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L’émission «Complément d’enquête» a-t-elle révélé qu’une officine avait payé des internautes pour dénigrer la Nupes ?

Election Présidentielle 2022dossier
Un extrait de l’émission diffusé sur Twitter a été interprété par des internautes comme la preuve qu’une officine serait à l’origine d’une campagne de dénigrement de la Nupes.
Dans son reportage, «Complément d’enquête» conclut que les articles pro-Macron et anti-Nupes ont été commandités par des acteurs qui, selon les services de l’Etat, ont tenté de présenter Emmanuel Macron comme ayant recours aux «fermes à trolls». (Ludovic Marin/AFP)
publié le 1er novembre 2022 à 16h02
(Question posée par Disky le 31 octobre 2022

Une officine pro-Macron a-t-elle payé des rédacteurs pour dénigrer la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) durant les élections législatives ? Sur les réseaux sociaux, un court extrait de l’émission Complément d’enquête intitulée «France : les réseaux Poutine», diffusée le 27 octobre sur France 2, a suscité l’indignation de responsables et soutiens de l’union de la gauche.

Le 30 octobre, sur Twitter, le député Antoine Léaument (La France insoumise, LFI) s’indignait ainsi : «Scandale : qui a payé des gens pour écrire des fake news sur la Nupes ?» Même colère chez le député insoumis Alexis Corbière : «Il faut des explications à ce qui ressemble à un scandale… Existe-t-il des officines qui payent des gens pour diffuser de fausses rumeurs sur les réseaux contre la Nupes ?»

«Faire du dénigrement politique»

Plusieurs internautes vont plus loin, évoquant sur la base du même extrait une campagne diligentée par la majorité : «Les macronistes qui paient des gens pour améliorer l’image des leurs» et «salir la Nupes à grands coups de fake news», lit-on. L’un d’eux s’interroge : «Est-ce que ce sont nos impôts, c’est-à-dire de l’argent public, qui finance ces agences de fake news au service de Macron ?»

La séquence en question dure environ une minute. On y voit une journaliste de Complément d’enquête prendre contact avec un individu se faisant appeler Fabien Héroux. L’homme lui demande «de rédiger des textes, pour les réseaux sociaux, de 400 mots maximum». Au départ, «de simples portraits d’hommes politiques français» de Véran, Darmanin, Attal, Abba, Peyrat ou Castaner. «Mais très vite, ça se complique», poursuit la journaliste. «Il nous est demandé de créer de fausses informations ou de faire du dénigrement politique.» A l’image, on peut entrevoir le contenu de deux échanges, évoquant la Nupes ou Jean-Luc Mélenchon. Dans le premier, on peut lire : «Pour la mission suivante, il faut créer une information. Je vous ai envoyé un lien concernant un détournement de fonds par le parti Rassemblement national. Il faut faire un petit article pareil, mais en changeant la date, la somme, etc. Ecrivez dans l’article que le parti La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon (...)» (la suite du texte n’est pas visible à l’écran, ndlr). Le second mentionne les législatives, et «un sérieux adversaire, qui est Nupes».

Billard à deux bandes

Si l’extrait laisse bien penser à une opération de promotion de la majorité et de déstabilisation visant la Nupes, les apparences sont pourtant trompeuses et les commentateurs n’ont visiblement pas vu l’émission dans son intégralité. En effet, tout le propos du reportage dont est issu cette séquence (qui peut être revisionné ici) est de montrer que les commanditaires de ces articles, loin d’être «pro-Macron», étaient en réalité à l’origine d’une campagne visant à discréditer le parti présidentiel. Complément d’enquête explique comment, dans un jeu de billard à deux bandes, des contenus de (grossière) propagande pro-Macron ont été créés pour pouvoir ensuite dénoncer une tentative de manipulation ourdie par le parti présidentiel.

