«Je ne suis pas habitué, comme vous le savez, à me retrouver de ce côté du pupitre», lance Loïc Signor, un peu tendu, à ses anciens confrères, le 30 septembre, à l’occasion de son premier point presse sur l’actualité du parti Renaissance. La veille, ou presque, Loïc Signor était sur les bancs des journalistes. Longtemps chargé de la couverture de l’Elysée pour CNews, il s’est retrouvé porte-parole du parti présidentiel mi-septembre. Une bascule qui a relancé les questions et les fantasmes sur la supposée (et parfois réelle) connivence politico-médiatique. D’autant que, quasi au même moment, un autre journaliste franchissait lui aussi le Rubicon : Victor Chabert, ancien d’Europe 1, en charge du Rassemblement national, reconverti en attaché de presse de Marine Le Pen.
L’arrivée de Signor dans le parti macroniste a été révélée via un article du Figaro : «un ex-journaliste de CNews rejoint Macron et devient porte-parole de Renaissance». Le poste occupé par Signor a une importance relative, le porte-parole d’un parti n’étant pas, loin de là, le premier interlocuteur des médias. Mais il prend sa tâche à cœur, et s’est, entre autres, fixé comme objectif d’organiser toutes les deux semaines un point presse – dont le premier s’est tenu le 30 septembre. «Il fallait un porte-parole en mesure d’incarner les positions que prendra le parti. Je suis ravi que Loïc Signor ait accepté de mettre son expertise à notre service», s’y réjouit Stéphane Séjourné, récemment promu secrétaire général de Renaissance.
«Une envie cachée, un désir enfoui»
C’est Stéphane Séjourné lui-même qui s’est chargé de débaucher le journaliste. Lorsque en juin, Signor est approché, il est alors en plein congé paternité, entamé juste après l’élection présidentielle. «Je suis surpris par la proposition», rapporte-t-il à CheckNews, tout en concédant : «mais ça répond à un réveil, peut-être une envie cachée, un désir enfoui. Et ça répond à une situation qui me perturbe : l’entrée de 89 députés du Rassemblement national à l’Assemblée. Je me dis aussi que CNews a peut-être une certaine forme de responsabilité là-dedans.»
Renaissance
Lors de cette transition, s’est-il trouvé en «conflit d’intérêts», couvrant Macron tout en sachant qu’il rejoindrait le parti présidentiel ? Peu de temps, voire pas du tout, selon lui. Quand il retrouve son poste mi-juillet après son congé paternité, il concède que c’est «avec le projet de partir». Il attend le début du mois d’août pour officialiser son départ de la rédaction : «Je démissionne pour être libre et réfléchir, et je ne réponds favorablement [à Stéphane Séjourné] que quelques jours plus tard», assure-t-il.
Reste que cet «outing» macroniste pose inévitablement la question de la proximité idéologique qui existait entre le journaliste et celui qu’il a suivi comme candidat puis à l’Elysée. Signor a accompagné Macron un peu partout dans les cent départements français, sur les cinq continents, de septembre 2016 à mai 2022. Dans un article d’Arrêt sur images, en avril, il se remémorait ainsi ses débuts en rigolant : «c’était plus simple quand on était trois» à suivre Macron. Dans l’entre-deux-tours de la présidentielle, on le retrouvait au micro pour deux interviews du président-candidat, le 11 avril dans le Nord, et le 22 dans le Lot. En dépit de ce long chemin commun, Signor s’est retrouvé privé d’une plus forte proximité avec la présidence en raison du média pour qui il officiait : les conseillers presse de l’Elysée n’ont jamais donné d’accès privilégié aux journalistes de CNews, pour des raisons à la fois industrielles – ils privilégient les médias à plus forte audience comme BFMTV – et diplomatiques, l’Elysée étant en guerre ouverte avec le milliardaire français Vincent Bolloré, propriétaire de la chaîne.
«Je n’ai jamais ménagé le chef de l’Etat»
A propos des accusations de connivence que son ralliement a fait émerger, Loïc Signor dit être «assez serein sur le fait qu’on ne puisse pas vraiment [lui] reprocher d’avoir été un agent caché du pouvoir». Les journalistes politiques interrogés par CheckNews, qui souhaitent garder l’anonymat, vont plutôt dans son sens. L’un dit qu’il n’a «jamais noté aucune connivence ni partialité dans sa couverture de l’Elysée». «Sincèrement, je ne le trouvais pas connivent ni sympathisant dans son traitement de l’actu», confirme une autre. Un troisième abonde : «Personne n’a jamais pu se dire “Loïc, c’est sûr il est maqué avec l’Elysée !”»
