Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CheckNews

Les ONG sont-elles silencieuses sur le sort des otages israéliens comme l’affirme Ruth Elkrief ?

Guerre au Proche-Orientdossier
Sur LCI, la chroniqueuse a reproché leur «silence» à Amnesty International, Médecins sans frontières, la Croix-Rouge et l’Unicef. Qui ont pourtant toutes appelé à la libération des otages.
Portraits d'otages capturés le 7 octobre et retenus par le Hamas, à la grande synagogue de Paris, mardi 31 octobre. (Miguel Medina/AFP)
publié le 2 novembre 2023 à 17h50
Question posée sur Twitter (renommé X) le 2 novembre.

Vous nous avez interrogés à propos d’une déclaration de Ruth Elkrief dans l’émission 24h Pujadas diffusée sur LCI. Mercredi 1er novembre, l’ancienne de BFMTV et de RTL a dénoncé «le grand silence des ONG» sur le sort des Israéliens retenus en otages par le Hamas depuis l’attaque du 7 octobre. Des otages toujours détenus actuellement dans la bande de Gaza, et dont l’armée israélienne estime qu’ils sont 242.

Ruth Elkrief déplore avoir constaté une absence de communication «sur les sites des ONG», alors que «la prise d’otage est un crime de guerre, donc concerne les ONG notamment». La journaliste met en cause Amnesty International qui, selon elle, «décroche la palme», n’ayant émis «aucune condamnation des massacres du 17 octobre (sic)». «En revanche, ajoute Ruth Elkrief, il y a une inondation du site des messages pour protéger les civils dont la mort est due, je cite, à “l’apartheid israélien”, aux “crimes israéliens”… Je vous passe les détails.»

Sauf qu’il suffit d’une recherche rapide sur le réseau social X pour tomber sur plusieurs publications d’Amnesty International appelant à la libération immédiate des otages, comme l’ont souligné des internautes ce jeudi 2 novembre.

«Accusations graves et fausses»

En consultant le site de l’ONG, on trouve différents communiqués mettant au premier plan la question des otages. Dès le 7 octobre, un communiqué publié sur le site d’Amnesty International mentionnait des enlèvements de civils et prises d’otages confirmés par l’armée israélienne, ajoutant qu’ils pouvaient «constituer des crimes de guerre». Le 10 octobre, une deuxième communication rapportait les propos de la secrétaire générale de l’ONG, Agnès Callamard : «Tous les civils retenus en otages doivent être libérés immédiatement, sans condition, sains et saufs.» Un autre communiqué diffusé le 12 octobre exigeait que «les groupes armés palestiniens» répondent «des homicides délibérés, enlèvements et attaques menées sans discernement contre la population civile» israélienne. Le 12 toujours, Amnesty réitérait ces prises de position : «Tous les civils qui ont été kidnappés, notamment les enfants, doivent être libérés immédiatement. Ces crimes doivent faire l’objet d’investigations dans le cadre de l’enquête menée par la Cour pénale internationale sur les crimes commis par toutes les parties au conflit actuel.» Et de même dans un communiqué plus récent, mis en ligne le 26 octobre, à propos du «cessez-le-feu immédiat» demandé par Amnesty : «Le Hamas et tous les autres groupes armés doivent libérer immédiatement et sans condition tous les otages civils et traiter humainement toutes les personnes qui sont retenues captives, notamment en leur fournissant des soins médicaux, en attendant qu’elles soient libérées.» L’ONG, contactée par CheckNews, indique qu’en outre, un nouveau communiqué revenant sur le sort des otages était en préparation depuis quelques jours.

«Ces accusations sont très graves et fausses factuellement, nous confie un responsable d’Amnesty. Si Ruth Elkrief était vraiment allée sur notre site, elle serait très vite tombée sur les communiqués dans lesquels on dénonce ces crimes.» La même source nous renvoie aussi vers les interventions régulières dans les médias de représentants de l’organisation, au cours desquelles il a été redit qu’elle appelle à la libération des otages – on peut citer le passage de Nathalie Godard, directrice de l’Action chez Amnesty International France, à l’antenne de France Inter, ou celui de Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty International France, sur BFMTV. Le responsable joint par CheckNews réfute par ailleurs toute accusation de partialité : «En tant qu’ONG, notre boussole c’est le droit international, on est juste là pour documenter les entraves au droit humanitaire.»

