«Actuellement en vacances en Espagne. Les rayons sont pleins de moutarde, elle n’est pas chère et, cerise sur le gâteau, elle vient de France !» alerte un internaute sur Facebook. Un second ne cache pas son étonnement face au rayon d’huiles dans des supermarchés du Portugal : «J‘arrive en juillet au Portugal et là, surprise ! Tous les magasins Leclerc et Auchan sont blindés d’huile de tournesol française à 2€ la bouteille.» Ces publications, accompagnées de photos et de vidéos, sont devenues virales sur les réseaux sociaux.
Alors comment expliquer que nos voisins européens ont des stocks d’huile de tournesol et de moutarde de Dijon dans leurs rayons, alors que la France connaît des ruptures de stock depuis plusieurs mois ?
Le tournesol de retour dans les rayons
Comme nous l’expliquions dans un précédent article sur le sujet, l’Ukraine étant le premier exportateur mondial de tournesol, l’invasion du pays par la Russie a considérablement ralenti l’approvisionnement mondial ces derniers mois. «Le conflit ayant débuté fin février, les expéditions ukrainiennes d’huile de tournesol – qui représentent près de 50 % des exportations mondiales – se sont pratiquement arrêtées en raison des goulots d’étranglement logistiques induits par le conflit dans les installations portuaires et n’ont pu reprendre récemment qu’à un niveau minimal, par camion ou par train, via les pays voisins», indiquait l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), auprès de CheckNews, en mai.
En France, cela s’est traduit par une forte hausse des achats d’huile dès le mois de février, les consommateurs voulant vraisemblablement constituer des stocks. Selon les données de l’IRI (Information resources, Inc.), qui réalise des études sur la consommation des ménages, sur la période allant de janvier à juin 2022, les ventes en volume ont augmenté de 16,3 %, comparées à l’année précédente. Avec un pic à 64,4 % en mars.
Interview
Cette hausse de la consommation a aussi été constatée dans plusieurs pays européens. CheckNews avait notamment obtenu les chiffres de la disponibilité du produit en Espagne, en baisse de 20 points entre fin février et fin mars, selon l’analyste NielsenI Q. Sur la même période, d’autres pays signalaient également des difficultés à fournir les clients, en témoignent des articles de la presse locale, en Allemagne, au Royaume-Uni ou encore en Belgique.
Néanmoins, dès le mois d’avril, la disponibilité du produit revenait progressivement à la normale, comme le constatait l’association européenne des industriels d’huiles végétales (Fediol) dans un communiqué publié le 4 mai à propos du marché européen : «Si la situation du marché de l’huile de tournesol était plutôt tendue au début de la guerre lancée par la Russie en Ukraine, déclenchant des achats de panique dans toute la chaîne jusqu’au consommateur final, la situation s’est améliorée au cours des dernières semaines.» Auprès de CheckNews, le syndicat européen précisait également en mai dernier que, «selon [leurs] entreprises membres, l’huile végétale est disponible et en stock sous forme de bouteilles mais aussi pour les activités commerciales». En France aussi, les stocks d’huile reprennent donc progressivement des couleurs. Alors que le taux de disponibilité en valeur était de 74 % fin mai (au plus bas depuis février), il était déjà de 83,6 % fin juin, selon l‘analyste Nielsen Q.
Une moutarde pas si populaire au-delà de nos frontières
Quid de la moutarde ? Contrairement aux ruptures de stock d’huile de tournesol, qui ont été soudaines à la suite du conflit en Ukraine, la diminution de l’approvisionnement de moutarde était annoncée par les producteurs de moutardes de Dijon dès décembre dernier, comme l’expliquait Libération. Le Canada, premier cultivateur et exportateur mondial, a connu de fortes sécheresses au cours de l’été 2021, ce qui a considérablement réduit sa production. Une large partie des espaces cultivés ont été ravagés et non renouvelés après cet épisode climatique.
«Depuis cinq ans, nous enregistrons une baisse de la productivité de près de 50 %. Aujourd’hui, nous fournissons aux industriels français tout ce que nous pouvons en quantité, sans avoir de stock», détaillait Fabrice Genin, président de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB), auprès de CheckNews. Les producteurs français rencontrent ainsi des difficultés pour s’approvisionner en graines de moutarde et peinent à alimenter les rayons des distributeurs.
Si les consommateurs français en visite chez nos voisins européens s’étonnent de trouver le condiment en rayons, c’est que la moutarde de Dijon n’est pas aussi populaire au-delà de l’Hexagone. «En France on consomme quasi exclusivement de la moutarde de Dijon, alors que nos voisins européens lui préfèrent d’autres moutardes. On a, de fait, une rotation plus faible du produit dans les rayons des supermarchés étrangers», analyse Luc Vandermaesen, directeur général de Reine de Dijon et président de l’Association des moutardes de Bourgogne.
Le producteur explique qu’il a d’ailleurs réduit ses exportations face à la baisse des stocks sur le marché français, dont l’entreprise fait sa priorité : «Plus de 50 % de notre production était vouée à l’exportation jusqu’à il y a un an environ. Aujourd’hui on est passé en dessous des 50 %, car on a beaucoup de demandes venant de la France et nous satisfaisons nos clients historiques en priorité». Luc Vandermaesen précise également que pour l’export, «il n’y a pas eu d’évolution forte de la demande ces derniers mois». Voire pas de demande supplémentaire du tout.
