Question posée par Pierre et Camille, le 23 juillet 2022.
En juin, la décision de la Cour Suprême américaine d’abroger l’arrêt Roe v. Wade, qui sanctuarisait depuis 1973 le droit à l’avortement aux Etats-Unis a eu de nombreux échos dans le monde politique français.
Quelques jours après cette décision, la majorité présidentielle déposait une proposition de loi à l’Assemblée nationale afin d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Le texte présenté par Aurore Bergé et les députés Renaissance, le 30 juin, vise à «garantir le droit à l’interruption de grossesse». Pour cela, la majorité entend compléter le titre VIII de la Constitution du 4 octobre 1958, intitulé «de l’autorité judiciaire», avec l’ajout d’un article 66-2, auquel serait inscrit : «Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse.»
Le 6 juillet, les députés de la France Insoumise, déposaient à leur tour, une proposition de loi constitutionnelle visant, en d’autres termes, à «protéger le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse». Le titre de la Constitution visé est le même : «Art. 66‑2. – Nul ne peut entraver le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse. La Nation garantit à toute personne l’accès effectif à ce droit», demandent les députés LFI.
Un troisième texte était également déposé au Sénat, fin juin, par des membres de la coalition de gauche. Celui-ci prévoit de modifier le paragraphe 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, avec l’ajout suivant : «3-1. – La loi garantit l’égal accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse.»
Quelques semaines plus tard, des élus se sont néanmoins étonnés de l’absence de ces trois propositions à l’ordre du jour des institutions. Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale interpellait ainsi la Première ministre, sur Twitter, le 20 juillet : «Où est passé le texte tant promis de constitutionnalisation du droit à l’IVG ?» En effet, les propositions n’apparaissent pas dans le calendrier de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale, du 25 juillet à début août ni à l’ordre du jour de la session extraordinaire du Sénat, du 26 juillet au 6 août.
Soutien aux 17 parlementaires étasuniennes arrêtées pour avoir défendu le droit à l’avortement.
— Mathilde Panot (@MathildePanot) July 20, 2022
Nous ne lâcherons jamais, là-bas comme ici.@Elisabeth_Borne où est passé le texte tant promis de constitutionnalisation du droit à l’#IVG ? https://t.co/IdDIri0IvP
L’ordre du jour de l’Assemblée nationale est établi par la conférence des présidents, composée du Président, des vice-présidents de l’Assemblée, des commissions, mais également de représentants du gouvernement. L’adoption du calendrier est ainsi partagée entre le gouvernement et le Parlement, ce qui explique l’interpellation d’Elisabeth Borne par Mathilde Panot.
Mais la conférence des présidents statue selon des délais définis dans les textes. Depuis la révision du 23 juillet 2008, la Constitution prévoit ainsi un délai minimal de six semaines entre le dépôt d’une proposition de loi et sa discussion en séance. Rien d’anormal donc à ce que le droit à l’avortement n’apparaisse pas dans l’ordre du jour de la session extraordinaire en cours : le délai de six semaines court jusqu’à la mi-août, période d’interruption de la session ordinaire. Il faudra donc nécessairement attendre octobre et la reprise de la session, pour inscrire la proposition de loi constitutionnelle à l’ordre du jour.
Autre recours possible
Le gouvernement disposait néanmoins d’un recours pour accélérer le processus législatif : déposer lui-même un projet de loi (et non une proposition de loi comme celle engagée par la majorité). Cette procédure permet, en effet, de supprimer le délai entre le dépôt et l’examen d’un texte. La sénatrice socialiste, Laurence Rossignol avait d’ailleurs formulé cette demande, le 13 juillet : «La procédure la plus efficace (pour réformer la Constitution), est celle du projet de loi. Ainsi, Madame la Première ministre, ma question est très simple : pensez-vous inscrire à l’ordre du jour un projet de loi pour définitivement garantir dans la Constitution le droit à l’avortement et à la contraception ?»
J’ai demandé à la PM @Elisabeth_Borne de prendre l’initiative d’un projet de loi pour constitutionaliser le droit à l’#IVG à la contraception https://t.co/yHAO8hR39b
— Laurence Rossignol (@laurossignol) July 13, 2022
Une demande à laquelle le gouvernement n’a, jusqu’ici, pas répondu favorablement. Au Sénat, le Garde des Sceaux, Eric Dupont Moretti répliquait ainsi à Laurence Rossignol : «le gouvernement soutiendra toutes les initiatives parlementaires sur cette question», sans évoquer l’élaboration d’un projet de loi.
A noter que cette décision joue pourtant un rôle majeur sur le processus de réforme de la Constitution, qui diffère, s’il s’agit d’une proposition ou d’un projet de loi constitutionnelle. En effet, si les deux textes passent dans un premier temps par la traditionnelle navette parlementaire, une proposition de loi constitutionnelle doit, une fois le texte défini par les deux assemblées, être soumise à un référendum pour être adoptée définitivement. A l’inverse, le Président peut écarter le recours au référendum dans le cadre d’un projet de loi constitutionnelle, en le soumettant directement à l’approbation du Congrès (réunion des deux assemblées).
Or, en soixante ans, la Constitution a été modifiée à 24 reprises, peut-on lire sur le site du Conseil constitutionnel. 23 révisions ont été adoptées à l’issue du dépôt d’un projet de loi, par le Parlement réuni en Congrès, contre seulement deux par référendum (en 1962 pour instaurer l’élection du Président de la République au suffrage universel et en 2000 pour réduire la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans).
Pour résumer, en l’absence d’un projet de loi porté par le gouvernement, les différentes propositions ne seront pas examinées avant la session parlementaire d’octobre.
Charte des droits fondamentaux de l’UE
A l’échelle européenne, Emmanuel Macron avait également exprimé son souhait d’intégrer le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en janvier, alors que la France prenait la présidence tournante du Conseil de l’UE. Les eurodéputés se sont exprimés sur ce point le 7 juillet. Le Parlement européen a voté en faveur d’une résolution demandant d’inscrire le droit à l’avortement dans la Charte. «Les députés attendent que le Conseil européen se réunisse pour discuter d’une convention de révision des traités de l’UE», est-il indiqué dans la résolution adoptée avec 324 pour, 155 contre et 38 abstentions. Une proposition était ensuite soumise au Conseil européen pour amender l’article 7 de la Charte, en ajoutant que «toute personne a droit à un avortement sûr et légal».
Là aussi‚ le sujet n’a pas avancé : contacté par CheckNews, le Conseil européen indique qu’à ce stade «aucune discussion n’a été entamée sur ce sujet».