Mathieu Kassovitz, désireux de voir le RN arriver au pouvoir ? D’une durée de 37 secondes, un extrait d’une interview du cinéaste lors du 20 heures de Darius Rochebin, samedi soir sur LCI, a fait sursauter nombre d’internautes. Une séquence diffusée le plus souvent avec cette citation en exergue : «Peut-être que le FN a sa place en France, peut-être qu’ils vont faire un meilleur boulot, peut-être que c’est une expérience à essayer» –, comme l’a tweeté le journaliste David Dufresne dans un post vu plus d’un million de fois. Et accompagnée de ce commentaire : «La r-Haine», en allusion au film la Haine, réalisé par le cinéaste en 1993.
La r-Haine.
— David Dufresne (@davduf) June 22, 2024
« Peut-être que le FN a sa place en France, peut-être qu'ils vont faire un meilleur boulot, en tout cas c'est peut-être une expérience à essayer »#Kassovitz pic.twitter.com/pROFHgZcMA
Le journaliste a cependant lui-même publié un peu plus tard un extrait plus large de l’interview, sans dédouaner non plus Kassovitz. «A la demande de certains commentaires, écrit-il, voici un extrait plus long, qui en dit long. Le cynisme (je n’irai pas manifester, d’ailleurs j’en ris, moi je suis pour la révolution) est à son paroxysme. Quand on a le privilège d’avoir une parole publique, on essaye d’être à la hauteur.»
Et de fait, la phrase de Kassovitz – pour le moins maladroite – relève plus d’un désir confus, voire cynique, comme le dit Dufresne, de clarification de la situation politique en France, que d’un ralliement au Rassemblement national. Car tout au long de cette interview de près de vingt-cinq minutes, le cinéaste se positionne clairement contre l’extrême droite.
«Je pense que c’est des clowns»
Au début de cet entretien (qui commence à 29′40), Kassovitz, avouant n’avoir jamais voté, est invité à réagir aux propos de Mbappé, qui, quelques jours plus tôt s’était prononcé «contre les extrêmes, contre les idées qui divisent». Il déclare alors : «Tant que l’équipe de France sera représentée par des Africains, des Arabes, des gens de toutes nationalités (sic), qui ont été acceptés et qui ont grandi ici, je pense qu’on ne pourra pas vraiment être un pays raciste, et je pense que les racistes ne pourront pas gagner. C’est mon fantasme, c’est peut-être un petit peu naïf. Mais on est multicolore quoi qu’il se passe. La guerre, elle est finie, ils ont perdu, cette idée sur le grand remplacement de Zemmour ne veut plus rien dire. C’est tellement obsolète que je pense que ça va s’effondrer. Ils vivent sur la peur des gens comme tout système fasciste. Mais je pense que c’est des clowns.»
A la question du journaliste qui lui demande ensuite s’il comprend les électeurs du RN, il poursuit : «Non, je n’ai jamais compris les gens qui votent Front national, d’une manière ou d’une autre. Parce que la base de Le Pen, c’est quand même l’OAS, il a torturé des gens pendant la guerre. C’est des gens qui sont pour la peine de mort. Tout l’inverse de ce qu’on est en tant que Français. […]»
Quand Rochebin l’interroge sur son vote en cas de duel LFI-RN, il précise : «J’irai voter forcément à gauche, d’une manière ou d’une autre, j’irai pas voter en tout cas pour un imbécile comme Zemmour.» Plus loin, il ajoute : «La France est métissée depuis longtemps, j’ai fait un film là-dessus, en 1993, où on s’en fout de la couleur, on est tous roses avec des étoiles vertes, comme on dit à la fin du film. […] On peut plus garder un sang pur qui n’existe plus.»
«A un moment on va basculer»
Un peu plus tard, il déclare : «Je pense qu’au final [“les fachos”] vont gagner, mais ce qui va être intéressant, c’est la réaction à cette élection-là. Le problème des fachos, c’est que quand on parle des extrêmes, c’est 3 000 personnes qui sont prêtes en France à lever le bras et à faire le salut nazi. Mais 3 000 connards sont capables de faire ce que 10 000 pacifistes ne sont pas capables de faire. C’est-à-dire taper sur les autres.»
Darius Rochebin lui demande alors : «Si demain le RN gagne, est-ce que vous iriez manifester ?» Et Kassovitz de répondre, se montrant donc, dans la version longue de sa réponse, davantage fataliste qu’enthousiaste, face à la perspective d’une arrivée du RN au pouvoir : «Je serai avec vous de tout cœur, mais j’en ai marre, non, j’en ai marre de manifester, c’est tout le temps le même cirque. Il y a une action, une réaction. Manifester, je ne suis pas trop pour, je vais me mettre dans la merde, mais je suis pour la violence face à la violence. Moi j’ai toujours été dans l’attente de l’arrivée du FN, pour voir quelle est la vraie réaction des Français. Est-ce que l’on est vraiment le pays des droits de l’homme, ou est-ce que l’on est devenu autre chose ? C’est aussi intéressant, parce que peut-être qu’on est devenu autre chose. Et il faut accepter ça aussi. Peut-être que le FN a sa place en France et peut-être qu’ils vont faire un meilleur boulot. En tout cas c’est peut-être une expérience à essayer. Moi, je pense qu’on ne saura jamais vraiment qui on est si on n’est pas passé par ce stade-là. Alors que ce soit Jordella (sic), Le Pen ou quelqu’un d’autre, je pense qu’à un moment on va basculer.»
A la réaction, enfin, de Rochebin – «On dirait que vous vous en accommodez ?» – Kassovitz répond : «Je serais beaucoup plus paniqué si on était en train de se transformer dans un monde qui va parfaitement bien. Mais le monde est en train de basculer entièrement et je pense qu’on peut freiner des deux pieds, mais je pense qu’on va tomber comme le reste du monde dans un nouveau système.»