Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CheckNews

Les chariots mystère, popularisés par Auchan et Carrefour, sont-ils revendus à perte ?

Consommation responsabledossier
Deux enseignes de la grande distribution se sont lancées dans la vente de chariots ou paniers remplis de produits aux prix cassés. Une aubaine pour la grande distribution.
Ces promotions qui donnent le vertige peuvent interroger sur le respect de la législation concernant la revente à perte. (Philippe Huguen /AFP)
publié le 18 mars 2024 à 12h49

Le contenu des «chariots mystères» lancés par Auchan en octobre, et repris depuis par Carrefour, attire la curiosité des consommateurs et des médias. C’est le principe de la pochette-surprise : pour un certain montant, le client achète un chariot ou un panier (voire dans certains magasins une valise) dont on lui promet que la valeur réelle du lot est environ trois fois supérieure à celle de l’achat. Les marchandises contenues dans les chariots ne sont ni reprises, ni échangées. «Nous avons 45 magasins qui ont fait ou font des opérations caddie mystère. Les montants [valeurs, ndlr] moyens des caddies vont de 150 euros (50 euros payés par le client) à 400 euros (130 euros payés), car il y a environ 60 % de réduction», précise Auchan contacté par CheckNews. «Dix chariots sont mis en vente tous les vendredis dans une cinquantaine de magasins. Dans ces chariots, les clients peuvent retrouver du petit électroménager, des articles pour la maison, du linge de maison, des articles du rayon bricolage et jardinage, des articles de papeterie ou encore des jouets. Chaque chariot est vendu 49,90 euros pour une valeur de 150 euros de produits», indique de son côté Carrefour.

«La grande distribution n’est pas là pour faire du bénévolat»

Ces promotions qui donnent le vertige peuvent interroger sur le respect de la législation concernant la revente à perte. Une pratique interdite à quelques exceptions près comme les soldes (très encadrés), entre deux saisons, les produits périssables qui risquent une altération rapide ou encore l’obsolescence technique. Il est aussi possible de revendre à perte dans le cadre d’opérations de déstockage, si elles sont réalisées dans le cadre de cessation ou changement d’activité. Le seuil de revente à perte est fixé par rapport au «prix unitaire net qui est sur la facture d’achat duquel on va déduire tous les avantages financiers qui auraient été consentis par le vendeur et qu’on majore avec les taxes et le prix du transport», détaille Anne-Cécile Martin, maître de conférences à la Sorbonne Paris Nord, spécialiste notamment du droit de la concurrence et de la consommation. Autrement dit, il faut connaître le prix payé par l’enseigne pour savoir si oui ou non le produit est vendu à perte. Et «le calcul du prix d’achat effectif ne peut pas être fait par lot», ajoute la spécialiste.

Sollicitée à de multiples reprises, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’a pas donné suite. Mais d’après nos informations, malgré le succès de ces opérations mystère et l’intérêt médiatique, le sujet ne suscite pas de préoccupation particulière chez le gendarme de la répression des fraudes. «A priori, il n’y a pas de problème sur les prix. La grande distribution n’est pas là pour faire du bénévolat. Leur objectif est de faire du bénéfice et de la trésorerie» , explique Roland Girerd, cosecrétaire général du syndicat majoritaire de la DGCCRF, Solidaires CCRF & SCL. Autrement dit, il est fort probable que les produits, malgré des promotions très importantes, ne soient pas revendus à perte. Les grandes enseignes casseraient les prix en réduisant partiellement ou totalement leur marge. Interrogé sur ce sujet, Carrefour affirme qu’«il n’y a pas de vente à perte». Auchan n’a pas répondu sur ce point mais précise que les ventes «sont menées dans le cadre des soldes ou d’opérations de déstockage [donc a priori sans revente à perte]».

Lors du lancement des «chariots surprise», fin février, Alexandre de Palmas, le directeur exécutif de Carrefour, a remercié Auchan, sur LinkedIn, «pour cette belle idée». De fait, ces opérations ressemblent bien à une aubaine pour la grande distribution. Elles leur permettent d’écouler des stocks de produits boudés par les clients ou achetés en trop grande quantité.

De l’importance d’écouler les stocks

Reste que si les multiples reportages montrent des clients plutôt contents des réductions proposées et du côté «pochette-surprise», la pertinence des produits vendus ne fait pas l’unanimité. Même s’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble, car le contenu des chariots diffère selon les lots et les magasins.

Dans certains magasins, les chariots sont vendus par thème (jardinage, linge de maison…), ce qui permet d’éviter les grosses déceptions. Dans d’autres commerces, non. Interrogé sur le contenu des chariots, Carrefour indique que les produits «sont des fins de séries». Auchan précise, de son côté, que «c’est le magasin de Dieppe qui a lancé le mouvement avec l’objectif de proposer de nouvelles solutions anti-inflation à nos clients et de donner une seconde chance à des produits qui dormaient en réserve». Une façon détournée de parler de produits en surplus ou, dans le jargon, de «stocks dormants qui coûtent très cher» aux grandes enseignes, observe Sandrine Heitz-Spahn, docteure en sciences de gestion et maître de conférences à l’université de Lorraine. «Pour faire des marges, il faut qu’il y ait une forte rotation [des stocks]. Quand la grande distribution achète, elle négocie le délai de paiement. Ça peut aller de 30, 60 à 90 jours jusqu’à l’émission de la facture. Pendant ce temps-là, si les produits sont vendus, ils ont déjà récupéré l’argent et peuvent thésauriser ou le mettre sur un compte», détaille la spécialiste. Les produits qui n’ont pas été vendus freinent cette rotation puisqu’ils prennent de la place en entrepôt. D’où l’importance pour les grandes enseignes, d’écouler leurs stocks.

CheckNews a analysé plusieurs vidéos de clients déballant leur chariot mystère pour savoir si les produits étaient toujours proposés à la vente. On retrouve notamment beaucoup de linge de maison, housses de couette, draps (dont les dimensions ne correspondent pas forcément avec la housse fournie dans le même chariot), des produits de bricolage, de jardinage ou d’arts créatifs, des jouets… Parmi la marchandise identifiée par nos soins, une seule référence (une poussette pour jumeaux) est encore en vente sur le site d’Auchan. A noter qu’elle a été obtenue par un duo de vidéastes Pascal Soetens (Pascal le grand frère) et JM Nichanian, qui ont consacré une vidéo sur le sujet, dans un chariot payé plus de 230 euros. Pour ce faire, le duo s’est procuré trois chariots chez Auchan, à 50 euros, 129 et 232 euros, contenant normalement des produits dont «la valeur réelle» est trois fois supérieure. Au fil des découvertes, Pascal et JM s’amusent des produits proposés, une housse de couette orange, une boîte de 50 marqueurs à doubles pointes… «Pour l’instant, c’est pas ouf mais c’est ludique», s’amuse JM, pendant le déballage. «Il y a des trucs qu’on va garder, il y a des trucs qu’on va donner, il y a des trucs qu’on va vendre», commente Pascal. Et de conclure : «Après, est-ce que c’est utile ? Pas sûr.»