«Aujourd’hui, une proposition de loi demandait que la viande servie dans les cantines soit française. Voilà qui devrait plaire à la droite, proche de ses agriculteurs. Bah non en fait, ils ont voté contre, RN, LR et Renaissance main dans la main.» C’est ce que rapporte le compte X au nom de Philippe Duval, très suivi sur le réseau social, dans un tweet publié mercredi 29 mai. Le texte auquel ce commentateur fait référence n’est en fait pas une proposition de loi, mais un amendement qui avait été déposé par la députée écologiste Marie Pochon, dans le cadre de l’examen à l’Assemblée du projet de loi sur «la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture». Portée par le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, la loi votée par les députés le 28 mai n’inclut pas cet amendement, rejeté pour sa part onze jours plus tôt. Le texte n’est pas définitivement adopté, puisqu’il doit encore passer devant les sénateurs.
Par cet amendement, Marie Pochon entendait inscrire dans la loi une nouvelle finalité pour la politique agricole et alimentaire : «s’assurer qu’à partir de 2027, 100 % des viandes bovines, porcines, ovines et de volaille servies dans les restaurants collectifs gérés par l’Etat, ses établissements publics et les entreprises publiques nationales proviennent d’animaux élevés en France». Dans l’exposé des motifs, l’élue écologiste faisait valoir qu’«on ne peut pas promouvoir la souveraineté alimentaire et continuer de servir dans nos cantines ou établissements publics du poulet thaïlandais ou du bœuf argentin». Auparavant, le groupe Horizons avait rédigé un amendement – qui, lui, a été adopté – réécrivant pour partie les finalités énumérées dans l’article 1 du code rural et de la pêche maritime. Marie Pochon avait ensuite souhaité compléter ces dispositions, en déposant plusieurs sous-amendements, dont celui sur l’objectif de 100 % de viande française servie dans la restauration collective. A noter que ces différents amendements se rattachaient à l’article 1er du projet de loi, qui érige la protection et le développement de l’agriculture et la pêche comme «intérêt général majeur en tant qu’ils garantissent la souveraineté alimentaire de la nation».
«De la viande de l’autre bout du monde»
Si le rejet du sous-amendement remonte, on l’a dit, au 17 mai, c’est bien le 29 mai que plusieurs députées écologistes ont communiqué à ce sujet sur les réseaux sociaux. «100 % de viandes françaises dans nos cantines scolaires ? Devinez qui vote contre mais prétend défendre les agriculteurs ?» a commenté Francesca Pasquini. «Les députés Renaissance, Les Républicains et Rassemblement national ont voté contre. Nous allons donc, grâce à eux, continuer à importer de la viande de l’autre bout du monde», a elle-même tweeté Marie Pochon. Dans le détail, quand on regarde la répartition des votes dans l’hémicycle, il apparaît en effet que l’ensemble des députés du centre, de droite et de l’extrême droite se sont prononcés contre ce sous-amendement, à l’exception des parlementaires RN Grégoire de Fournas et Philippe Lottiaux, ainsi que deux élus du groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot), David Taupiac et Yannick Favennec-Bécot.
L’opposition unanime des macronistes, des Républicains et du RN à la mesure défendue par Marie Pochon s’inscrit en apparente contradiction avec leurs prises de position sur la défense des agriculteurs français et la nécessité de garantir la souveraineté alimentaire de la France. Respectivement interrogé par CheckNews sur les raisons de leurs votes, chaque groupe avance des justifications différentes.
Du côté de Renaissance, le porte-parole du groupe à l’Assemblée nationale, Antoine Armand, estime que «la raison est assez simple» : «écrire 100 % français dans la loi alors qu’on est à peine à 50 % [plus précisément, 48 % en ce qui concerne la viande de bœuf, ndlr], ce serait juste démagogique». Le député de la majorité présidentielle ajoute que «ce n’est pas faisable à court terme», et par ailleurs que «ce n’est pas forcément problématique qu’à terme il y ait une toute petite partie qui ne vienne pas de France».
«La règle de l’Union européenne sur les marchés publics»
Pierre-Henri Dumont, porte-parole du groupe Les Républicains, souligne quant à lui que ce sous-amendement «n’avait rien à faire dans l’article sur l’intérêt général majeur» mais «aurait dû être placé ailleurs». De plus, l’élu et secrétaire général adjoint du parti de droite relève qu’une telle mesure serait «contraire en l’état à la règle de l’Union européenne sur les marchés publics, qu’il faudra réviser indiscutablement». De fait, les traités européens, qui prohibent toute «discrimination exercée en raison de la nationalité», interdisent d’instaurer une politique de préférence nationale en matière de commande publique. Un point déjà soulevé lorsque le président du RN, Jordan Bardella, avait écrit sur son compte X que «les entreprises françaises doivent être prioritaires dans les marchés publics», en novembre 2023.
Egalement contacté, le groupe Rassemblement national renvoie vers Grégoire de Fournas, viticulteur et l’un des deux députés à avoir voté pour la disposition portée par Marie Pochon. «Le vote de ces sous-amendements s’est fait dans des conditions chaotiques (vote de 800 amendements en quarante minutes)», retrace le parlementaire, qui évoque «une erreur» de ses camarades du RN. En conséquence, «nous avons demandé à la séance d’apporter une correction», explique-t-il, mais dans tous les cas «notre vote n’aurait pas changé l’issue du scrutin». Grégoire de Fournas note en outre que les députés de gauche ont «voté contre tous nos amendements, y compris celui qui proposait la même chose que celui de madame Pochon». Déposé par ses soins, cet autre sous-amendement proposait «de privilégier les productions françaises dans la commande publique».