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Meurtre de Lola : comment fonctionne une «obligation de quitter le territoire français» ?

Meurtre de Lola à Parisdossier
Alors que le monde politique s’agite, parfois par opportunisme, autour de la décision administrative délivrée à Dahbia B. en août dernier, la confusion demeure quant à la façon dont s’applique l’OQTF, tant ses modalités d’exécution sont d’une grande complexité.
Un étranger sous la surveillance d'un policier au Centre de rétention administrative de Saint-Jacques-de-la-Lande (Ille-et-Vilaine), en décembre 2020. (Jeremie Lusseau/AFP)
publié le 19 octobre 2022 à 22h19

Rapidement après le meurtre de Lola, cette enfant de 12 ans dont le corps a été retrouvé dans une malle vendredi 14 octobre, les médias ont révélé que la principale suspecte – mise en examen pour «meurtre sur mineure de moins de 15 ans en lien avec un viol commis avec actes de torture et de barbarie et recel de cadavre» – faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) depuis fin août.

L’Agence France Presse (AFP) écrivait ainsi, lundi 17 octobre, avoir appris d’une source proche de l’enquête que cette Algérienne de 24 ans «était entrée légalement en France en 2016 avec un titre de séjour d’étudiant», qu’elle a été le 21 août dernier «interpellée dans un aéroport français pour défaut de titre de séjour» et s’est alors vue délivrer une OQTF. «Comme elle n’a aucun antécédent judiciaire et qu’elle n’est connue de la police qu’en tant que victime, l’OQTF est délivrée avec un délai de retour de 30 jours dans son pays», détaille la source de l’AFP. Après que la jeune femme s’est fait connaître des services de police en 2018, comme victime de violences conjugales, «les services de l’Etat perdent progressivement sa trace pendant plusieurs années», selon les informations complémentaires données par Europe 1. Une trace retrouvée lorsque Dahbia B. est interpellée cet été à l’aéroport d’Orly, alors qu’elle «cherche à rejoindre la zone des vols internationaux, pour rejoindre une amie à l’étranger».

«Un peu de décence»

L’information a immédiatement été récupérée par l’extrême droite (et une partie de la droite) qui, à l’image de la zemmouriste Marion Maréchal, parle d’un «assassin clandestin». «Si [le gouvernement] avait fait son travail et appliqué l’OQTF de la meurtrière, Lola serait en vie», martèlent aussi, depuis lundi, des élus Rassemblement national, comme Julie Lechanteux. Dans son tweet, la députée répondait à la Première ministre Elisabeth Borne, exhortant Marine Le Pen à faire preuve d’«un peu de décence». D’autres membres du gouvernement sont montés au créneau. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a assuré, au micro de RTL, que l’OQTF avait été délivrée à la suspecte «il y a à peine un mois» (ce qui lui a valu d’être accusé de mensonge, puisque l’OQTF datait d’août).

Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a pour sa part déclaré à l’Assemblée nationale : «Le 22 août, une OQTF a été délivrée, sans obligation de quitter immédiatement le territoire national, il s’agit d’un départ volontaire. Il n’y avait aucune raison qu’il en fut autrement. [Ce sont] nos règles, et nous ne savons pas, à l’heure où je vous parle, si un recours n’a pas été intenté par l’avocat de cette jeune femme.» Autant d’arguments, partiellement vrais, qui ajoutent un peu plus à la confusion quant au fonctionnement d’une OQTF. Et qui montrent que ce sujet complexe gagne rarement à être abordé par opportunisme dans un contexte de récupération.

Les décisions portant obligation de quitter le territoire français (et plus largement concernant l’éloignement d’un étranger) sont prises au niveau du préfet, dans des cas listés à l’article L611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Sont concernés les étrangers restés sur le territoire national sans être titulaires «d’un titre de séjour en cours de validité». Ce qui inclut notamment ceux qui sont entrés en France de façon irrégulière, ceux «sous couvert d’un visa désormais expiré» dont ils n’ont pas demandé le renouvellement – ou dont le renouvellement leur a été refusé –, ainsi que ceux auxquels la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire n’a pas été accordée.

Menace à l’ordre public

En revanche, les mineurs, les étrangers qui résident habituellement en France depuis une certaine durée, ceux mariés avec des Français, ou encore ceux dont l’«état de santé nécessite une prise en charge médicale» ne peuvent faire l’objet d’une OQTF (comme l’impose le même code), sauf quand ils représentent une menace à l’ordre public. S’agissant de la principale suspecte dans le meurtre de la jeune Lola, celle-ci se trouvait en situation irrégulière depuis août 2019, après que le renouvellement de son titre de séjour au titre d’«étudiant étranger» lui a été refusé par le préfet du Val-de-Marne.