Récit
A ceux qui mettraient en doute la «neutralité de son travail», Signor renvoie vers les conférences de presse auxquelles il a pris part. «Honnêtement, je n’ai jamais ménagé Emmanuel Macron. J’ai dû lui poser une centaine de questions en cinq ans», avance-t-il. Dont certaines avaient (un peu) fâché le Président. A l’issue d’un discours de Macron sur le séparatisme, en octobre 2020, le journaliste lui avait par exemple demandé : «Doit-on conclure que le projet de loi contre les séparatismes est finalement un projet de loi contre l’islamisme radical, et pourquoi alors ne pas plus clairement nommer les choses ?» Ce qui lui avait valu de se faire taper sur les doigts par le chef de l’Etat : «Très sincèrement, vous seriez malhonnête à dire que je n’ai pas nommé les choses très clairement. Après, on peut décider de se faire collectivement des nœuds au cerveau et d’avoir de longs débats sur des choses inutiles, mais je crois que j’ai dit le problème.» Quelques mois plus tard, en juin 2021, lors d’un échange organisé en amont des sommets du G7 et de l’Otan, le journaliste avait aussi interpellé le Président sur le terme polémique d’«ensauvagement des esprits» employé pour parler de la haine en ligne.
Loïc Signor s’est également illustré en étant l’un des deux journalistes à mettre en ligne, en janvier 2019, une séquence censée pourtant s’être déroulée «hors micro et hors caméra», dans le huis clos du conseil municipal d’une petite commune de l’Eure. En plein mouvement des gilets jaunes, on y entendait Macron déclarer : «Les gens en situation de difficulté, on va davantage les responsabiliser, car il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent.» Une petite mèche qui a ensuite largement enflammé le débat public. Sans qu’on puisse pour autant parler de coup pendable pour l’exécutif, tant ces phrases dites en off sont parfois destinées à sortir, et qu’elles peuvent autant, voire davantage, arranger les politiques que les embarrasser.
Une campagne «terriblement chiante»
Enfin, on peut citer un tweet publié en janvier, dans lequel Loïc Signor s’insurge contre une «fausse conférence de presse» d’Emmanuel Macron. «Après plusieurs heures d’attente au Parlement européen, les journalistes apprennent qu’il n’y aura pas de questions au cours la conférence de presse du président Macron… Nous avons quitté la salle ! Interpellé à la sortie […], le président Macron nous dit qu’il nous a déjà “répondu en décembre”», déplore celui qui était encore chargé de couvrir l’Elysée.
Loïc Signor a fait le choix de ne pas supprimer son compte Twitter. Ses derniers tweets de journalistes, avant sa réorientation professionnelle, consistaient presque exclusivement à relayer platement les informations concernant la campagne électorale de Macron. «Aperçu de la vidéo de candidature d’Emmanuel Macron qui sera publiée à 18 heures», «première affiche de campagne avec Emmanuel Macron», «aperçu de la salle où Emmanuel Macron va dévoiler son programme», «Nicolas Sarkozy annonce qu’il votera pour Emmanuel Macron», tweetait-il les 4, 5 et 17 mars, et le 12 avril. A noter que Loïc Signor s’est arrêté de tweeter fin avril. Ce qui n’a rien à voir, dit-il, avec des états d’âme. Il explique ce silence par une campagne «terriblement chiante», et sa «conjoncture personnelle» : «Ma femme était à huit mois de grossesse au moment où Macron s’est déclaré candidat. Et elle a accouché le 2 avril, le jour du meeting à La Défense Arena.»
S’il se défend donc d’avoir été un journaliste connivent, Loïc Signor est en revanche clair sur son positionnement politique qui ne date pas d’hier, et reconnaît aussi que son travail pouvait en porter la trace. Le trentenaire affirme avoir été séduit, à propos de Macron, par «l’association des bonnes volontés», une «façon de faire de la politique» qu’il dit avoir déjà trouvé chez François Bayrou (pour qui il a voté en 2007). Sa principale préoccupation, glisse-t-il, c’est l’«efficacité». «Le fil de mes questions, analyses et commentaires au sujet du président de la République a toujours été dans le même sens : il faut aller plus loin dans le dépassement, la modernisation des institutions. D’une certaine manière, je me sentais déjà proche de cette sensibilité qu’incarnaient le président de la République et son mouvement.» Un journalisme militant, en somme, et assumé. Au cours d’entretiens, «surtout vers la fin», il lui est souvent arrivé d’adhérer aux réponses du chef de l’Etat. «Mais ça, je le gardais pour moi», insiste-t-il.
