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Meurtre de Lola : pourquoi certains médias ont-ils donné les prénoms des «suspects» et d’autres pas ?

Meurtre de Lola à Parisdossier
Les médias français ont des pratiques variables sur cette question, mise en exergue par la mort de la jeune fille de 12 ans sur fond de récupération raciste du drame.
Des adolescents se recueillent, lundi, à l'endroit où le corps de Lola a été retrouvé, à Paris. (Geoffroy Van der Hassel/AFP)
publié le 19 octobre 2022 à 10h48

Quelles sont les règles encadrant la révélation des identités, complètes ou partielles, des suspects et personnes entendues dans une affaire criminelle ? C’est la question que pose le meurtre de Lola, sur fond d’exploitation raciste du drame par l’extrême droite. Le corps de la jeune fille de 12 ans a été découvert dans une malle dans le XIXe arrondissement de Paris, le 15 octobre 2022. D’après un communiqué du parquet de Paris, une information judiciaire, confiée à trois magistrats instructeurs, était ouverte ce lundi des chefs de meurtre sur mineur de 15 ans accompagné de viol sur mineur avec torture ou actes de barbarie et recel de cadavre.

Accusations contre la presse

Deux jours après ce meurtre violent, sur Twitter, le hashtag «#4Algériens» figurait parmi les plus partagés. Une réaction à la publication par le Parisien de l’origine algérienne, ainsi que des prénoms, de quatre des six personnes gardées à vue. Si le rôle des suspects n’était alors pas du tout défini (deux sont à ce jour mis en examen, les deux autres ayant été libérés sans poursuite à ce stade), l’extrême droite a immédiatement bondi sur l’occasion pour dénoncer les «conséquences de l’immigration».

Dans le même temps, l’extrême droite et le milieu identitaire français ont multiplié les accusations contre une partie de la presse, vilipendée parce qu’elle aurait tu les noms. Libération a ainsi été accusé à maintes reprises de censure. Parmi eux, le rédacteur en chef de Valeur Actuelles, Raphaël Stainville, sur Twitter : «Puisque Libé s’obstine à taire l’identité des quatre suspects algériens dans l’affaire du meurtre de Lola, les voici», et d’ajouter les quatre prénoms publiés par le Parisien en brandissant une capture écran d’un article de Libération où aucun ne figure.

En réalité, si on ne voit pas de prénom dans l’article de Libération incriminé, c’est simplement parce que l’information n’était pas accessible au moment de sa rédaction. L’article est la version publiée dans le journal papier d’un article mis en ligne dimanche 16 octobre 2022 à 17 h 41. A cette heure, le prénom de la principale suspecte, Dahbia B., n’était pas encore connu, contrairement à ce que prétendent certains comme Raphaël Stainville. C’est le Parisien qui publie en premier les quatre prénoms des principaux suspects interrogés par les policiers, le même jour, mais deux heures plus tard à 20 h 15.

Et Libération a bien publié le prénom de la principale mise en cause dans un papier mis en ligne le lendemain matin quand cette dernière a été mise en examen. Article dans lequel a été ajouté depuis le prénom de Rachid N., 43 ans, également mis en examen depuis lundi soir pour recel de cadavre.

La publication de ces prénoms, «c’est un arbitrage en fonction des communications officielles, des informations dont on dispose et du contexte», explique Sylvain Mouillard, chef du service société de Libération. La règle générale, sujette à exception, qu’applique la rédaction du journal, est de publier les prénoms (avec l’initiale du nom de famille) uniquement après une mise en examen, qui implique des indices graves ou concordants sur son implication, et pas seulement d’une garde à vue.

«Souci de clarté»

Pour autant, il n’y a pas de consensus dans le paysage médiatique français et les politiques éditoriales en la matière diffèrent d’une rédaction à une autre. Dans l’affaire du meurtre de Lola, on peut ranger en trois catégories les pratiques des médias ces derniers jours : ceux qui ont donné les 4 prénoms à l’instar du Parisien, ceux qui n’ont donné aucun prénom et ceux qui ont donné les prénoms et initiales du nom de famille des principaux suspects (souvent sur la base d’une mise en examen).

On ne compte qu’une poignée de médias à avoir publié les 4 prénoms : le Parisien, les premiers à sortir l’information, suivi de 20 minutes et de la radio RTL. Jérémie Pham-Lê, un des journalistes auteurs de l’article du Parisien, explique : «En fait, c’est le traitement habituel pour les suspects majeurs dans tous types d’affaires criminelles que l’on traite, c’est une règle de notre service police-justice. C’est mieux de le faire au moment de la mise en examen, mais ça peut arriver qu’on le fasse au moment de la garde à vue [comme ici]. Par souci de clarté, quand il y a une pluralité de protagonistes, ici avec 6 gardés à vue, on donne les prénoms avec les initiales des noms de famille pour [que le lecteur puisse] comprendre les rôles de chacun. [Les prénoms], ça reste un élément factuel, on n’a pas de raison objective de les taire. Mais on reste prudent parce qu’une garde à vue ne veut pas dire culpabilité. Donc on ne met jamais les noms de famille, ça serait trop précis, sauf s’il s’agit d’une personnalité publique.»

