécu cette période de mépris, d’humiliation, puis de répression en tous genres», conclut la CGT énergie 49 avant de répéter son soutien à ses proches.

Sous le coup d’aucune sanction

S’il apporte quelques éclaircissements, et coupe court à certaines rumeurs, notamment sur l’absence de lien entre l’audition de M. et les gardes à vue de ses collègues du Nord, le communiqué, loin de mettre fin à l’emballement, est repris par plusieurs députés de la Nupes. «La grève est un droit constitutionnel. Personne ne devrait être inquiété pour cela. La mort de M. est un drame. Condoléances à sa famille, ses collègues et ses proches», écrit Mathilde Panot, présidente du groupe de La France insoumise à l’Assemblée nationale. «Bouleversé par le suicide de M., agent RTE. Il avait 29 ans, la vie devant lui. Poursuivi pour avoir fait grève et s’être battu pour des hausses de salaire ! De tout cœur avec sa famille, ses camarades de la CGT et ses collègues», s’émeut aussi Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste.

Dans une interview donnée à la web télé le Média, publiée le 19 octobre, Cédric Liechti, de la CGT Energie Paris, concède ne pas connaître le jeune homme, parle de respecter le temps du deuil, d’attendre les résultats des enquêtes, mais il accuse RTE d’avoir une part de responsabilité dans le drame. Et il relaye, en lui donnant un écho, la rumeur qui selon lui bruisse sur des piquets de grève : «Ils ont tué l’un des nôtres.» Il assure : «Le temps du deuil passé, il y a une réaction collective de la CGT et de ses collègues, à l’échelle nationale.» De l’autre côté du micro, le journaliste Théophile Kouamouo, affirme à tort que M. avait été convoqué à un entretien préalable à sanction. Le salarié gréviste ne faisait l’objet d’aucune sanction, comme ont pu le confirmer RTE et l’avocat du jeune homme, Hugo Salquain, à CheckNews.

Dans la journée de mercredi, la Fédération nationale des mines et de l’énergie (FNME) publie à son tour un communiqué indiquant que le drame «a eu lieu dans un contexte particulier, celui de la criminalisation de la grève». «Cet événement tragique survient après un conflit très éprouvant où, pendant plus de trois mois, les agents du GMR Anjou se sont battus pour obtenir 5 % d’augmentation de salaire [soit environ 70 euros par mois, selon la CGT, ndlr]. Ils n’ont reçu en réponse que du mépris de la direction. Celle-ci a même envoyé les CRS pour déloger les grévistes», peut-on lire. La CGT explique par ailleurs avoir «alerté sur les conséquences délétères de ce management répressif, mais rien ne peut émouvoir la direction».

Le même jour, en fin de journée, Xavier Piechaczyk, le patron de RTE, est interrogé sur la mort du jeune salarié sur le plateau de C à vous. Il se dit «bouleversé par cet événement». Tout en dénonçant «une instrumentalisation», il dément tout lien connu entre l’activité professionnelle du jeune homme et son acte. Plusieurs articles de presse évoquent un emballement. Sur les réseaux sociaux, les messages se font moins fréquents.

«La suspension de la fourniture d’électricité n’était pas prévue au départ»

«C’est parti d’une fausse information selon laquelle c’était un des quatre convoqués à la DGSI. Et j’ai l’impression que comme ce n’est pas un de ceux-là, ça n’intéresse plus personne», déplore Francis Casanova, délégué syndical CGT chez RTE. Selon Pascal Tournecuillert, le jeune salarié était «très affecté» par la façon dont était géré le conflit social : «Il a reçu la convocation par courrier. Quelques jours après, il était en arrêt maladie. On en a parlé avec lui, c’était quelqu’un de sensible, rigoureux dans son travail et attentif. Il est revenu la semaine dernière, je devais le voir lundi ; il n’est jamais venu.»

Son audition est intervenue le 7 septembre, dans le cadre d’une enquête ouverte par le parquet d’Angers pour «entrave à la liberté du travail et mise en danger de la vie d’autrui» concernant la coupure sauvage d’électricité du 2 juin. «Sur le site d’Angers, sur un poste électrique, on avait juste prévu une occupation de site pour montrer qu’on n’était pas contents. Il y a aussi d’autres industries électriques et gazières. Quand on a fait le bilan des réponses de la direction, la colère est montée, il y a eu une suspension de la fourniture d’électricité, ce qui n’était pas prévu au départ. M. a été auditionné pour ça, alors qu’il est bien resté dehors sur le parking», relate Pascal Tournecuillert.

Le procureur en charge de l’affaire, Eric Bouillard, indique à CheckNews avoir reçu «plus d’une centaine de plaintes» en lien à cette action. La chambre de commerce et d’industrie avait encouragé les entreprises à en déposer après la coupure. Par ailleurs, RTE avait également déposé une plainte contre X pour malveillance. Pour l’heure, les auditions sont toujours en cours, indique Eric Bouillard.

D’après ce dernier, le jeune homme avait fait part de «problèmes personnels» lors de son entretien. Un élément que ne confirme pas son avocat : «Je n’ai pas de souvenir d’un souci, autre que ce qu’il vivait à cause du conflit social et qui l’affectait beaucoup. C’était palpable qu’il n’allait pas bien, il était très déprimé par tout ça. Ça n’a pas aidé.» «Le travail faisait partie [de son mal-être]. Après, il avait sûrement des problèmes personnels, il restait discret dessus», dit Pascal Tournecuillert.

A la suite du décès de M., une enquête a été ouverte et est toujours en cours. «Le parquet de Saumur est saisi uniquement du suicide de [M.]», explique la procureure saumuroise Alexandra Verron. Elle indique qu’«aucun lien n’a été établi» entre son décès et sa situation professionnelle ou son audition. Et précise que M. «n’a laissé aucun écrit expliquant son geste».