Ils sont une quarantaine, filmés au milieu d’une rue dans la bande de Gaza, assis à même le sol, en sous-vêtement et alignés en tailleur, têtes baissées. Tout autour, des soldats israéliens. Cette scène de détenus quasi nus est une des premières du genre à avoir été partagée, le 7 décembre en début d’après-midi, par des journalistes et organes de presse israéliens.
דובר צה"ל על התיעודים: מחבלים מסגירים את עצמם ומספקים מודיעין להמשך הלחימה pic.twitter.com/HgLyoJLXFQ
— החדשות - N12 (@N12News) December 7, 2023
La chaîne de télévision israélienne N12 décrit des «terroristes arrêtés». Tout comme pour l’influent compte pro-israélien Aviva Klompas, qui évoque la «reddition massive de terroristes du Hamas à Khan Younès». D’autres, plus prudents, comme le journaliste du Times of Israel Emanuel Fabian, évoquent des «douzaines d’hommes palestiniens», sans qu’il soit clair «si ce sont des hommes du Hamas ou non». Côté palestinien, nombre de commentateurs ont parlé, de leur côté, d’arrestations arbitraires, et de mises en scène volontairement humiliantes.
Une partie de ces images ont été géolocalisées non pas au sud, comme l’affirme par exemple Aviva Klompas, mais dans un quartier du nord de l’enclave, à Beit Lahia. D’autres photos, apparues à peu près au même moment, montrent un groupe similaire de prisonniers dans un fossé (qui semble être une position militaire).
Une troisième séquence, apparue également le 7 décembre et filmée à deux rues de là (plus à l’ouest), montre des dizaines d’hommes dénudés entassés dans des camions. Une image, prise du véhicule qui suit les camions transportant les captifs, montre ostensiblement une mitrailleuse au premier plan, laissant penser qu’il s’agit, d’un soldat israélien qui prend la photo.
La plupart des images laissent d’ailleurs penser qu’elles ont été prises et partagées sur les réseaux sociaux par des militaires. Toutefois, et contrairement à ce que certains commentateurs ont affirmé, l’armée israélienne n’a pas diffusé ces images sur ses canaux officiels.
Le 12 décembre, le journal israélien Haaretz a cependant publié un article concernant le canal Telegram «72 vierges - non censurés», qui serait d’après une source militaire du média opérée par le département de guerre psychologique de l’armée israélienne. On retrouve sur cette chaine des images des affrontements à Gaza, des photos (très crues) de combattants du Hamas tués, mais aussi ces images de captures d’hommes gazaouis dénudés. L’une d’elle est accompagné d’un message évoquant des «Photos de dizaines et de centaines de misérables terroristes que Tsahal sort de leurs tanières [émojis de cafards] » et ajoutant : « Nous croyons en vous pour ne pas vous arrêter jusqu’à ce que les derniers cafards soient exterminés [émojis coups de poings] Partagez cette beauté». Le filigrane appliqué sur les photos (et pas sur d’autres repérées ailleurs) indique néanmoins que ce canal n’est pas la source primaire.
From Beit Lahia |
— Younis Tirawi | يونس (@ytirawi) December 7, 2023
Civilians taken hostage & brought to military bases in Israel; the men were abducted from a UN school in Beit Lahia. Women & children were kicked to south Gaza, while males over 16 were kidnapped.
A common practice which they did numerous times in Gaza city. pic.twitter.com/ctvYqS5ac9
Depuis, ces images ont été très largement commentées sur les réseaux sociaux comme illustrant la reddition de combattant du Hamas, alors que Benyamin Nétanyahou affirmait précisément par communiqué, dimanche, que de nombreux membres du mouvement islamiste rendaient les armes : «Ils déposent les armes et se rendent à nos soldats héroïques. Cela prendra du temps. La guerre se poursuit mais c’est le début de la fin du Hamas», écrit le chef du gouvernement, ajoutant : «Je dis aux terroristes du Hamas : c’est la fin. Ne mourez pas pour [le chef du mouvement à Gaza, Yahya] Sinouar.»
Interrogé le 7 décembre sur les premières images, lors de son point presse quotidien, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a déclaré : «Jabalia et Shejaiya sont des centres de gravité, ce sont aussi des camps de réfugiés pour terroristes, et nous les combattons […] . Quiconque reste dans ces zones, sort ou rentre de tunnels ou de maisons, nous enquêtons et vérifions qui, parmi eux, est connecté au Hamas, et qui ne l’est pas, en arrêtant tout le monde et en les interrogeant. Nous allons continuer à démanteler tous ces centres, jusqu’à ce que nous ayons fini.» Avant d’évoquer également la ville de Khan Younès, plus au sud de l’enclave. L’ensemble des hommes arrêtés que l’on voit sur ces images ne seraient donc pas tous, du propre aveu de Tsahal, des terroristes du Hamas.
L’ONG Euromed, de son côté, évoque des individus appréhendés dans des écoles des Nations unies du quartier de Beit Lahia, où s’étaient réfugiés un très grand nombre de civils. Ces arrestations se sont effectivement déroulées à proximité d’une école des Nations unies, la Khalifa bin Zayed Al Nahyan Primary School, où des images géolocalisées par CheckNews et d’autres analystes montraient un nombre important de civils, avant que cette dernière ne soit détruite autour du 9 décembre.
Contactée par CheckNews, l’UNRWA, l’agence de l’ONU d’aide aux réfugiés palestiniens, n’a pas été en mesure de confirmer ces évènements pour l’instant. L’organisation précise seulement qu’elle a comparé les personnes des vidéos de détenus dénudés à sa liste de personnels, sans trouver de correspondance.
