Bataille de pétitions autour de CNews. Le 8 février, à l’initiative de la députée Nupes Sophie Taillé-Polian, une pétition hébergée sur la plateforme «le Mouvement», réclame la fin du «renouvellement de l’agrément de CNews et C8». S’adressant à l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel, elle suggère ainsi : «Cette année, l’autorité que vous présidez décidera, ou non, de renouveler l’autorisation de diffusion de 15 chaînes de télévision de la TNT. Parmi elles, on trouve CNews et C8, les chaînes du groupe Bolloré. Il est temps de remettre en question cet agrément. Parce que s’il permet aux chaînes d’émettre gratuitement, il les engage aussi à respecter un cahier des charges qui garantit le respect du pluralisme d’opinion, de l’honnêteté journalistique et de l’indépendance de l’information.»
En réaction, le 1er mars, une autre pétition, intitulée «NON à la censure de CNews», a vu le jour. Elle a quant à elle été lancée sur le site «Damocles.co» de Samuel Lafont, porte-parole de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour. Et s’adresse cette fois-ci aux téléspectateurs, dénonçant les «censeurs de gauche» qui «lancent une vaste offensive pour vous empêcher de regarder CNews».
Vous êtes 60 000 ! 💪
— Samuel Lafont (@Samuel_Lafont) March 10, 2024
60 000 Français mobilisés contre la censure de CNEWS, pour la liberté d'expression !
Agissez maintenant :
➡️ Signez la pétition https://t.co/w7q06kpwDB
➡️ Tweetez #JeSoutiensCNEWS pic.twitter.com/WMcCLrLJyx
Ces deux pétitions sont aujourd’hui au coude à coude en termes de signatures. La première cumule, à l’heure où nous publions ces lignes, plus de 67 580 signatures (sur un objectif affiché de 100 000). La seconde, côté Damoclès, en recense près de 66 860 (sur un objectif de 70 000). Une compétition qui s’illustre par des relances incessantes des deux camps sur les réseaux sociaux et la survenue de questions quant à leurs méthodes. Un internaute nous partage ainsi ses doutes quant à la fiabilité de la pétition de Damoclès, ayant pu signer l’une d’entre elles sous un faux nom, sans qu’aucune confirmation ne lui soit demandée.
Plusieurs outils pour assurer la fiabilité des signatures
Auprès de CheckNews, Samuel Lafont assure que des mesures sont prises pour assurer un minimum de contrôle et éviter que les signataires ne puissent participer plusieurs fois. Le tout de manière assez laconique ; relancé plusieurs fois, il n’a pas précisé les méthodes concrètes employées afin de cadrer les résultats de la pétition. De fait, CheckNews a pu entrer à deux reprises ses coordonnées, à chaque fois sous le format faux prénom, faux nom, et fausse adresse mail. Nous n’avons pas coché l’option qui permet de recevoir des informations de Damoclès, et aucune confirmation d’identité ou de courriel ne nous a été demandée. La page suivante nous a remerciés d’avoir «signé contre la censure scandaleuse de CNews», sans que nous soyons en mesure de savoir si l’une ou les deux opérations de signatures ont été refusées a posteriori, en interne, ou non. Nous remarquons toutefois que le compteur des signataires n’a pas été mis à jour immédiatement après notre participation.
Pour assurer la fiabilité des signatures, l’auteur d’une pétition dispose de plusieurs outils : la confirmation par mail, qui nécessite que le participant entre une adresse valide, en est une. Comme le rappelle le site un article de The Conversation, elle n’empêche personne de signer plusieurs fois, via différentes adresses. Une confirmation de profil peut également être obtenue par une connexion sur les réseaux sociaux, qui, lors de la création du compte, ont procédé en amont à une vérification des données au moyen du numéro de mobile. Enfin, le captcha, cet outil servant à distinguer les humains des robots, peut être appliqué sur la page de la pétition. Concrètement, cela permet d’éviter les raids numériques opérés par des faux comptes automatisés, car en cas de doute, le captcha demande à l’internaute de cocher la case «je ne suis pas un robot» ou de retrouver des objets dans un puzzle. On constate qu’aucun captcha n’est visible sur la pétition de Damoclès.
Une «zone grise» autour de «3 000 signatures»
A l’inverse, on retrouve bien cet outil anti-fraude sur la pétition de la députée Nupes. Ce qui n’a pas empêché CheckNews, là aussi, d’entrer à deux reprises une signature sous le format faux prénom, faux nom et fausse adresse mail. De la même manière, nous n’avons pas coché l’option qui permet d’être tenus au courant de l’issue de la pétition, et aucune confirmation ou demande de validation ne nous a été envoyée. Mais, en interne, on nous assure cette fois-ci que ces signatures ne seront pas comptabilisées. Latifa Oulkhouir, directrice exécutive de l’ONG le Mouvement, détaille qu’un «directeur technique s’occupe d’écrémer les profils qui apparaissent de manière évidente comme des faux noms et fausses adresses mail.» De plus, ajoute-t-elle, «on n’enregistre qu’une fois les signatures dans le système. Celles qui sont en double, ou plus, ne sont pas prises en compte. C’est pourquoi j’ai sous les yeux, dans le back-office, un total de 77 000 signatures, qui n’est pas celui retenu et affiché sur le site». Latifa Oulkhouir reconnaît par ailleurs qu’une «zone grise» demeure autour «d’environ 3 000 signatures» qui sont arrivées lors de «pics inexpliqués», c’est-à-dire non causés par un rappel de communication et «qui ne ressemblent pas à de fausses adresses». «On y travaille» précise-t-elle. «Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas reliées à de vraies adresses, mais on se penche dessus pour vérifier car on a un soupçon.» Et d’ajouter : «Sur le plan technique, on a connu sur cette pétition plus de difficultés qu’ailleurs. Est-ce des opposants qui la signent pour ensuite reporter nos mails dans les spams et nous bloquer l’accès ? En tout cas, ça nous est arrivé, même si on a pu rétablir la situation.»
En résumé : ces deux pétitions sur un sujet qui agite les passions sont soumises à des risques d’instrumentalisation, même si l’initiale, ouverte par la députée Nupes, bénéficie d’au moins un outil permettant de limiter l’automatisation d’envoi de fausses signatures. Sur la seconde pétition, en revanche, aucun système anti-fraude captcha n’est visible et la signature est possible sans confirmation de mail.