Dans le cadre d’une élection législative en France, à moins qu’un candidat soit élu dès le premier tour (par plus de 50% des suffrages exprimés, et un minimum de 25% d’inscrits), un deuxième tour est organisé. Les deux candidats en tête ne sont pas les seuls à pouvoir se maintenir puisque – comme pour les cantonales – le second tour est ouvert à tout autre candidat bénéficiant du vote d’au moins un huitième des inscrits (12,5%). Une situation qui contraste avec les élections municipales et régionales, pour lesquelles le seuil de maintien au second tour renvoie aux suffrages exprimés (c’est-à-dire les votes, et non les inscriptions sur les listes).
La théorie
Cette règle a une conséquence simple : plus le taux de participation est fort à une élection législative – autrement dit, plus il y a d’inscrits qui votent – plus la possibilité de voir des candidats atteindre 12,5% des électeurs augmente.
Prenons l’exemple fictif d’une circonscription avec un taux de 50% de participation. Si le RN atteint 35%, le Nouveau Front populaire (NFP) 25% et le candidat de la majorité présidentielle 20%, seuls le RN et le NFP seront au deuxième tour, puisque le troisième parti n’a reçu les suffrages que de 10% des inscrits. Avec une participation de 65% (un taux qui pourrait être atteint lors du scrutin à venir, selon les projections des instituts) et les mêmes scores, on débouche sur une triangulaire, puisque le troisième candidat enregistre, ici, les suffrages de 13% des inscrits (équivalent de 20% des suffrages de 65% d’inscrits).
La pratique
Voilà pour la théorie. Toutefois, en pratique, une forte participation à une élection peut très bien refléter un plébiscite pour un ou deux candidats, et laisser sur le carreau le reste des prétendants. Dans les faits, pour les élections législatives des quarante dernières années, on observe une faible corrélation entre participation et nombre de triangulaires.
Ainsi, en 1993, on dénombrait 15 triangulaires pour 68,9% de participation contre 105 situations de triangulaires à l’issue du premier tour en 1997 (79 après désistements républicains), pour une participation quasi identique (67,9%). L’écart s’expliquait par la première percée du Front national en 1997, jusqu’alors cantonné autour ou sous les 10%.
En 2007, avec 60,4% de participants, on dénombrait 12 situations de triangulaires (une seule à l’issue des désistements) alors que, cinq ans plus tard, avec un taux de participation inférieur de 3 points, les situations où trois candidats étaient en lice à l’issue du premier tour s’élevaient à 46 (36 après désistements). Explication : en 2007, la captation des voix de droite par les listes sarkozystes avait mis sur la touche les listes lepénistes.
Des triangulaires quand il y a l’extrême droite
En bref : si la forte participation est une condition nécessaire à la multiplication des situations de triangulaires, elle n’est pas une condition suffisante. Et c’est bien la popularité de trois courants politiques concurrents, et l’engagement des partisans de ces courants à se rendre aux urnes, qui sont alors décisives.
En France, c’est avant tout lorsque l’extrême droite prend un peu (ou beaucoup) plus d’ampleur dans l’opinion – comme c’est le cas en 2024 – que les situations de triangulaires émergent.
Il ne fait guère de doutes qu’on retrouvera le RN dans un nombre très important de circonscriptions pour le deuxième tour. Reste à savoir si des logiques de désistement «républicain» en faveur du candidat le mieux placé seront poussées pour limiter le nombre de députés d’extrême droite. Au vu du discours tenu dans le camp présidentiel ou chez LR, désignant le Nouveau Front populaire comme un «extrême» au même titre (voire pire) que le RN, on peut en douter.
Mise à jour vendredi 28 juin