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Les statistiques sur la délinquance des étrangers «étaient cachées jusqu’à présent» : Gilbert Collard dit n’importe quoi

Sur CNews, l’eurodéputé rallié à Eric Zemmour a évoqué la fin d’une «chape de plomb». Un propos totalement fantaisiste. Les statistiques sur le sujet existent depuis des décennies. Et sont, de longue date, mises en avant par la droite et l’extrême droite.
Gilbert Collard lors d'un meeting d'Eric Zemmour à Cannes, en janvier 2022. (Daniel Cole/AP)
publié le 14 novembre 2022 à 21h37

Ce serait la fin d’une «chape de plomb». Sur CNews, la semaine dernière, on fêtait une grande «libération de la statistique». A en croire Gilbert Collard (eurodéputé désormais rallié à Eric Zemmour), mais aussi le journaliste qui l’interviewait, le grand public aurait enfin accès, pour la première fois, aux données chiffrant la part des étrangers dans la délinquance. «il y a une forme de libération de la parole, désormais», lance le journaliste, alors que s’affichent à l‘écran les chiffres que Gérald Darmanin répète depuis six mois (48 % des personnes mises en cause pour faits de délinquance à Paris seraient des étrangers). A quoi Collard répond : «C’est plus qu’une libération de la parole. C’est une libération des statistiques que l’on cachait jusqu’à présent ! Si j’avais dit ça il y a un an, à savoir qu’il y a une délinquance de ressortissants étrangers, tout le monde me serait tombé dessus. Peut-être même me serais-je retrouvé devant la 17e chambre correctionnelle. On ne pouvait pas le dire. Ce qui prouve bien qu’il y a une chape de plomb sur des réalités que l’on a le droit de connaître !» Et de se féliciter qu’«Interstats, l’instrument statistique du ministère, nous claironne qu’il y a une délinquance étrangère importante. Le gouvernement est en train de dire des vérités qu’il a cachées». Une analyse visiblement partagée par le journaliste, évoquant des constats que la «pensée unique» aurait «empêchés pendant quarante ans».

Si le débat public est, depuis plusieurs semaines, focalisé sur ces questions de délinquance des étrangers, cela n’a rien de neuf. Pas plus que les statistiques en la matière. Gilbert Collard, qui affirme ainsi qu’on ne pouvait chiffrer la délinquance des étrangers il y a seulement un an, ignore visiblement l’existence de l’Insee, qui, il y a un an, donnait de manière détaillée la part des étrangers dans les «auteurs» des différents faits de délinquance pour l’année 2019. Un type d’information tout ce qu’il y a de plus banal.

Gérald Darmanin, comme un écho de Claude Guéant

Le débat actuel ressemble d’ailleurs à s’y méprendre à celui auquel on assistait il y a dix ans. En février 2012, l’ONDRP (Observatoire nationale de la délinquance et des réponses pénales, «ancêtre» du service statistique du ministère de l’Intérieur), publiait une étude indiquant notamment que la part des étrangers parmi les mis en cause pour des atteintes aux biens (vols, notamment) était passée de 12,8 % en 2006 à 17,3 % en 2011. Dans le même temps, la part des étrangers dans les atteintes à l’intégrité physique (violences, menaces, etc.) s’était quant à elle réduite, passant de 14,2 % à 12,4 %.

Avant même la publication de ces données, le ministre de l’intérieur d’alors, Claude Guéant, en janvier 2012, s’en était fait l’écho (en se focalisant surtout sur l’augmentation). Sur BFM, il déclarait : «Il y a un taux de délinquance parmi la population étrangère qui est entre deux et trois fois supérieur à la moyenne.» Le ministre précisait qu’il avait «fait faire des études par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales». Pour parfaire encore la similitude avec la polémique actuelle, on notera que Claude Guéant avait mis en avant ces statistiques peu avant l’examen à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi UMP tendant à accroître les expulsions d’étrangers condamnés. Dix ans après, Darmanin qui assène à son tour dans les médias les chiffres de la «délinquance étrangère», prépare également un nouveau projet de loi «immigration» qui doit être examiné début 2023 et comportera un volet sur… l’expulsion des étrangers délinquants. Bref, là où Collard voit une révolution, on a surtout l’impression d’un éternel recommencement.

Des chiffres disponibles depuis des décennies

Et on peut remonter bien plus loin dans le temps. Il y a 30 ans, en 1992, Pierre-Victor Tournier, chercheur au CNRS, publiait un article intitulé Étrangers et délinquances. Article étant lui-même une synthèse actualisée d’un ouvrage publié une année auparavant sous le titre Étrangers et délinquances, les chiffres du débat. Dans ce texte très complet, que l’on peut relire ici, l’auteur rappelle que le ministère de l’Intérieur élabore depuis 1972 un rapport annuel sur «la criminalité et la délinquance constatées par les services de police et de gendarmerie». Où est opérée la distinction entre les mis en cause étrangers et français. L’article rappelle d’ailleurs que la part des étrangers dans les mis en cause était de 13,5 % en 1975, 15,1 % en 1980, puis 17 % en 1990. Cette année-là, sur les 754 161 mis en cause par les forces de l’ordre, on avait recensé 127 983 étrangers. Et le texte donne le détail de la part des étrangers par type de fait de délinquance. Des chiffres qu’on peut retrouver sur le site de l’Insee pour l’année 2019.

Bref, ces données existent depuis des décennies. Et elles sont commentées depuis aussi longtemps, de manière plus ou moins opportuniste et démagogique, par les responsables politiques. Et il est fort étonnant que Gilbert Collard connaisse aujourd’hui une telle «épiphanie» à propos d’un sujet sur lequel sa famille politique tourne en boucle depuis des années.