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Nouvelle vague de chaleur : les climatiseurs contribuent-ils à réchauffer les villes ?

La climatisation ne représente qu’une petite partie des rejets responsables de la formation d’îlots de chaleur urbains. Mais en cas de canicule, un recours massif à la clim pourrait faire grimper les températures de 2 à 3 °C.

A Pékin, en Chine, en février 2024. (Jean-François Fort/Hans Lucas)
ParElsa de La Roche Saint-André
Journaliste - CheckNews
Publié le 09/08/2025 à 16h20

Avec les fortes chaleurs qui s’abattent de nouveau sur la France depuis vendredi, et qui devraient se poursuivre pendant plusieurs jours, les climatiseurs tournent à plein régime. Or, ces appareils sont aussi appréciés que contestés. Au-delà des émissions de gaz à effet de serre qu’elle génère, la climatisation est accusée par les écologistes de contribuer au phénomène des îlots de chaleur urbains, en évacuant la chaleur de l’intérieur des logements vers l’extérieur. Une critique balayée par les partisans de la clim, issus le plus souvent des sphères climatosceptiques.

Au mois d’avril, la publication par le Parisien d’un article intitulé «A Paris, la climatisation pullule et met la ville en surchauffe» avait relancé le débat. Sur le réseau social X, la journaliste du Point Géraldine Woessner s’était alors fendue de ce commentaire : «C’est évidemment faux. Même à Paris, la climatisation n’est pas responsable des phénomènes d’îlots de chaleur.» Et de renvoyer vers un de ses propres articles, publié en 2023, dans lequel on lit pourtant : «La climatisation constitue bel et bien un défi majeur pour le réchauffement climatique […] En rejetant l’air chaud dans les rues, la climatisation tend à réchauffer les villes denses à hauteur de 0,5 à 2 degrés Celsius.» La journaliste attribuait toutefois la plus grande part de responsabilité dans le phénomène des îlots de chaleur urbains à la concentration des bâtiments, et à l’imperméabilisation des surfaces.

«Diffusion massive et rapide»

Qu’en est-il réellement ? Avant même les rejets de chaleur d’origine humaine, le soleil constitue évidemment la principale source de chaleur dans les villes. «Durant la journée, le soleil chauffe les surfaces imperméables et celles des bâtiments. La nuit, cette chaleur est ensuite restituée à l’atmosphère. Ce qui empêche l’air de se refroidir aussi rapidement qu’au-dessus de la végétation, et crée l’îlot de chaleur urbain», schématise Valéry Masson auprès de CheckNews. Selon ce chercheur en climatologie urbaine au Centre national de recherches météorologiques, il est donc juste de dire que «la climatisation joue un rôle secondaire dans la formation des îlots de chaleur en ville».

Une étude à laquelle Valéry Masson a contribué, publiée en 2013 dans la revue International Journal of Climatology, et portant sur le parc de climatiseurs existant en 2010 à Paris, va dans le sens d’une faible contribution de la climatisation. Elle montrait que «lors d’une canicule, la climatisation augmentait l’îlot de chaleur de 0,5 °C» dans la capitale, «alors que l’îlot de chaleur total était de l’ordre de 8 °C». La clim ne participait donc qu’à hauteur de 6 % à la formation de l’îlot de chaleur. Mais l’étude ne se concentrait pas uniquement sur l’année 2010. Elle envisageait différents scénarios, dont celui d’une «expansion des climatiseurs» d’ici à 2030. Dans ce contexte, des simulations indiquent que «la surchauffe nocturne due à la climatisation atteindrait 2 °C dans certains arrondissements de la capitale», note Valéry Masson.

Or, il semblerait justement que Paris se soit dotée d’un nombre croissant de climatiseurs ces dernières années. C’était en tout cas le constat fait par l’article du Parisien mentionné plus haut. Il reprenait les premières conclusions de l’étude menée par une association, l’Atelier parisien d’urbanisme, dont les observations allaient dans le sens d’une «diffusion massive et rapide» de la climatisation dans la capitale.

Sortir d’«un cercle vicieux»

D’autres études plus récentes sur les effets de la climatisation à Paris tirent des conclusions plus alarmantes. Sollicitée par CheckNews, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) renvoie notamment aux travaux conduits par plusieurs chercheurs du Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired), parus en 2020 dans la revue Environmental Research Letters. Selon cette étude, en cas de vague de chaleur, «le recours massif à la climatisation accentuerait les phénomènes d’îlots de chaleur urbains», pouvant «faire grimper les températures extérieures d’environ 2 à 3 °C», résume l’Ademe.

Les chercheurs sont parvenus à ce résultat en modélisant «une Ile-de-France frappée par une canicule semblable à celle de 2003 et d’une durée de neuf jours», et en considérant «qu’une majorité de foyers parisiens aura fait le choix de la climatisation». Mais «si la vague de chaleur s’avérait plus insupportable encore que celle de 2003, l’augmentation pourrait être de 3,6 °C», souligne l’Ademe.

Economiste spécialiste des impacts du dérèglement climatique au Cired, Vincent Viguié admet que «les rejets de chaleur d’origine humaine» restent «faibles comparés à d’autres causes du réchauffement des villes par rapport à leur milieu environnant». Mais «ils ne sont pas pour autant négligeables», estime le chercheur. D’autant qu’aucun des autres phénomènes qui entrent en jeu dans la formation des îlots de chaleur urbains «ne représente, à lui tout seul, la majorité du réchauffement». Reste que les rejets issus de la climatisation ont la particularité d’être «très hétérogènes» : «Ils vont réchauffer fortement certains endroits – là où des rejets d’air chaud n’arrivent pas à s’évacuer du fait de la géométrie de la rue – et vont jouer un rôle négligeable ailleurs». Les climatiseurs présentent en revanche un avantage : «Il est possible d’agir facilement sur ces rejets de chaleur, alors qu’il est très difficile d’agir sur les bâtiments et les surfaces.» Réduire les usages de la climatisation est ainsi bien plus aisé que de mener des travaux d’aménagement urbain.

Pour Louis-Gaëtan Giraudet, autre chercheur au Cired, il s’agirait de sortir d’«un cercle vicieux» : «L’îlot de chaleur urbain accroît les besoins de climatisation et, en retour, l’utilisation de la climatisation crée des canyons de chaleur.» A ce stade, explique-t-il, «il est probable que ce phénomène soit encore relativement modéré à Paris, le taux d’adoption de la climatisation étant relativement faible». Mais les îlots de chaleur pourraient se renforcer «sous l’effet conjoint du réchauffement climatique, de l’adoption croissante de la climatisation, et du cercle vicieux qui en découle».