A noter que le terme «apartheid», évoqué par Ruth Elkrief est effectivement utilisé par Amnesty pour qualifier la politique israélienne dans les territoires palestiniens occupés. Un choix sémantique qui avait été vivement dénoncé par l’Etat hébreu en février 2022. L’organisation continue d’utiliser ce mot dans le cadre du conflit en cours : «Nous demandons une nouvelle fois à Israël de mettre fin au blocus illégal de Gaza, instauré depuis seize ans, ainsi qu’à tous les autres aspects du système d’apartheid israélien imposé à tous les Palestiniens et Palestiniennes», lit-on dans un des communiqués mentionnés.

«Nous témoignons de ce que nous observons»

Autre ONG pointée du doigt par Ruth Elkrief : Médecins sans frontières (MSF). La journaliste explique n’avoir trouvé, sur le site de l’organisation, «aucune trace des otages, et par exemple de leur situation sanitaire ou de l’aide médicale qu’ils pourraient leur apporter». Elle cite également le témoignage d’une des membres de familles d’otages réunis à l’Assemblée nationale mardi, qui avait alors regretté que «les Médecins sans frontières ne se [soient] pas prononcés». Contactée, une porte-parole de l’ONG fait valoir que, tout en comprenant «l’émotion et l’angoisse des familles des otages», «MSF n’est pas impliquée dans les négociations pour la libération d’otages, ni à Gaza ni ailleurs dans le monde», puisque «cette activité fait partie notamment du mandat du Comité international de la Croix-Rouge et du Croissant rouge».

Pour autant, l’organisation médicale humanitaire appelle «toutes les parties au conflit à épargner la population civile où qu’elle se trouve». C’est en ce sens que le 18 octobre, MSF a signé une pétition émanant du mouvement citoyen «United for Human Rights in the Israel-Palestine crisis» en faveur d’un cessez-le-feu immédiat. «Au cours de ce cessez-le-feu, nous demandons à toutes les parties, sans condition, de […] libérer tous les otages civils, en particulier les enfants et les personnes âgées», peut-on lire dans le texte de la pétition.

«Notre communication sur le conflit israélo-palestinien est basée – comme partout ailleurs sur nos terrains d’intervention – sur le témoignage direct issu de notre personnel sur place, des personnes à qui nous apportons des secours, et de leur entourage. Nous témoignons de ce que nous observons et constatons là où nous intervenons», souligne Médecins sans frontières. Pour clarifier quand même sa position au sujet des otages retenus par le Hamas, l’ONG nous informe qu’elle a intégré les éléments envoyés à CheckNews dans sa page «nos réponses à vos questions».

«Priorité absolue»

Dans la suite de son intervention, Ruth Elkrief tient à évoquer «en un mot» le CICR, le Comité international de la Croix-Rouge. L’association d’aide humanitaire «a pour mission d’être neutre et d’aider, à la libération des otages notamment», introduit-elle. Puis Elkrief d’expliquer : «On sait qu’elle est en lien avec le Hamas, à Gaza et au Qatar, qu’elle a aidé à acheminer les deux premières otages américaines libérées en Egypte, mais depuis plus rien.» Or, Alyona Synenko, porte-parole du CICR actuellement basée à Jérusalem, expliquait justement ce matin au micro d’une radio publique américaine que les équipes de la Croix-Rouge s’attellent à «retrouver les plus de 200 otages retenus par le Hamas». «Le sort des otages et de leurs familles reste notre priorité absolue», déclarait aussi hier le directeur général du CICR, Robert Mardini, à la chaîne de télévision ABC News.