Dans les OQTF «classiques», l’intéressé dispose «d’un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision». C’est le «départ volontaire» qu’évoque Eric Dupond-Moretti. Délai qui peut être supprimé. On parle alors d’OQTF sans délai de départ volontaire. Une telle mesure est justifiée par trois situations : quand «le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public», s’il s’est vu refuser la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour «au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse», mais aussi en cas de risque que l’étranger se soustraie à son OQTF. Ce risque existe notamment lorsque l’étranger «ne peut présenter des documents d’identité ou de voyage en cours de validité» ou «ne justifie pas d’une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale».

«Inconnue des services de police»

C’était en l’occurrence le cas de Dahbia B., qui se trouvait sans domicile fixe et sans papiers d’identité valides au moment de son interpellation à Orly. Cela aurait-il dû déboucher sur une OQTF sans délai ? Comme le souligne auprès de CheckNews l’avocate Elodie Journeau, spécialiste du droit d’asile et des étrangers, «à ce stade de l’enquête, on manque d’informations pour savoir pourquoi c’est une OQTF» avec délai de départ volontaire de trente jours «qui lui a été donnée». A l’Assemblée nationale, Eric Dupont Moretti a insisté sur le fait qu’elle était «inconnue des services de police». Manière de dire qu’elle ne représentait pas de «menace pour l’ordre public», justifiant ainsi que le délai de trente jours lui soit laissé.

L’OQTF sans délai peut s’accompagner d’une assignation à résidence ou d’un placement en centre de rétention administratif. Cette seconde mesure (abordée à l’article L741-1) intervient lorsque l’étranger «ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision». En bref, quand il n’est pas garanti que l’administration puisse renvoyer l’étranger dans son pays, dans le cas où il ne partirait pas de lui-même. Un placement peut donc, en outre, être mis en œuvre à l’expiration du délai de départ volontaire, lorsque ce délai a été accordé dans le cadre de l’OQTF. Concernant Dahbia B., le fait qu’elle soit SDF (donc sans adresse où les autorités peuvent l’interpeller) aurait donc pu conduire, en plus d’une OQTF sans délai, à son placement en rétention, indique Me Journeau.

Recours contre la décision

L’étranger doit être informé de l’OQTF dont il fait l’objet, par une notification écrite, qui précise les motifs justifiant une telle décision, les conditions de son exécution, ainsi que les voies et délais de recours contre la décision dont il peut se prévaloir. Une information décisive dans la mesure où «une décision administrative ne peut être contestée que si elle a été notifiée», pointe Elodie Journeau, qui nuance : «en pratique, si on prouve que la personne a eu connaissance de l’OQTF, la question de la notification ne se pose pas». Ce débat a pourtant été relancé par CNews, qui affirme, sans que l’on soit en mesure de la confirmer, que l’OQTF visant Dahbia B. «ne lui avait pas été notifiée lors du contrôle de son identité» et qu’elle «n’avait donc aucune valeur juridique et administrative».

Le délai dans lequel l’étranger peut intenter un recours contre son OQTF, et celui laissé au tribunal administratif pour statuer après avoir été saisi, sont prévus par les articles L614-4, L614-5 et L614-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ils varient suivant le motif de la décision, et en fonction du délai laissé à l’intéressé pour quitter le territoire. Ainsi, selon les cas, le recours doit intervenir dans les quarante-huit heures, quinze ou trente jours qui suivent la notification de la mesure. Ensuite, à compter de leur saisine, les magistrats disposent de six semaines à trois mois pour se prononcer. Ces délais, comme les procédures applicables, varient sensiblement dans les cas où l’étranger se trouve placé en rétention, assigné à résidence ou en détention.

Pression de l’extrême droite

Quoi qu’il en soit, le temps de la procédure, les effets de l’OQTF, «à savoir le fait d’être expulsable», sont suspendus, rappelle l’avocate jointe par CheckNews. Et, dispose l’article L614-16, dès lors que le juge administratif décide d’annuler l’OQTF, l’étranger doit être «muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas».

Sans surprise, l’affaire Lola a également fait ressurgir le débat sur le faible taux d’exécution des OQTF. Sous pression de l’extrême droite, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a concédé mercredi que «nous devons faire mieux». Il y a cinq ans presque jour pour jour, ce débat récurrent avait eu lieu, après l’attentat terroriste ayant coûté la vie à deux jeunes femmes à Marseille, tuées par un Tunisien en situation irrégulière. CheckNews avait expliqué pourquoi ce taux était si bas. Parmi les principales raisons figuraient le manque de moyens, les annulations d’OQTF par les juges (suite à des procédures bâclées), ou encore les absences de délivrance de laisser-passer consulaire par le pays tiers dont est issue la personne concernée. Un article en préparation reviendra sur cette problématique du (faible) taux d’exécution, en dépit des (multiples) promesses des responsables politiques.