Question posée sur Twitter le 31 août 2022.
Bonjour,
Vous nous sollicitez au sujet d’une vidéo extraite de l’interview de Thomas Pesquet diffusée dimanche 28 août au «20 Heures» de France 2. Dans ce montage, qui s’approche des 700 000 vues (au moment où nous écrivons cet article), on entend l’astronaute le plus célèbre de France dire : «Quand je regarde la Lune le soir, ça me fait quand même un petit frisson. Parce que ce n’est pas la même chose de se dire «ah mais attends, est-ce que c’est humainement possible d’aller là-bas ?»». Puis quelques secondes plus tard : «on va vraiment aller très loin, très loin, très loin, aussi loin qu’aucun être humain ne s’est jamais éloigné de la Terre». Une phrase que l’internaute derrière la vidéo lui fait répéter au total trois fois, dont une au ralenti.
À écouter jusqu'à la fin et oups il dit quoi l'astronaute...🤔 pic.twitter.com/kOp9ei3ELS
— "V" (@V52604779) August 30, 2022
L’objectif de ce montage est très clair : faire croire que Thomas Pesquet lui-même a avoué qu’aucun homme n’est jamais allé sur la Lune.
La publication a notamment fait réagir plusieurs figures de la sphère dite covido-sceptique : «Je suis consterné, moi aussi j’ai voulu y croire mais la vidéo de Thomas Pesquet qui se demande en parlant de la Lune «est-ce que c’est humainement possible d’aller là-bas ?» n’était PAS un fake, il a bien dit ça au JT», a ainsi écrit l’«hyperdocteur» Idriss Aberkane sur Twitter. «J’ai pas compris ! Enfin si j’ai compris ce qu’il a dit mais ça veut dire quoi ?», s’est pour sa part interrogé l’avocat Fabrice Di Vizio. Le journaliste Alexis Poulin, lui, s’est simplement contenté de lâcher : «ouch».
«Le grand retour de l’Homme sur la Lune»
La vidéo virale, d’une durée d’environ 1 minute 30, reprend plusieurs petits bouts d’une interview qui a en tout duré plus de 5 minutes. Enregistré à l’avance, il s’agissait d’un échange entre le présentateur du «20 heures» Thomas Sotto et l’astronaute français, présent sur la base spatiale américaine de Cap Canaveral, en Floride. Et ce dans le contexte de la mission spatiale Artemis I, dont le décollage devait avoir lieu lundi, avant d’être finalement reporté à samedi pour cause de problèmes techniques. Une première étape vers un prochain alunissage espéré, et une mission pour laquelle la Nasa collabore avec l’Agence spatiale européenne – d’où la présence de Thomas Pesquet.
«Artemis III, dans trois ans, peut-être quatre ans, ce sera le grand retour de l’homme, et de la femme, sur la Lune [la Nasa prévoit d’envoyer «la première femme» et «la première personne de couleur» sur notre satellite, ndlr]», commence d’ailleurs par dire le célèbre astronaute, dans une partie de l’interview que le montage ne montre pas.
Thomas Sotto relance à plusieurs reprises Thomas Pesquet en lui demandant s’il espère faire partie de l’aventure, lui qui a déjà effectué deux missions à bord de la Station spatiale internationale. C’est alors que l’astronaute détaille : «La Lune, il faut voir qu’il y a un facteur 1 000. C’est 1 000 fois plus loin que la Station spatiale, qui est à 400 kilomètres au-dessus de nos têtes. C’est vraiment encore une autre dimension dans le voyage spatial.» A la question de savoir si les près de 400 000 km de distance séparant la Terre et la Lune l’effraient, il répond : «C’est en avançant petit à petit qu’on va arriver à atteindre ces buts qui ont des ordres de grandeur très différents. Mais c’est vrai que maintenant, quand je regarde la Lune le soir, ça me fait quand même un petit frisson. Parce que ce n’est pas la même chose de se dire «ah mais attends, est-ce que c’est humainement possible d’aller là-bas ?»». Mais il exprime ainsi un ressenti, une réaction spontanée, non un doute quant à la capacité de l’homme à poser le pied sur la Lune.
