Question posée sur Twitter (renommé X), le 28 janvier 2024.
Au 31 décembre 2022, plus de 4,1 millions de Français étaient considérés comme clients fragiles par leurs banques. Dixit le dernier rapport de l’Observatoire de l’inclusion bancaire, qui se charge de vérifier, sous l’égide de la Banque de France, la bonne application des engagements pris par les banques en matière de fragilité financière. Et les comptes de dépôt des clients identifiés comme fragiles enregistraient en moyenne 1 543 euros de flux créditeurs mensuels, correspondant aux rentrées financières de ces clients. Dès lors qu’elles sont identifiées comme «en situation de fragilité financière», ces personnes physiques peuvent bénéficier d’une offre spécifique, dite «offre clientèle fragile», qui limite notamment les frais dus en cas d’incident de paiement (dépassement du découvert autorisé ou encore rejet de chèque, de virement ou de prélèvement).
En effet, en vertu d’une loi de 2013, «les établissements de crédit proposent aux personnes physiques […] qui se trouvent en situation de fragilité, eu égard, notamment, au montant de leurs ressources, une offre spécifique qui comprend […] des services appropriés à leur situation et de nature à limiter les frais supportés en cas d’incident». Un décret est ensuite venu fixer les plafonds des montants des commissions pour les détenteurs de cette offre «à 4 euros par opération et à 20 euros par mois».
Large marge de manœuvre
Mais en parallèle de cette offre spécifique, les banques se sont également engagées, dans le contexte de la crise des gilets jaunes, à appliquer un plafond de 25 euros par mois de frais d’incidents bancaires de toutes natures pour tous les clients en situation de fragilité financière, pas seulement ceux ayant souscrit l’offre clientèle fragile. Dès le mois de mai 2019, l’Observatoire de l’inclusion bancaire constatait, dans un communiqué, la «forte mobilisation de la profession, pour mettre rapidement en place ce dispositif de plafonnement» – si ce n’est deux établissements, le Crédit du Nord et BNP Paribas Réunion, publiquement pointés du doigt dans un communiqué ultérieur en raison de «dispositifs encore en décalage par rapport aux engagements pris». Toujours en mai 2019, l’instance relevait néanmoins des «disparités» dans les modalités d’identification des clients concernés.
De fait, d’une banque à une autre, un client pourra être considéré ou non comme fragile, et donc bénéficier ou pas d’un plafonnement de ses frais d’incident. «Des gens peuvent estimer qu’ils doivent bénéficier de ce plafonnement, et se voir rétorquer par leur banque qu’ils ne rentrent pas dans les critères», explique Lionel Maugain, chef de la rubrique banques, finances et assurances au mensuel 60 Millions de consommateurs.
Malgré certaines tentatives du législateur d’objectiver les critères en les inscrivant dans la loi, les banques disposent d’une large marge de manœuvre pour apprécier si un client est «fragile». «La question de l’identification des clientèles fragiles reste entière, les critères n’ayant pas évolué», soulignait d’ailleurs l’association de consommateurs Consommation, logement et cadre de vie dans l’édition 2023 de son «Enquête tarification bancaire». Les banques sont régulièrement accusées de tirer à la baisse leurs plafonds pour limiter le nombre de comptes concernés par le dispositif. Et des associations veulent donc tendre vers une uniformisation de ces critères, comme l’Union nationale des associations familiales, qui demandait encore récemment «à la Banque de France d’harmoniser les plafonds des banques pour la prise en compte de la fragilité financière».
Seuils à géométrie variable
Dans le détail, il existe d’une part des critères «fixes», établis sur une inscription pour surendettement au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers ou pour chèque impayé ou utilisation abusive de la carte bancaire au fichier central des chèques, mais qui ne représentent qu’une minorité des cas. D’autre part, des critères «modulables» tiennent à la fois compte d’une récurrence des incidents de paiement constatés sur le compte, mais aussi des ressources du client, avec des seuils à géométrie variable selon les établissements. Dès lors, être identifié comme client fragile implique de cumuler cinq incidents au cours d’un même mois ou des incidents répétés durant trois mois consécutifs, et des revenus jugés par la banque comme témoignant d’une fragilité financière.
Sur ce point, la Société générale impose comme critère «des flux créditeurs moyens inférieurs ou égaux à 1 500 euros». Un seuil qui peut varier selon les filiales de la banque : en Nouvelle-Calédonie, elle a plutôt tablé sur «des flux créditeurs mensuels sur trois mois consécutifs inférieurs à 1 000 euros». Au Crédit agricole, on parle plutôt d’«opérations portées au crédit du compte inférieures à 1 650 euros» sur un mois. Plutôt que des montants fixes, d’autres banques ont préféré s’appuyer sur des indicateurs économiques dont le niveau peut varier. Par exemple, du côté du Crédit mutuel sont exigées des ressources inférieures «pour une personne seule, à 2,65 fois le montant du [revenu de solidarité active]». A la Banque populaire, le «montant maximum porté au crédit du compte» ne doit pas dépasser chaque mois le montant du «smic net mensuel». Chez la Banque postale, on retient que le revenu mensuel doit être «inférieur au smic brut». Et la même banque a acté, par ailleurs, que «tous les clients dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté sont considérés comme financièrement fragiles et bénéficient automatiquement du plafonnement des frais d’incident».