Question posée par Jean-Paul B. le 15 février 2023.
Aux yeux des personnes pour qui rien ne saurait jamais arriver sans que «quelqu’un» n’en tire les ficelles, même un tremblement de terre dans une zone sismique a forcément une origine humaine. Certes, une allégation aussi extraordinaire nécessite des preuves. Or, quelle meilleure preuve que le séisme du 6 février pouvait être prédit, voire provoqué, sinon la fuite anticipée du pays par huit (ou dix, pourquoi pas) ambassadeurs occidentaux ? Telle est l’affirmation relayée des milliers de fois sur les réseaux sociaux par divers comptes se copiant essentiellement les uns les autres.
Voici les pays dont les principaux ambassadeurs ont quitté la Turquie 24 heures avant le tremblement de terre. Ils savaient que quelque chose allait arriver. 1. USA
— sylvie m (@cherielle100) February 14, 2023
2 Canada
3. Britain
4. Germany
5. Belgium
6. Italy
7. Holland
8. France
9. Denmark
10. Australia pic.twitter.com/VFXgcCWoI3
List of countries that pulled their ambassadors out of Turkey 24 hours before the earthquake.
— 🍁Antonio Tweets 📣 (@AntonioTweets2) February 13, 2023
✓Canada
✓USA
✓Britain
✓Germany
✓Belgium
✓Italy
✓Holland
✓France
Nothing suspicious here
Beaucoup de ces comptes citent comme source un communiqué – authentique – de la sénatrice roumaine Diana Ivanovici Sosoaca, daté du 8 février, selon qui, «vingt-quatre heures avant le tremblement de terre, dix pays ont retiré leur ambassadeur de Turquie».
«Les services secrets turcs enquêtent sur une éventuelle “intervention criminelle” (comprendre l’implication d’un autre Etat dans le déclenchement du premier tremblement de terre), [à l’origine d’]une réaction en chaîne après la déstabilisation des plaques tectoniques de la région. Il est très clair que le président Erdogan a été puni pour son courage, sa dignité, son honneur et pour sa proximité avec la Fédération de Russie.» La liste des dix ambassadeurs qui circule sur les réseaux sociaux n’est toutefois pas donnée par cette sénatrice par ailleurs déjà connue pour ses positions farouchement antieuropéennes ou antivaccination.
Le fait que dix diplomates aient été exfiltrés hors de Turquie avant le tremblement de terre n’est pourtant rien d’autre qu’une fable, démentie auprès de CheckNews par l’essentiel des ambassades désignées sur les réseaux.
Presque tous les ambassadeurs présents en Turquie
En premier lieu, celle de France, qui s’étonne que cette intox n’ait, à leur connaissance, pas encore «pris» sur les réseaux turcs. «L’ambassadeur était bien évidemment à son poste à Ankara le 6 février, ainsi que les jours précédents. Vendredi, il était à Izmir pour l’intronisation d’un consul honoraire.» Réponse analogue du côté italien : «L’ambassadeur d’Italie se trouvait à Ankara, en Turquie, lorsque le tremblement de terre a eu lieu. Et toutes les institutions italiennes en Turquie étaient ouvertes le jour du tremblement de terre.»
Rien de différent côté belge, où l’on nous affirme : «L’ambassadeur de Belgique en Turquie n’a pas été évacué vingt-quatre heures avant les séismes en Turquie survenus le 6 février. Tant l’ambassadeur de Belgique en Turquie que le consul général de Belgique à Istanbul étaient sur le territoire turc ce jour-là, de même que les autres diplomates belges en poste en Turquie ainsi que le reste du personnel de l’ambassade et du consulat général. L’ensemble du personnel diplomatique et consulaire belge en poste en Turquie était ainsi pleinement opérationnel le 6 février dès 5 heures du matin afin de traiter les conséquences du tremblement de terre, notamment le sort de plus de 200 Belges résidant dans les zones les plus touchées.»
