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Les agriculteurs constituent-ils la profession la plus climatosceptique?

Pour l’agronome Philippe Pointereau, «il n’y a pas de climatosceptiques chez les agriculteurs». En réponse, le défenseur de la cause animale Florimond Peureux affirme le contraire, chiffres de l’Ademe à l’appui.
Un agriculteur à Saint-Ciers-sur-Bonnieure (Charente), le 8 août. (Philippe Lopez/AFP)
publié le 2 septembre 2022 à 15h59

«Il n’y a pas de climatosceptiques chez les agriculteurs : ils expérimentent au quotidien le changement climatique», assurait le 24 août, dans un entretien au 1 Hebdo, Philippe Pointereau, agronome au sein de Solagro, organisme chargé d’accompagner les agriculteurs dans leur transition agroécologique. Quatre jours plus tard, réponse sur Twitter de Florimond Peureux, président de l’Observatoire national de l’alimentation végétale: «D’après les données existantes, les agriculteurs sont la profession la plus climatosceptique.»

Qui de Pointereau ou de Peureux a-t-il raison ? Pour étayer son propos, ce dernier, militant de la cause animale, met en avant la 22e édition du baromètre Représentations sociales du changement climatique de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Selon cette étude d’octobre 2021, 15 % des agriculteurs sont considérés, à la suite de leurs réponses à une série de questions sur le sujet, comme «sceptiques» face au changement climatique, et 61 % sont classés dans la catégorie «hésitants». Soit les deux taux les plus élevés de toutes les professions sur ces items. En comparaison, 5 % des employés, 6 % des professions intermédiaires, 7 % des ouvriers et 10 % des cadres et professions intellectuelles sont «sceptiques».

A l’inverse, selon l’Ademe, seuls 24 % des agriculteurs sont «convaincus» de la réalité du changement climatique, contre 52 % des cadres et professions intellectuelles, 49 % des employés et 48 % des professions intermédiaires.

Difficile cependant de s’appuyer sur ces chiffres pour juger du climatoscepticisme des agriculteurs, l’échantillon les concernant étant extrêmement faible. L’étude de l’Ademe se fonde en effet sur 1 500 répondants représentatifs de la société française. Mais comme les agriculteurs ne représentent que 1,5 % de la population active, ils ne sont que 33 à avoir répondu au questionnaire. «Un peu fragile pour tirer une conclusion générale», euphémise Daniel Boy, coauteur du baromètre de l’Ademe.

Mêmes limites pour les instituts de sondage qui ont réalisé des études similaires. Dans les Français et le réchauffement climatique : un scepticisme persistant malgré l’urgence, réalisée par Primes Energie /Opinion Way au premier trimestre 2022 sur un échantillon de 1 022 personnes, seuls 10 agriculteurs faisaient partie des répondants. «Ce n’est absolument pas représentatif», confirme Jean-Maurice Galicy, président de l’agence Dakota qui a participé à l’enquête.

De leur côté, EDF et Ipsos ont publié en 2021 des résultats de l’Observatoire international climat et opinion publique, qui analyse les données dans trente pays. Mais là aussi, l’échantillon sur la France ne s’élève qu’à 1 000 personnes, dont 1 % d’agriculteurs. «Statistiquement ce ne serait pas fiable de donner des résultats sur une si petite population», reconnaît Estelle Chandeze, directrice adjointe à Ipsos.

Pour retrouver une enquête avec un échantillon plus conséquent, il faut remonter à 2017. Egalement menée par l’Ademe, elle a été réalisée auprès de 789 agriculteurs. Et les résultats donnent plutôt raison à Florimond Peureux : 10 % des agriculteurs interviewés sont ainsi considérés comme «sceptiques» (contre 8 % pour le grand public) face au changement climatique, 38 % sont «convaincus» (51 % pour le public) et 52 % «hésitants» (41 % pour le public). «C’est une étude solide, mais qui mériterait une mise à jour, car elle a eu lieu il y a cinq ans», tempère cependant Théo Ponchel, chef de projet à Opinion Way, qui a contribué à l’enquête.

Les données, plus fines, permettent aussi de déterminer que les agriculteurs les plus sceptiques sont les plus âgés (31 % chez les plus de 65 ans, contre 5 % chez les moins de 36 ans), travaillent sur une exploitation de 200 ha et plus (18 %, contre 8 % pour les moins de 20 ha) et en agriculture conventionnelle sans intention de passer au biologique (11 %, contre 51 % pour les répondants en transition ou en partie en agriculture biologique). «Cela montre bien que les agriculteurs sont plus sceptiques que le public, mais qu’ils ne constituent pas une catégorie homogène», résume Daniel Boy, qui a dirigé l’enquête. Et sont sans doute en pleine évolution sur la question, les agriculteurs de moins de 36 ans étant moins climatosceptiques que la population générale (tous âges confondus).

Cette étude, par ailleurs, souligne que 84 % des agriculteurs «estiment devoir faire évoluer leur activité agricole en raison du changement climatique», et 74 % d’entre eux se disent en mesure de «réduire leurs émissions de gaz à effet de serre générées par leur activité».

Philippe Pointereau, de son côté, admet dans le 1 hebdo ne pas disposer de chiffres pour confirmer qu’«il n’y a pas de climatosceptiques chez les agriculteurs». Contacté par CheckNews, il explique seulement «travailler avec beaucoup d’agriculteurs, qui aujourd’hui sont tous confrontés au gel, à la sécheresse et au manque d’eau pour l’irrigation».

Amélie Zaccour