«Le sort des otages est l’une de nos principales priorités et nous ne sommes pas restés silencieux sur cette question», insiste encore Alyona Synenko auprès de CheckNews. Parmi de nombreuses autres déclarations, la porte-parole cite une publication partagée sur le compte X officiel du Comité international de la Croix-Rouge qui, dès le 13 octobre, écrivait : «Nous demandons la libération immédiate des otages détenus à Gaza et la réalisation de visites humanitaires afin de les mettre en contact avec leurs familles.» Dans son communiqué du 20 octobre, faisant suite à la libération de deux otages (d’ailleurs transportées en Israël, et non en Egypte), le CICR assurait de son «engagement inébranlable […] à aider les personnes enlevées, détenues ou disparues». «Afin que davantage de familles puissent être réunies», «le CICR continue d’appeler à la libération immédiate de tous les otages».

Déclarations et tribune

Enième rectification apportée aux propos de Ruth Elkrief : «Il n’est pas vrai que seules deux otages ont été libérées, relève Alyona Synenko. Deux autres otages ont été libérés, avec notre aide en tant qu’intermédiaire neutre, le 23 octobreLa porte-parole du CICR détaille : «Nous continuons à parler avec le Hamas au plus haut niveau en insistant pour que les otages soient libérés et que nous soyons autorisés à rendre visite à tous les otages. Nous nous tenons également prêts, en tant qu’intermédiaire neutre, à apporter des médicaments, à faciliter la communication entre les otages et les membres de leur famille et, bien sûr, à permettre une éventuelle prochaine libération.» Et précise : «Ce travail s’effectue à huis clos, pas sous les feux de la rampe, car nous parlons de manière confidentielle et directe avec ceux qui ont le pouvoir de changer les choses.»

A côté des ONG, Ruth Elkrief met également en cause l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, censé «s’engager partout dans le monde pour les droits des enfants». «Aujourd’hui, il y a 33 enfants sur les 240 otages, âgés de 9 mois à 15 ans», avance d’abord la chroniqueuse de LCI, avant de dérouler : «Sur le site de l’Unicef, on trouve des mentions générales sur la guerre Israël-Palestine et le nombre d’enfants touchés. Pas de bandeau «otages enfants», pas de paragraphe consacré à ces enfants, et donc aucune action engagée en faveur de ces enfants.»

Sauf que sur le même site, on trouve aussi une déclaration prononcée le 9 octobre par Catherine Russell, la directrice générale de l’Unicef, à propos de la détérioration de la situation pour les enfants en Israël et en Palestine. «L’Unicef appelle tous les groupes armés […] à libérer immédiatement et en toute sécurité les enfants retenus en otage à Gaza afin qu’ils puissent retrouver leurs familles ou les personnes qui s’occupent d’eux, a exprimé Catherine Russel. Nous appelons également toutes les parties à protéger les enfants en vertu du droit international humanitaire.» Cette déclaration a été suivie d’une tribune parue sur le site du magazine The Atlantic le 26 octobre, rédigée toujours par Catherine Russell, où la directrice générale de l’agence onusienne «réitère l’appel de l’Unicef en faveur de la libération immédiate et en toute sécurité de tous les enfants retenus en otage dans la bande de Gaza». Dans un communiqué du 30 octobre, la directrice exécutive rappelle à nouveau qu’au moins 30 enfants israéliens ont été tués, et qu’au moins vingt demeurent retenus en otage.

«Notre position a été très claire dès le départ : rien ne justifie le meurtre, la mutilation ou l’enlèvement d’enfants – des violations graves des droits de l’homme que nous condamnons sans réserve», complète l’Unicef auprès de CheckNews.

En réponse aux nombreuses réactions qu’ont suscitées ses propos, Ruth Elkrief a pris quelques secondes pour les repréciser, dans sa chronique du jeudi 2 novembre, diffusée deux heures après la parution de notre article : «Lorsque je parlais d’Amnesty International, j’ai dit “pas un mot sur les otages”. La phrase est factuellement fausse […] C’est une précision que je veux faire très clairement et très nettement, mais elle ne change rien à ce que j’ai appelé “le silence des ONG”. Comme journaliste, j’ai l’expérience de véritables mobilisations d’Amnesty […] Je connais leur efficacité, l’écho qui peut leur être donné, et force est de constater que ce n’est pas le choix qui a été fait sur cette question.»

Mise à jour : Le 3 novembre à 9 h 48, ajout des précisions apportées par Ruth Elkrief lors de sa chronique du 2 novembre.