Thibaut Chevillard, journaliste auteur de l’article de 20 minutes, abonde : «Quand j’écris, j’essaye d’être super factuel. Plus le sujet sera important médiatiquement, plus je vais donner d’informations. Pour un simple fait divers, je ne donne pas ce type d’informations. Là c’est une affaire où les gens veulent savoir ce qu’il s’est passé, qui est impliqué, qui ne l’est pas. Dans cette affaire-là on a considéré la garde à vue suffisante [pour donner les prénoms], tout en ajoutant que certaines personnes ne sont pas mises en cause, on l’a précisé dans l’article. Les gens qui les auraient reconnus le savent en lisant le papier. C’est des sujets qui sont sensibles et on se pose toujours des questions sur le degré d’infos qu’on doit donner. On a essayé de faire des règles [dans notre service] et, en fait, on s’aperçoit qu’on doit les adapter en fonction des cas.»

Les deux journalistes expliquent tous les deux ne pas être responsable des récupérations politiques, nombreuses et récurrentes dans ce genre d’affaires.

Revirement de l’AFP

De son côté, la rédaction de RTL, qui avait également publié les quatre prénoms, les a depuis supprimés de son article, bien que ces derniers soient encore visibles dans le cache de Google. Sollicitée par CheckNews sur les raisons de cette suppression, la rédaction de la radio est restée muette : «Nous ne souhaitons donner suite à votre sollicitation.»

Une plus grande partie des médias ont décidé de ne citer que les principaux suspects. C’est donc le cas de Libération. Le Monde, BFMTV ou encore France Info mentionnent le prénom et l’initiale de la principale suspecte, Dahbia B., après sa mise en examen. D’autres, comme le Figaro, France 3, France Bleu ou la radio France Info se sont contentés de la décrire comme «une jeune femme de 24 ans», même après sa mise en examen. TF1, qui avait publié avant la mise en examen le prénom de la jeune femme, l’a supprimé dans une mise à jour. Le prénom ne figurait pas dans les articles postérieurs à la mise en examen.

A noter que certains médias (c’est le cas du Figaro qui a publié ce mardi soir le nom de la suspecte) ont modifié leur pratique mardi soir, après un revirement de l’Agence France Presse (AFP). Cette dernière, reprise par de nombreux médias français, avait d’abord choisi de ne faire figurer aucun prénom dans les différentes dépêches qu’elle a diffusées depuis le début de l’affaire, y compris après les deux mises en examen. Ce mardi après-midi, l’AFP a finalement choisi de mettre dans ses dépêches le prénom de Dahbia B. Sollicitée par CheckNews, l’agence explique : «La règle générale à l’AFP consiste à ne donner le nom d’une personne mise en cause qu’à partir de la mise en examen, lorsque le crime reproché est particulièrement grave ou suscite un fort impact dans l’opinion. Cette règle peut connaître des exceptions, parmi lesquelles : risque de nuire à l’enquête et secret expressément requis par la police ou la justice – ce qui n’était pas le cas en l’espèce – ou risques encourus par des proches de la personne mise en examen et a priori non impliqués. Nous privilégions par principe une approche prudente, dans l’esprit de la présomption d’innocence. Mais chaque affaire a ensuite sa propre spécificité, et l’AFP a en l’occurrence finalement donné le prénom et la première lettre du patronyme de la personne mise en examen, à la suite de plusieurs autres médias.»

Risque de conclusions hâtives

Ces règles de prudence visent à éviter que l’opinion, ou les commentateurs, ne tirent des conclusions hâtives à des stades précoces de la procédure. Dans l’affaire Lola, de nombreux commentateurs, se basant sur les quatre prénoms ayant circulé ou les mentions de l’origine des mis en cause, se sont beaucoup avancés à propos de leur responsabilité. Alors que la nature ou la réalité de leur implication n’était pas encore déterminée.

Ainsi, la vice-présidente de l’Assemblée nationale, Hélène Laporte (Rassemblement national), tweetait, mardi : «4 jours après la découverte du corps sans vie de la petite Lola, torturée, violée et assassinée par 4 sans papiers algériens, toujours aucune réaction officielle d’Emmanuel Macron.» La veille, on avait pourtant appris que seuls deux des mis en cause avaient été mis en examen (dont l’un pour recel de cadavre), les autres ayant été libérés sans poursuite à ce stade. Même confusion dans un tweet d’Anne-Cécile Mailfert, fondatrice de la Fondation des femmes. Dénonçant la récupération raciste du drame, la militante féministe écrivait : «4 personnes algériennes tuent une fille = > les fachos veulent virer TOUS les immigrés. Bizarrement ils proposent pas la même solution quand 120 hommes tuent leur conjointe par an : tout à coup on sait faire la différence not all men (marche aussi avec les chasseurs).»