Une épouse implantée dans la machine macroniste
Cette affinité politique se double d’un lien personnel qui a peu été évoqué : Loïc Signor est marié depuis 2019 à Marion Beyret, avec laquelle il a eu deux enfants. Or, avant de s’occuper des relations médias au sein du groupe Air France-KLM, cette même Marion Beyret a été attachée de presse pour La République en marche en 2017, puis pour la présidence de la République jusqu’en 2019 (pour la petite anecdote, elle avait alors été confondue avec une porte-parole des gilets jaunes, comme l’avait raconté CheckNews), et enfin conseillère presse au sein du ministère de la Transition écologique. Bref, bien implantée dans la machine macroniste.
Interview
Un lien qui, dans certaines rédactions, aurait justifié un changement d’affectation pour éviter le risque d’un conflit d’intérêts. Signor insiste sur le cloisonnement entre la vie personnelle et la vie privée : «Parlez-en à Sibeth Ndiaye, elle ne l’a jamais su, donc on cloisonnait bien les choses.» Cette relation l’a-t-elle amené à une plus grande proximité avec les membres de la majorité, abolissant les frontières entre sa vie privée et sa vie professionnelle ? «Pas plus que d’autres, honnêtement. J’ai d’anciens confrères et consœurs qui dînent chez des ministres, qui sont très amis. Tout le monde se connaît, et parfois très bien. Et parfois, il y a des relations amoureuses, amicales, qui se traduisent par un mariage. Ça, on peut le regretter, on peut dire que c’est de la connivence. On peut dire que, voilà, c’est une réalité dans un groupe humain, dans une société : il y a des amitiés qui se nouent, il y a des histoires d’amour. Mais c’est le cas aussi chez des journalistes politiques qui suivent les Verts, La France insoumise…»
Signor insiste par ailleurs sur le fait que son recrutement n’est jamais passé par son épouse : «Je suis marié avec quelqu’un qui a été dans la machine. Est-ce que ça rassure Stéphane [Séjourné] et un certain nombre de personnes ? Peut-être. Mais je ne suis pas sûr que ça soit le point d’entrée. D’ailleurs, elle n’était pas au courant. C’est moi qui lui ai appris, en rentrant le soir, que Stéphane m’avait fait cette proposition.»
«Farouche opposant» à Zemmour sur CNews
De l’entretien qu’il a donné au Figaro, de nombreux internautes ont extrait une phrase interprétée comme un aveu : «quitte à faire de la politique, il vaut mieux que ce soit pour défendre les valeurs qui sont les miennes. Et il vaut mieux le faire sans carte de presse.» Interrogé sur ce propos, il dit l’avoir tenu surtout à propos du combat «en interne» qu’il menait à CNews face à la ligne éditoriale imposée par la direction. Un combat que Loïc Signor revendique : «une chaîne d’information en continu comme CNews doit avoir un positionnement, selon moi, assez neutre. C’est ce que je me suis efforcé à défendre au milieu d’une forteresse qui penche plutôt à droite, voire très à droite. Bon, j’ai été vu effectivement comme le macroniste de service, mais ce n’était pas très compliqué puisque tout ce qui était un peu plus à gauche que Zemmour était vu, par certains, comme du macronisme.» Signor avait d’ailleurs pris la tête de la Société des rédacteurs de CNews. L’un de ses combats principaux a été d’essayer d’installer davantage de contradicteurs en face d’Eric Zemmour, éditorialiste controversé qui a finalement quitté l’antenne pour se présenter à la présidentielle. «Je l’ai combattu parce que j’étais un farouche opposant à son arrivée», retrace Loïc Signor.
Le départ de la chaîne de Zemmour et son arrivée en politique n’ont pas vraiment arrangé les choses, à en croire Signor : «A partir du moment où Eric Zemmour a été candidat, j’ai vu un basculement dans la chaîne, dans les thèmes à traiter. Et donc j’avais moins de place à l’antenne : j’étais journaliste dédié au suivi d’Emmanuel Macron, mais ils n’avaient pas envie de parler d’Emmanuel Macron», déplore-t-il. A sa nouvelle place, il aura toute liberté de le faire.