Cette campagne anti-Macron d’un nouveau genre est, selon Complément d’enquête, imputable à Moscou. A la cinquantième minute du reportage, consacré aux réseaux d’influence russes, les journalistes révèlent en effet qu’Evgueni Prigojine (un homme d’affaires proche du Kremlin, fondateur du groupe paramilitaire Wagner) «est suspecté d’avoir attaqué l’élection présidentielle de 2022». Ils expliquent avoir suivi, durant plusieurs mois, les travaux de Viginum, l’agence française de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères. «A force de scruter les réseaux sociaux, ils ont fini par repérer des comptes bizarres.» Par exemple, des comptes Facebook qui relaient des affiches appelant à voter Macron présentant de nombreuses fautes de frappe ou diffusent des visuels à l’apparence professionnelle mais absents du kit de campagne officiel du candidat. Ce réseau de comptes, apparus sur Internet sur un temps très court, est alimenté depuis des pays d’Afrique. Ils ne fonctionnent jamais le week-end. «Pour Viginum, ça sent le faux à plein nez», poursuit le reportage.

Fermes de trolls en Afrique

«Mais pourquoi créer ainsi une fausse campagne pro-Macron ?» interroge la journaliste. La conclusion à laquelle est arrivée Viginum est formulée par un représentant de l’agence : «Le 7 avril, un média africain – en l’occurrence Net Afrique – publie un article qui révèle l’existence de ce réseau de comptes, avec le titre : «Fièvre électorale en France : réseau africain de la propagande». En réalité, c’est le début d’une campagne de médiatisation délibérée, avec un narratif très clair : afficher l’exploitation, l’utilisation par la France de fermes à trolls basées en Afrique.» «En clair, résume la voix off, ces faux comptes pro-Macron auraient été lancés juste pour créer un scandale : le président français aurait triché pour booster sa campagne.»

Contrairement à ce qu’ont cru plusieurs internautes, Complément d’enquête conclut donc que les articles pro-Macron et anti-Nupes ont été commandités par les mêmes acteurs qui, selon les services de l’Etat, ont tenté de présenter Emmanuel Macron comme ayant recours aux «fermes à trolls».

En cherchant à remonter à l’origine de ce réseau d’intox, les journalistes sont tombés sur un donneur d’ordre, «Fabien Héroux», «qui a tout l’air d’une personne fictive», comme l’explique auprès de CheckNews Laure Pollez, qui a conduit cette investigation pour l’émission de France 2. «Dans notre enquête sur ce réseau de comptes coordonnés, notre but était de comprendre comment fonctionnaient ces fausses pages, et d’où venait l’argent qui servait à payer les rédacteurs. Tout s’avère frauduleux, de l’adresse de l’entreprise qui gère ces commandes aux fonds qui sont transférés (pour notre part, les fonds que nous avons reçus provenaient d’une personne qui s’est fait arnaquer, en pensant transférer de l’argent pour acheter des bitcoins).»

«Semer la zizanie»

La journaliste insiste sur le fait que «si, lors de l’enquête, nous avons reçu la commande de textes destinés à dénigrer la Nupes, ce n’est pas la seule formation politique qui est dénigrée sur ces pages. Il y a eu des publications contre Zemmour, des publications contre le RN, etc. Il faut comprendre que l’objectif de cette campagne hostile est de semer la zizanie dans la démocratie française, d’affaiblir l’Etat français en attaquant son système électoral, et non pas de prendre parti pour ou contre telle ou telle formation politique. Ceux qui prennent ces comptes et ces posts au premier degré se trompent de combat, me semble-t-il. Nous sommes face à un réseau organisé de faux comptes, gérés depuis l’étranger, dans l’objectif de nous manipuler. C’est déstabilisant car c’est un nouveau type de menace, face auquel nous sommes peu préparés et encore démunis.»

On goûtera l’ironie de la situation : alors que Complément d’enquête dénonçait l’existence de faux comptes pro-Macron créés pour accuser fallacieusement le parti présidentiel de recourir à des «fermes à trolls», c’est un extrait de cette même émission qui, sorti de son contexte, a amené certains internautes à conclure que la macronie était à la manœuvre.

Affirmation à vérifier

«L'émission “Complément d'enquête” aurait révélé qu'une officine pro-Macron a financé des articles dénigrant la Nupes.»

Conclusion

Selon «Complément d'enquête», les commanditaires des articles anti-Nupes sont également à l’origine d’une campagne destinée à faire croire que le parti d’Emmanuel Macron avait recours à des «fermes à trolls».