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«Pas plus de 43 ans de cotisation pour les carrières longues» : confusion et intox après le compromis adopté en CMP

Des élus Les Républicains et de la majorité se sont félicités (un peu rapidement) d’avoir obtenu en commission mixte paritaire (CMP) que les carrières longues ne cotisent pas plus de 43 annuités. Or ce n’est pas le cas.
Le député Modem Philippe Vigier a soutenu que les salariés «qui ont démarré avant 21 ans pourr[aie]nt, après 43 années de cotisation, partir à la retraite». (Ludovic Marin /AFP)
publié le 16 mars 2023 à 16h45

Mensonge ou incompréhension ? Sur les plateaux de télévision, mercredi 15 mars, plusieurs parlementaires de droite se félicitaient d’avoir obtenu, dans le texte adopté en commission mixte paritaire (CMP), la garantie que personne ne cotiserait plus de 43 ans dans le cadre des carrières longues. «Il y avait une illisibilité du système, dans [la] version d’origine [du texte], puisqu’on voyait qu’en fonction de l’âge de l’introduction sur le marché du travail, il y en avait qui travaillait 43, d’autres 44. On a corrigé cet écueil», expliquait ainsi Stéphane Le Rudulier, sénateur LR des Bouches-du-Rhône. Même affirmation de Philippe Vigier, député Modem d’Eure-et-Loir, dans la soirée sur BFM TV : «[Les salariés] qui ont démarré avant 21 ans pourront, après 43 années de cotisation, partir à la retraite.» Des affirmations en droite ligne du contenu du communiqué de LR – envoyé par erreur avant même la fin des débats.

Or, ces affirmations sont fausses. Toujours mercredi soir sur son compte Twitter, le journaliste de Public Sénat Louis Mollier-Sabet avait même anticipé le nouveau pataquès, faisant un lien entre le feuilleton des carrières longues et le désastre de la communication autour des 1 200 euros : «Dans les jours qui viennent, vous allez entendre dire que les gens éligibles au dispositif carrières longues ne cotiseront pas plus de 43 annuités, grâce au compromis trouvé par LR en CMP. Comme sur les 1 200 euros minimum, c’est faux.»

Quatre bornes d’âge

Initialement, le député LR Aurélien Pradié avait proposé un amendement permettant à ceux ayant cotisé un trimestre avant leurs 21 ans de cotiser seulement 43 ans pour partir à taux plein, puis le député avait tout simplement demandé de ne plus tenir compte de l’âge légal pour les carrières longues, comme le rappelle France Info. Mais cette mesure avait été écartée par le gouvernement, car trop coûteuse, selon lui (entre 7 et 10 milliards d’euros, selon Olivier Dussopt).

L’amendement adopté en CMP pour les personnes éligibles au dispositif carrières longues est nettement moins ambitieux (et coûteux) que l’objectif défendu par Aurélien Pradié. Il fixe à 43 ans «la condition de durée de cotisation». Mais contrairement à ce que certains parlementaires ont cru, cette formulation n'implique pas qu’il soit impossible d’aller au-delà de cette durée.

Car cela n’annule pas la nécessité de respecter l’âge légal fixé à 58 et 63 ans pour ceux qui commencent leur carrière entre 14 et 20 ans. Pour rappel, le projet de loi prévoit quatre bornes d’âge pour les départs anticipés en carrière longue : 16, 18, 20 et 21 ans. Nombre de salariés devront donc attendre ces bornes d’âge, même s’ils ont déjà cotisé 43 ans.