Depuis mi-juillet, la moutarde retrouve aussi très progressivement sa place dans les rayons des hypers et supermarchés français. Ainsi, le taux de disponibilité était de 71,7 %, à la fin du mois de juin, après avoir atteint son plus bas niveau quelques semaines auparavant (56,8 % au début du mois de juin), selon les chiffres de l’analyste Nielsen Q, communiqué à CheckNews.
L’envolée des prix d’un pays à l’autre
Si les produits reviennent progressivement, leurs prix ont fortement augmenté ces derniers mois. L’IRI enregistre en France une hausse de 14,54 % du prix des huiles végétales, entre juillet 2021 et juillet 2022. Même schéma pour la moutarde, avec +13,57 % en un an. Mais cette augmentation des prix est-elle visible uniquement en France ? Des internautes s’interrogent en effet sur le prix moins élevé de la moutarde et de l’huile de tournesol dans certains pays européens, comme l’Espagne et le Portugal.
Concernant la moutarde, Luc Vandermaesen explique ces disparités entre les pays par la différence des quantités vendues à l’export : «Ce sont souvent des flacons de 200 g qui sont vendus à l’étranger sous les marques de distributeurs, alors qu’en France ces pots font souvent entre 370 g et 470 g. Les prix affichés sur les photos ou vidéos prises chez nos voisins sont donc de fait moins élevés, car ce n’est pas la même quantité de produit.» La moutarde de Dijon étant également moins prisée, les stocks s’écoulent moins vite à l’étranger, qu’en France, limitant du même coup les hausses de prix décidés par certains revendeurs.
«S’il y a moins de tension sur le marché, comme c’est le cas pour la moutarde de Dijon, qui est moins consommée chez nos voisins, les prix augmentent significativement moins. La demande a un fort impact sur les prix, tout dépend donc des habitudes de consommation», détaille Emmanuelle Auriol, professeure à la Toulouse School of Economics.
Pour l’huile de tournesol, la question se pose différemment, car la consommation est sensiblement la même dans les deux pays. D’autant plus que les prix des condiments connaissent aussi une très forte hausse en Espagne et au Portugal. Selon le dernier rapport de la Commission européenne sur les prix des produits agricoles et des denrées alimentaires, publié le 22 juillet, le prix des huiles et des graisses a augmenté significativement de 37 % entre juin 2021 et juin 2022 en Espagne, et 42,6 % au Portugal sur la même période. En comparaison, le prix de ces produits est en hausse de 17,7 % en France, l’un des taux d’augmentation les plus faibles des 27, derrière le Luxembourg (13,3 %), la Finlande (14,2 %) et l’Irlande (4,8 %). Alors comment expliquer que les prix soient plus faibles en Espagne, comme le suggère cette vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux ?
⚠️🛑💥📽Vidéo d'un touristes français au Portugal. Son témoignage ⬇️ "J’arrive en juillet au Portugal et là surprise, tous les magasins Leclerc et Auchan sont blindés d’huile de tournesols française à 2€ la bouteille ?Je dema⚠️🛑💥📽Vidéo d'un touristes français au Portugal. ⚠️⚠️ABONNE TOI 👇👇 Street live independant Son témoignage ⬇️ "J’arrive en juillet au Portugal et là surprise, tous les magasins Leclerc et Auchan sont blindés d’huile de tournesols française à 2€ la bouteille ?Je demande au chef de rayon si ils ont été victime de la même pénurie qu’en France et là il était étonné il me dit qu’elle pénurie? " ⚠️Autre publication ⚠️ https://www.facebook.com/108498531033722/posts/520183469865224/
Posted by Street live independant on Sunday, July 31, 2022
Selon l’économiste Emmanuelle Auriol, cette vidéo, parmi d’autres, correspond a un instant T. «Si les stocks étaient à un moment plus importants et devaient être écoulés dans un supermarché, il est possible que les prix soient baissés occasionnellement, précise-t-elle. Tout dépend du supermarché, de la date d’achat et des stocks disponibles». Dès lors, il n’est pas possible de faire une généralité à partir d’une simple photographie. Certains internautes témoignent d’ailleurs d’une situation inverse. «Incursion en Espagne, presque pas de moutarde ou hors de prix et en petits pots. L’huile très chère», constate l’un d’eux sur Twitter, le 8 août.
Enfin, une dernière dimension doit être prise en compte : les coûts de distribution (ensemble des charges nécessaires à la diffusion et la vente d’un produit, telles que la gestion des stocks et les frais de logistique), propres à chaque pays. «Les prix revendeurs sont fixés en fonction de la demande, mais également des marges des supermarchés et des coûts de distribution, telles que la main-d’œuvre. Or, les charges ne sont pas les mêmes en Espagne et en France, où les coûts de logistique sont nettement supérieurs», précise Emmanuelle Auriol.
D’après des données publiées par Eurostat, en 2020, et relayées par 60 millions de consommateurs, les prix des denrées alimentaires étaient ainsi, en moyenne, 15 % plus élevés en France que la moyenne de l’UE.