Parmi les personnes arrêtées, plusieurs observateurs ont cependant reconnu le journaliste Diaa al-Kahlout parmi les prisonniers, un reporter de la chaîne arabe Al-Araby Al-Jadeed, ce que la chaîne a également confirmé. Interrogé sur le sujet lors d’une conférence de presse, le porte-parole des Nations unies, Stéphane Dujarric, a estimé que «[ces] images [étaient] très préoccupantes, parce que tout le monde a un droit fondamental à la dignité humaine. […] Nous avons également souligné et continuerons de souligner le risque que prennent les journalistes en couvrant le conflit actuel».
Un homme plutôt âgé portant, bras levés, des armes
Dans le flux de ces images est apparue samedi 9 décembre une autre série de vidéos, montrant un groupe debout et en sous-vêtements, toujours dans le quartier de Beit Laiha, et à proximité de la même école primaire. Particularité de cette scène, qui a provoqué beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux : on y voit un homme plutôt âgé quitter le groupe et traverser la rue vers les soldats israéliens, en portant, bras levés, un fusil d’assaut type AK dans une main, et un chargeur dans l’autre. Avant de venir les déposer sur le trottoir d’en face, près des soldats de Tsahal. Une image devenue pour certains un symbole de la reddition du Hamas, d’aucuns y décelant même, comme ce journaliste israélien de Channel 13, l’unité d’élite du groupe islamiste.
BREAKING: Side-by-side video analysis proves Israeli forces STAGED surrender of weapons by Palestinians
— Wyatt Reed (@wyattreed13) December 9, 2023
In the video above, the victim holds a rifle in his left hand & pistol in the right. Below, it's the opposite—demonstrating conclusively the scene was acted out multiple times pic.twitter.com/xo0JoYePr9
A l’inverse, d’autres ont dénoncé une mise en scène de Tsahal, observant qu’il existe deux vidéos très similaires où le même homme porte l’arme dans la main droite, puis dans la main gauche. Et les commentateurs d’en déduire qu’Israël aurait tourné plusieurs fois la même scène afin de mettre en scène une supposée reddition. Des soupçons également nourris par certains internautes affirmant avoir identifié l’homme portant les armes, lequel serait selon ces commentateurs un artisan, et n’aurait rien à voir avec le Hamas. CheckNews n’a pas été en mesure de confirmer ce point.
Mais dans tous les cas, rien n’indique – comme sur les autres images – que la cinquantaine d’hommes rassemblés près de cette école sont tous des membres du Hamas ou de son unité d’élite. La «scène», en revanche, ne semble pas avoir été jouée plusieurs fois comme le dénoncent de nombreux internautes. En réalité, comme on peut le voir sur cette photo (celle de gauche sur ce lien), l’homme dépose sur le trottoir une première arme qu’il tient dans sa main gauche, puis comme le montrent ces vidéos, revient à deux reprises, avec à chaque fois une nouvelle arme qu’il dépose sur les précédentes. En la tenant dans la main droite lors du second voyage, puis dans la main gauche lors du troisième trajet. La répétition de la scène laisse plutôt penser que l’homme a été chargé d’acheminer plusieurs armes vers les soldats israéliens. CheckNews n’est pas en mesure de dire qu’où venait les armes, ni si elles étaient en la possession d’un des hommes arrêtés.
Seulement 10 % à 15 % de membres du Hamas, selon Haaretz
De nombreuses autres images, que CheckNews n’a pas réussi à authentifier, notamment diffusées par Times of Israel et par différents relais israéliens sur Facebook ces derniers jours, montrent des centaines d’autres hommes dénudés et entourés de soldats israéliens dans ces circonstances similaires. Sans que rien ne permette d’affirmer à nouveau qu’il s’agisse de membres du Hamas.
Selon un article publié dimanche par Haaretz, les officiels israéliens considèrent qu’entre «10 % et 15 %» des «détenus palestiniens [visibles] dans les images diffusées appartiendraient au Hamas», concédant donc qu’une écrasante majorité d’entre eux sont bien des civils. Interrogée par CheckNews sur ce chiffre, l’armée israélienne explique que «dans le cadre de l’activité de l’armée israélienne dans la zone de combat, des individus suspectés d’être impliqués dans des activités terroristes sont détenus et interrogés, [et que] les individus qui s’avèrent ne pas être impliqués dans des activités terroristes sont relâchés». Et d’ajouter qu’ils «sont traités dans le respect du droit international».
Questionnée sur le fait de les déshabiller, Tsahal répond : «Il est parfois nécessaire pour les suspects de terrorisme de retirer leurs vêtements pour qu’ils soient fouillés afin d’être sûr qu’ils ne dissimulent pas de gilets explosifs ou d’armes. Les vêtements ne sont pas immédiatement rendus aux détenus [pour prévenir] le cas où ils dissimuleraient des objets pouvant être utilisés à des fins hostiles (comme des couteaux). Les vêtements sont rendus aux détenus quand il est possible de le faire.»
Dans un article publié le 10 décembre, le journal israélien Times of Israël citait le président du Conseil national de Sécurité israélien, Tzachi Hanegbi, qui tout en soulignant le besoin de fouiller les suspects, estimait que ces images de détenus dénudés «ne servent à personne», et qu’il s’attendait à ce que leur diffusion s’arrête.
Mise à jour 12 décembre à 17h : ajout des informations de Haaretz concernant le canal Telegram lié à Tsahal