Alors que les frappes israéliennes continuent sur la bande de Gaza, plusieurs internautes affichant leur soutien à l’Etat hébreu accusent les Palestiniens de mettre en scène leurs souffrances. Dernier exemple en date, cette vidéo relayée par Hananya Naftali, ancien membre de l’équipe de communication du Premier ministre Nétanyahou, désormais influenceur suivi par plus de 1,3 million d’abonnés sur Facebook et plus de 385 000 sur Twitter (rebaptisé X).

On y voit deux vidéos côte à côte. A gauche, celle présentée comme filmée «aujourd’hui» montre un homme en tee-shirt noir parlant arabe, qui marche dans des décombres, et l’autre à droit filmée «hier», où un homme à l’apparence similaire se trouve la jambe droite amputée dans un lit d’hôpital entouré par ses proches.

«Un blogueur palestinien a été “miraculeusement” guéri en un jour d’un “bombardement israélien”. Hier, il était “hospitalisé”, aujourd’hui, il marche comme si de rien n’était. Je ne regarde pas Netflix parce que la propagande de Pallywood est la vraie comédie», ironise l’ancien conseiller de Nétanyahou. L’expression Pallywood, contraction de Palestine et Hollywood, est utilisée par certains pour dénoncer des contenus qu’ils estiment trop victimaires de la part des Palestiniens.

Problème : l’affirmation selon laquelle ces images montreraient le même homme est fausse. En effectuant des recherches d’images inversées, on peut reconnaître que l’homme de la vidéo de gauche est en fait le youtubeur et chanteur palestinien Saleh Aljafarawi, qui marche dans les décombres. Très actif sur les réseaux sociaux, il poste de nombreuses vidéos de la bande de Gaza détruite par les frappes palestiniennes. Aucune des images postées sur ses comptes Instagram depuis le début du conflit ne le montre allongé dans un hôpital.

La vidéo de droite, comme l’ont d’abord révélé nos confrères fact-checkers indiens de Alt News, a de son côté été publiée sur TikTok le 18 août. Le jeune homme amputé apparaît dans un hôpital israélien (identifiable aux drapeaux sur l’établissement de santé ou au numéro 2356 sur des ambulances privées) sur plusieurs vidéos partagées au mois d’août par ses proches. Une vidéo sur TikTok du 11 août le désigne comme étant un Palestinien originaire du camp de Nour Shams, situé en Cisjordanie, à environ 100 kilomètres de Gaza. Une publication sur TikTok du 2 octobre, le présente comme se nommant «Mohammad Zendeq». Et d’autres font référence à une publication d’un média palestinien sur Facebook du 24 juillet dans laquelle on peut lire que «la famille Zandiq enterre la jambe de leur fils blessé. Mohamed Zandiq lors de sa blessure ce matin. Il est maintenant aux soins intensifs dans l’intérieur occupé, priez pour son prompt rétablissement».

Un article du site pro-palestinien anglophone Palsolidarity, publié le 25 août, le montrant allongé sur son lit d’hôpital aux côtés de sa mère, le présente comme étant Mohammed Zendiq (transcription assez proche du nom trouvé sur TikTok), un adolescent de 16 ans, qui a perdu sa jambe le 24 juillet, «lors de l’invasion du camp de réfugiés de Nour Shams, près de Tulkarem, par les forces d’occupation israéliennes». Selon Palsolidarity, le jeune homme, détenteur d’une carte d’identité israélienne rendait visite à son père dans le camp de Nour Shams et se trouvait dans la rue quand il a senti une explosion. L’adolescent a ensuite «été transporté d’urgence dans un hôpital israélien où sa jambe droite a été amputée juste au-dessus du genou. Il a été soigné à l’hôpital pendant un mois et a été libéré le lundi 21 août». Il est donc établi que ces deux personnes ne sont pas les mêmes.

Certaines publications sur les réseaux sociaux ont accusé le youtubeur Saleh Aljafarawi d’autres mises en scène. Une publication largement reprise affiche ainsi sept photographies, supposément prises chaque jour du 6 au 12 octobre, où il apparaît en tenue militaire et armé (le 6/10), marchant dans la rue en tee-shirt vert (7/10), en pleurs (8/10), sur un lit d’hôpital (9/10), en tee-shirt vert parmi les décombres (10/10), dans un linceul en train de consulter son téléphone (11/10) et enfin tenant un bébé blessé dans ses bras (12/10).

Parmi ces cinq images, deux ne sont pas issues des publications de Saleh Aljafarawi. Il s’agit de celle à l’hôpital déjà évoquée, mais aussi celle du corps dans un linceul qui consulte son smartphone. Une recherche d’image inversée permet de constater que cette photo avait déjà été partagée sur Twitter le 14 juin, soit bien avant l’attaque du Hamas contre Israël.

A noter enfin que Saleh Aljafarawi est dans le viseur de la diplomatie israélienne. Dans un tweet publié jeudi 26 septembre par le compte officiel d’Israël (géré par le ministère des Affaires étrangères), l’Etat hébreu l’accusait également (à tort) d’être un «acteur» : «Alerte aux fausses nouvelles. Le diable travaille dur, mais l’industrie cinématographique de Gaza travaille encore plus dur. Voici Saleh, partisan du terrorisme, chanteur et “acteur”. Vous avez peut-être vu Saleh souvent ces derniers temps parce qu’il a miraculeusement été présent PARTOUT.» La publication (supprimée par le compte officiel d’Israël mais toujours disponible sur le compte de l’ambassade d’Israël en Allemagne) était accompagnée d’une vidéo tirée du compte Instagram du vidéaste palestinien, dans laquelle il célébrait les tirs de roquettes contre Israël. Le 7 octobre, Saleh Aljafarwai a effectivement publié plusieurs vidéos se félicitant de l’attaque du Hamas, qui marquaient pour lui le début de «la bataille pour la libération».