Lors d’une interview dans la matinale de France Inter samedi 12 août, Prisca Thévenot, secrétaire d’Etat en charge de la Jeunesse et du SNU, a affirmé que la suspension de la dissolution des Soulèvements de la terre par le Conseil d’Etat était «bien évidemment une suspension de forme, mais pas un rejet sur le fond». Comme l’ont fait remarquer nombre de juristes, de façons plus ou moins courroucées, cette affirmation est fausse.
La citation complète de la secrétaire d’Etat, interrogée sur la décision de la plus haute juridiction administrative de France suspendant le décret du gouvernement, est la suivante : «Dans le respect de nos institutions, on doit être en capacité d’entendre cette décision, mais également de la comprendre. Parce que depuis [vendredi] soir, je lis beaucoup de choses, beaucoup de choses très rapides sur cette décision. Il s’agit bien évidemment d’une suspension de forme, mais pas d’un rejet sur le fond. Et donc ça, je pense que c’est important de pouvoir remettre des cadres sur cette décision.»
La décision en question est un référé-suspension. Dans son décret du 21 juin, le gouvernement accusait le collectif écologiste d’inciter «à la commission de sabotages et dégradations matérielles, y compris par la violence», dénonçant des actions qui auraient entraîné des «destructions matérielles» et «des agressions physiques contre les forces de l’ordre».
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Plusieurs associations, partis politiques et particuliers ont attaqué ce décret et demandé de suspendre en référé cette dissolution. La décision de suspension rendue vendredi 11 août est justement ce référé, soit une «procédure d’urgence qui permet au juge de prendre des mesures provisoires. Le référé ne permet pas de régler définitivement le litige. Le procès qui permet de régler le litige, qu’on appelle procès au fond, peut avoir lieu plus tard», comme l’explique Service-public.fr. Ici, le Conseil d’Etat précise qu’«après cette décision provisoire», la décision définitive sera rendue ultérieurement, «vraisemblablement à l’automne».
Mais contrairement à ce que prétend la secrétaire d’Etat, même si on appelle la décision définitive «procès au fond», le jugement provisoire ne porte pas sur la forme, comme l’explique le professeur de droit public Serge Slama : «La forme concernerait l’incompétence, un vice de procédure, un vice de forme ou encore un défaut de motivation, mais ce n’est pas le cas ici. Le décret est suspendu parce que le ministère de l’Intérieur a fait une mauvaise appréciation des faits. Les juges du Conseil d’Etat estiment qu’il y a bien des éléments qui justifient le trouble à l’ordre public, mais qu’ils ne justifient pas de la gravité du trouble. Ce qui relève bien du défaut de qualification des faits, donc du fond de l’acte.» Une analyse partagée par l’avocat et professeur de droit Arnaud Gossement dans un commentaire détaillé de la décision publié sur son site : «Cette décision n’est pas une “décision de forme” qui n’aurait porté que sur la légalité externe de la décision litigieuse (vice de forme, vice de procédure…).»
Le Conseil d'Etat rappelle que «pour qu’il soit fait droit à la demande de suspension en référé, deux conditions doivent être remplies : que la mesure en cause caractérise une situation d’urgence et qu’il y ait un doute sérieux sur sa légalité. Les juges des référés du Conseil d’Etat estiment que ces deux conditions sont remplies.»
Les faits avancés jugés insuffisants
La décision des juges est plutôt limpide : «En effet, ni les pièces versées au dossier ni les échanges lors de l’audience ne permettent de considérer que le collectif cautionne d’une quelconque façon des agissements violents envers des personnes. Par ailleurs, les actions promues par les Soulèvements de la Terre ayant conduit à des atteintes à des biens, qui se sont inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur d’initiatives de désobéissance civile, dont il revendique le caractère symbolique, ont été en nombre limité. Eu égard au caractère circonscrit, à la nature et à l’importance des dommages résultant de ces atteintes, les juges des référés considèrent que la qualification de ces actions comme des agissements troublant gravement l’ordre public au sens du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure soulève un doute sérieux».
Concrètement, le Conseil d’Etat considère que les faits avancés par le ministère de l’Intérieur sont insuffisants pour caractériser un «trouble grave à l’ordre public», soit le fond du décret, et émet un «doute sérieux» quant à la légalité de cette dissolution, d’où la suspension en urgence par référé de la dissolution des Soulèvements de la terre en attendant un jugement définitif sur ce décret. Le ministère de l’Intérieur s’est contenté de quatre lignes de communiqué prenant acte de la décision du Conseil d’Etat et soulignant, lui aussi, que la future décision «au fond» sur cette dissolution pourrait être d’une autre teneur.