Pas plus de désertion du côté des Pays-Bas : «L’ambassadeur des Pays-Bas n’a pas été évacué, nous détaille un attaché d’ambassade. Il n’est pas sorti de Turquie depuis le début de l’année 2023. Au moment du premier tremblement de terre, le 6 février, l’ambassadeur Wijnands était chez lui à Ankara. Lors du deuxième tremblement de terre, il était au travail à l’ambassade.»
Chez les Australiens alors ? Non plus. «L’ambassadeur était présent à la date du séisme», nous répond, catégorique, l’un des attachés. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères allemand confirme lui aussi à CheckNews que «l’ambassadeur Jürgen Schulz était à Ankara pendant les tremblements de terre». Même réponse du côté britannique, où le ministère certifie que l’ambassadrice Jill Morris était bien en Turquie à la date des séismes. Idem pour le Canada : «L’ambassadeur se trouvait à Ankara dans les jours qui ont précédé le tremblement de terre et au moment de celui-ci», confirme à CheckNews une porte-parole de la diplomatie canadienne. «L’ambassade du Canada à Ankara et le consulat du Canada à Istanbul fonctionnaient normalement dans les jours qui ont précédé le tremblement de terre.»
Les services diplomatiques étasuniens nous précisent quant à eux que «l’ambassadeur Flake était en Turquie lorsque les tremblements de terre ont frappé le lundi 6 février et il est resté dans le pays pour diriger la mission américaine et coordonner la réponse des États-Unis à la crise humanitaire qui en a résulté.»
Du côté danois, en revanche, l’ambassadeur Danny Annan était absent du territoire le jour J. «Je n’étais pas à Ankara le 6 février en raison d’une opération médicale prévue de longue date à Copenhague», confirme l’intéressé, directement joint par CheckNews, qui précise toutefois que «l’ambassade et le consulat général du Danemark étaient ouverts et pleinement fonctionnels le 6 février.»
Plusieurs ambassades et consulats fermés la semaine précédente
Le 3 février, le ministère turc des Affaires étrangères avait convoqué les ambassadeurs de neuf pays occidentaux (Allemagne, Belgique, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, Suède, Suisse) après que plusieurs d’entre eux ont manifesté leur souhait de fermer temporairement leur consulat d’Istanbul au public. Et ce «en raison d’un risque terroriste» – contesté par les autorités turques – après la destruction par le feu d’exemplaires du Coran par des militants d’extrême droite aux Pays-Bas et en Suède.
L’ambassade des Pays-Bas, par exemple, avait été fermée au public dès le 28 janvier. «Un certain nombre de consulats, dont celui de France à Istanbul, ont fermé les 2 et 3 février en raison de menaces sécuritaires, explique ainsi notre interlocuteur à l’Ambassade de France en Turquie. Mais la plupart de ces consulats avaient rouvert le lundi 6 au matin.» Ce fut notamment le cas côté britannique, comme nous l’a affirmé le ministère des Affaires étrangères. Côté belge, un attaché nous confirme que «l’ambassade de Belgique à Ankara était ouverte le 6 février», et que le consulat général de Belgique à Istanbul «était opérationnel, [bien que] toujours fermé au public (en raison de la menace terroriste après les incendies du Coran). Seul le personnel expatrié de notre consulat général était au bureau, le personnel local ne l’était pas.» Côté australien, on nous précise que «l’ambassade et les consulats sont, eux, restés ouverts au public la semaine précédant le séisme».
On notera que, bien que la Suède ne soit pas citée dans les listes circulant sur Internet, son ambassadeur «n’était pas dans le pays au moment des tremblements de terre», comme nous l’a affirmé la diplomatie suédoise. En revanche, «le chargé d’affaires intérimaire» était «présent en Turquie à ce moment-là». L’ambassadeur suisse, pour sa part, se trouvait bel et bien en Turquie au moment du séisme, comme nous l’a expliqué la diplomatie helvète. Et si l’ambassade à Ankara et le consulat général à Istanbul ont été fermés au public «les 1er, 2 et 3 février», c’était aussi «en raison d’une alerte sécuritaire». Ils étaient toutefois ouverts le lundi 6 février.