Question posée sur Twitter le 20 octobre 2021
Bonjour,
Ces dernières semaines, Jean-Luc Mélenchon a évoqué à plusieurs reprises le coût du «grand carénage», le plan d’EDF pour prolonger la durée de vie des centrales les plus anciennes et assurer leur sûreté. «Entre maintenant et 2027, la fin du prochain quinquennat, il y a 22 réacteurs qui vont atteindre les 40 ans, qui était la limite de vie, et pour les recaréner il faut que vous décidiez de dépenser 150 milliards d’euros», a-t-il notamment avancé lors de son meeting à Reims, le 17 octobre. En 2017 déjà, le candidat de La France insoumise proposait d’abandonner le grand carénage pour financer la transition énergétique.
Vous nous interrogez sur cette estimation, alors que le montant communiqué par EDF pour cette opération est trois fois moins élevé. Calculé sur la période 2014-2025, il a été estimé en 2015, à 55 milliards d’euros de 2013, avant d’être réévalué deux fois. D’abord à la baisse en 2018, à 45 milliards d’euros 2013, soit 48,2 milliards d’euros courants, puis à la hausse en octobre 2020, à 49,4 milliards d’euros courants.
«Cette nouvelle estimation intègre essentiellement les premiers enseignements sur les travaux à mener, induits par le processus d’instruction du 4e réexamen périodique des réacteurs 900 MW [les réacteurs concernés par le grand carénage, ndlr], dont une étape importante a été franchie avec l’avis générique rendu par l’[Autorité de sûreté nucléaire] le 23 février. Cette estimation sera remise à jour régulièrement pour intégrer notamment les évolutions de périmètre des travaux et de coût des fournitures», explique EDF, contacté par CheckNews. Ainsi, même si le coût est amené à évoluer, difficile d’atteindre les 150 milliards d’euros de Jean-Luc Mélenchon.
Analyse
Contactée, l’équipe du candidat de La France Insoumise détaille son calcul : «D’une part, le rapport annuel de la Cour des comptes (2016) évalue le montant [du grand carénage] à près de 100 milliards d’ici 2030. Cette estimation est déjà assez ancienne et doit sans doute être réactualisée compte tenu du vieillissement des réacteurs et des conséquences réévaluées du changement climatique par les derniers travaux scientifiques. D’autant que les coûts sont proportionnels à la durée de prolongation souhaitée des centrales. Mécaniquement, plus on les prolonge, plus le coût des travaux augmentera. Il faut ajouter à cela le coût des 6 EPR prévus qui font partie du coût global de prolongation du nucléaire. Un document interne d’EDF évalue lui-même ce coût à 46 milliards d’euros. On obtient donc un coût total de 150 milliards d’euros. Et encore, c’est sans inclure le coût du démantèlement intégrant la gestion des déchets à long terme, évalué, lui, à près de 80 milliards d’euros selon EDF.»
En 2016, la Cour des comptes a effectivement publié un rapport sur la maintenance des centrales nucléaires dans lequel elle propose sa propre évaluation du coût du grand carénage qui porte sur une période plus longue que celle évoquée par EDF, puisqu’elle va jusqu’en 2030. «La période choisie par la Cour des comptes correspond mieux au calendrier des visites décennales 4, pour un parc à la durée de vie initialement programmée pour une quarantaine d’années», observe Florence de Bonnafos, chargée de la campagne finances à Greenpeace France. Les visites décennales permettent de réexaminer «en profondeur l’état de l’installation en tenant compte de son vieillissement pour vérifier qu’il est conforme au référentiel de sûreté applicable, mais aussi améliorer son niveau de sûreté pour intégrer le retour d’expérience d’exploitation et les progrès techniques et scientifiques», peut-on lire sur le site de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). D’après le calendrier publié par l’IRSN, plusieurs rapports de conclusions de visites décennales 4 pour des réacteurs de 900 MW sont prévus après 2025.
D’autres investissements à prendre en compte
Par ailleurs, la Cour de comptes a choisi un périmètre plus large pour évaluer le montant du grand carénage, en ajoutant aux investissements les dépenses d’exploitation. «La réalisation du programme de maintenance du parc nucléaire d’EDF pourrait atteindre 100 milliards d’euros de 2013 entre 2014 et 2030, soit 1,7 milliard d’euros de 2013 en moyenne par réacteur. Un quart est des dépenses d’exploitation (25 milliards d’euros de 2013) et les trois autres quarts des dépenses d’investissement (75 milliards d’euros de 2013)», peut-on ainsi lire.
Ces différences de périmètres mises à part, «les deux évaluations sont cohérentes, comme le précise la Cour des comptes dans son rapport», indique EDF. Et d’après Florence de Bonnafos, l’estimation à 100 milliards des magistrats de la Rue Cambon «reste pertinente», même si d’autres investissements seront à prendre en compte dans le futur avec le prolongement envisagé de réacteurs plus récents. Ce que confirme EDF : «Les investissements resteront significatifs sur ce programme au-delà de 2025, notamment en vue de l’extension de la durée de vie du palier 1 300 MW à cinquante ans et, si elle était décidée, de l’allongement de la durée d’exploitation au-delà de cinquante ans», nous indique-t-on.
En revanche, pour Florence de Bonnafos, la construction de six nouveaux EPR (dont le lancement officiel n’a pas encore été annoncé) «n’entre pas dans le grand carénage, mais dans un coût global à venir du nucléaire que les Français devront supporter».