«Prenons l’exemple d’une personne qui a commencé à travailler à 20 ans. Pour bénéficier du dispositif “carrières longues”, elle doit remplir trois critères : avoir cotisé 4 ou 5 trimestres avant le 31 décembre de l’année de ses 20 ans ; travailler jusqu’à 62 ans ; avoir cotisé 172 trimestres. Le texte qui nous est proposé dit seulement que le gouvernement ne pourra pas porter ce nombre de trimestres à 176 ou 180 : cela ne change rien à la seconde condition, qui est de travailler jusqu’à 62 ans», a ainsi illustré le député Arthur Delaporte lors des débats. Selon le socialiste, «les règles de cotisation des trimestres la première et la dernière année sont telles que la durée de cotisation, pour de nombreuses personnes, dépassera 43 ans et pourra aller jusqu’à 44 ans et 3 trimestres, dans le pire des cas». `

Des alternants et des apprentis qui cotisent moins vite

D’après Olivier Faure, «dans 32 % des situations de personnes ayant commencé entre 15 et 21 ans, la durée de cotisation est strictement supérieure à 43 ans». «La durée de cotisation est même égale à 44 ans ou plus dans 7,5 % des cas», a-t-il ajouté sur Twitter. Le premier secrétaire du Parti socialiste s’appuie notamment sur une simulation élaborée par le conseiller parlementaire François Malaussena. «Ce n’est pas un nombre de personnes, mais un nombre de cas que l’on simule en fonction du jour de naissance et de la date du début de carrière», précise-t-il, en préambule. Auprès de CheckNews, il explique avoir appliqué plusieurs corrections à la simulation dont les résultats à jour sont les suivants :

Globalement, la durée de cotisation excéderait 43 ans dans 67,7 % des situations après réforme. Mais ce taux inclut les carrières longues qui auraient cotisé plus de 43 annuités de toute façon, même sans le projet de loi. En excluant celles-ci, et donc du seul fait de la réforme, ce sont en fait 45,9 % des cas possibles (et non 32 %) qui cotisent plus de 43 ans et 11,8 % des cas simulés cotisent 44 ans ou plus. Olivier Faure reprend un exemple tiré du travail de François Malaussena : André, né le 10 septembre 2000, qui a commencé sa carrière le 8 février 2018 et que le nouveau système devrait pousser à cotiser 44,75 années.

Même si cette simulation ne traduit pas exactement la réalité (du fait de variation statistique possible du nombre de personnes qui naissent et commencent à travailler au cours de l’année), «il est strictement faux de dire que personne ne cotisera plus de 43 ans», tranche François Malaussena. Le conseiller note par ailleurs que sa simulation ne prend pas en compte le fait que certains salariés, comme les alternants et les apprentis, sont payés en dessous du smic et qu’ils cotisent donc beaucoup moins vite.

La majorité concède d’ailleurs que certains devront travailler plus de 43 ans. Le 17 février déjà, devant l’Assemblée nationale, Olivier Dussopt avertissait : «Je ne dirai jamais devant l’Assemblée que l’on peut garantir que la durée de cotisation est un plafond.» Ce jeudi, sur France Info, Sylvain Maillard a lui aussi concédé qu’il était possible d’aller au-delà des 43 ans, mais en minimisant ce dépassement : «En fonction de la date de naissance, ils pourraient travailler un ou deux trimestres supplémentaires.» Sauf que dans certains cas, des salariés devront aller jusqu’à 44 ans, et même possiblement au-delà. Le député Renaissance ajoute par ailleurs une deuxième contre-vérité pour faire passer la pilule en assénant : «Les carrières longues sont les gagnantes de cette modification». «Si on ne change rien, ceux qui ont commencé à 17 ans travaillent 45 ans. […] La modification que nous faisons est pour les carrières longues. Elle permet de travailler 43 ans», affirme-t-il. Ce qui est faux : dans la situation actuelle les personnes qui ont commencé à travailler à 17 ans cotisent déjà 43 ans et peuvent partir à 60 ans.

Le texte adopté par la CMP apporte en réalité une seule avancée : la fin de l’obligation de cotiser 45 annuités pour les personnes en carrière longues qui ont commencé à travailler avant 16 ans. Toujours selon le calcul de Malaussena, cette mesure pourrait être à l’origine d’un départ plus anticipé de 15,7 % des situations. Mais, souligne-t-il, cette avancée pourrait être toute théorique… puisque presque plus personne ne commence à valider des trimestres avant 16 ans à partir de la génération de 1962, selon les chiffres de la Drees.