Enfin, Thomas Pesquet revient sur le caractère hors-norme de la mission Artemis. «La fusée qui est là, c’est la fusée la plus puissante du monde. Elle fait presque le double en hauteur de ma première fusée […] C’est vraiment des températures pendant la rentrée atmosphérique, des vitesses… Tout est en fait multiplié : le danger, l’intensité, et là on va vraiment aller très loin, très loin, très loin, aussi loin qu’aucun être humain ne s’est jamais éloigné de la Terre», rapporte-t-il. C’est également ce qu’indique la Nasa sur son site : «le vaisseau spatial sera lancé par la fusée la plus puissante du monde et volera plus loin qu’aucun vaisseau spatial construit pour l’homme n’a jamais volé».
En effet, le vaisseau se placera d’abord en orbite autour de la Lune, ce qui l’amènera à jusqu’à 40 000 miles environ, soit un peu plus de 64 000 kilomètres (et non 70 000 comme précisé dans l’article de la Nasa), au-delà de notre satellite. Pour mieux comprendre, la trajectoire suivie est détaillée dans cette infographie de l’Agence spatiale canadienne. Lors de la mission lunaire Apollo 11, aboutissement du programme conduit dans les années 1960 par les Américains, le vaisseau s’était bien moins éloigné, n’allant pas au-delà des 300 miles, donc 483 kilomètres, de distance avec le sol lunaire.
«Ça va encore faire parler les moonhoaxers»
Fabrice Di Vizio, joint par CheckNews à propos de son tweet, déplore que «l’interview ne permettait pas de restituer» ces éléments. «C’est toujours le problème des extraits, et c’est toujours le problème des interviews de toute façon : il manque une partie des données», renchérit-il. Son tweet était donc à analyser, selon lui, comme «une vraie question». «Depuis, en regardant l’extrait intégral et en creusant un peu, j’ai compris que c’est une mission d’une particulière complexité», avance Fabrice Di Vizio.
Di Vizio, connu pour défendre le professeur marseillais Didier Raoult, être le référent santé du parti Les Patriotes de Florian Philippot, et un fervent opposant au pass sanitaire, assure ne pas remettre en question la véracité de la mission Apollo 11 : «mon complotisme ne va pas jusque-là». L’avocat se dit «surpris» de constater que certaines personnes prennent la vidéo au pied de la lettre.
Alexis Poulin, journaliste intervenant notamment en tant que chroniqueur politique sur Sud Radio, a lui aussi retweeté la vidéo. Mais, explique-t-il auprès de CheckNews, c’était pour déplorer, selon lui, cette nouvelle pièce insérée dans la machine du «moon hoax» (terme désignant les théories du complot autour du programme Apollo). Le «ouch» publié sur Twitter signifiait «ouch, ça va encore faire parler les moonhoaxers».
L’internaute ayant réalisé et diffusé le montage vidéo, en tout cas, semble parfaitement adhérer à cette théorie du «moon hoax» puisqu’il lui arrive de partager d’autres contenus dans le même esprit. Dernier exemple en date : une interview de l’astronaute américain Buzz Aldrin (membre d’Apollo 11 aux côtés de Neil Armstrong), dans laquelle il révélerait que l’homme n’a jamais mis les pieds sur la Lune. Sauf que le contenu initial a été tronqué et mal traduit, pour lui faire dire l’exact contraire de ses réponses.
Face à la viralité de la vidéo tirée de son intervention au micro de France 2, Thomas Pesquet s’est trouvé obligé de réagir, et a fait part ce mardi de sa lassitude dans un long thread Twitter. «Mais pourquoi doit-on perdre un temps précieux avec ça une fois de plus : bien sûr que oui, l’humain est allé sur la lune pendant les missions Apollo. Et on va y retourner.»