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Manifestation chiite : que sait-on de cette procession musulmane qui a défilé à Paris ?

Les images d’une procession chiite qui s’est déroulée dans les rues de Paris ont suscité de vives réactions. Il s’agit de la seconde édition d’un évènement qui s’était déjà tenu l’année précédente.
La manifestation de samedi 13 juillet est une procession pour Achoura, un événement célébré par les musulmans, organisée par une association religieuse chiite, l’Imamia Shah-e-Najaf, qui représente des membres de la diaspora pakistanaise. (Capture d'écran Youtube)
publié le 20 juillet 2024 à 9h35

Sur plusieurs vidéos de cet évènement, publiées sur les réseaux sociaux, on peut voir des hommes, des femmes et enfants entièrement habillés en noir. Les femmes portent des hijabs ou des niqabs, et marchent entre elles en queue de cortège. Les hommes, de leur côté, se frappent la poitrine en chantant et représentent la grande majorité des personnes qui défilent.

Ces images, relayées notamment sur X, ont suscité de vives réactions. Noëlle Lenoir, ancienne ministre des Affaires européennes dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et ex-membre du Conseil constitutionnel, a même qualifié l’événement de «défilé des intégristes amis du NFP».

Que sait-on de cette manifestation ? Il s’agit d’une procession pour Achoura, un événement célébré par les musulmans, organisée par une association religieuse chiite, l’Imamia Shah-e-Najaf, qui représente des membres de la diaspora pakistanaise. Sur YouTube, un live vidéo retrace la quasi-totalité de cette manifestation, qui s’est tenue samedi 13 juillet entre Bastille et Nation à Paris.

«C’est un deuil, c’est pour ça qu’ils sont habillés en noir»

Le courant chiite, qui forme une minorité au Pakistan, est la religion officielle en Iran. Si pour les sunnites, Achoura est une fête, pour les chiites, c’est «complètement autre chose» explique Sabrina Mervin, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de ce courant de l’islam. Elle explique que «pour les chiites, c’est la commémoration du martyr de leur troisième imam qui s’appelait Hussein», mort lors d’une bataille à Kerbala en Irak. «C’est un événement très important des doctrines chiites. Et c’est un deuil, c’est pour ça qu’ils sont habillés en noir», poursuit-elle.

Sabrina Mervin explique d’ailleurs que brandir des drapeaux noirs et se frapper la poitrine correspondent justement «à une expression de deuil». Selon la chercheuse, cette manière d’exprimer son chagrin est «une pratique antéislamique» qu’on retrouve au Moyen-Orient dans des représentations bien avant le début de l’islam.

Sur les images réalisées lors de la procession 2024, de nombreux drapeaux et banderoles sont visibles où il est possible de lire des slogans en Ourdou, langue officielle du Pakistan. Sur certaines banderoles, on peut lire «ô Hussein, lumière de mes yeux» ou encore «que la paix soit sur toi, Abu Abdullah, que l’humanité se réveille». Près d’une heure quarante après le début de la manifestation, on observe sur le live vidéo de la procession deux drapeaux français tricolores brandis parmi les autres. L’association déclare avoir rassemblé, pour l’édition 2024, «environ 500 fidèles».

Car il ne s’agit pas de la première fois qu’Ashoura est célébrée publiquement à Paris. Contactée par CheckNews, l’Imamia Shah-e-Najaf, l’association pakistanaise qui a organisé l’événement, affirme qu’il s’agit de «la deuxième fois» qu’un tel événement à lieu dans les rues de la capitale. D’après les images de cette première édition, la procession avait eu lieu le 23 juillet 2023 entre Bastille et place de la République et semble avoir rassemblé le même nombre de personnes que cette année.

«Rien à voir avec la politique»

Les processions pour Ashoura sont organisées dans tous les pays qui disposent de communautés chiites, «même si elles sont minoritaires» explique Sabrina Mervin. C’est le cas en Iran, au Liban, en Irak, à Oman mais aussi aux Etats-Unis, en Australie ou au Royaume-Uni.

Sur X, l’association Femme Azadi, relais français du mouvement contestataire iranien «Femmes, Vie, Liberté» critique la procession parisienne. Pour les représentantes iraniennes de l’association, «voir des défilés comme ça en Europe nous glace le sang… En Iran, seuls les partisans des ayatollahs et de la république islamique défilent». Sabrina Mervin confirme qu’il y a «des processions quasi officielles en Iran qui sont organisées par des groupes proches de l’Etat». Mais précise que tous les chiites ne se reconnaissent pas nécessairement dans ces rituels et que certains «célèbrent différemment». Armin Arefi, grand reporter au Point et spécialiste de l’Iran, a par exemple partagé des images de la procession d’Ashoura à Téhéran où des jeunes femmes non voilées participent à la procession.

A CheckNews, l’Imamia Shah-e-Najaf déclare qu’elle n’a «rien à voir avec la politique» et «être uniquement une association pour les Pakistanais». La même association évoque pourtant avoir refusé de faire partie du collectif chiite de France dont la charte précise que l’«influence étrangère n’a pas sa place dans notre culte». Imamia Shah-e-Najaf fait en revanche partie de la Fédération française des musulmans chiites, dont la charte évoque son attachement à la devise républicaine mais n’aborde pas la question de ses liens avec d’autres pays.

Sollicités, ni le bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur, ni la préfecture de police de Paris n’ont souhaité répondre à nos questions.